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Christophe Vachaudez

02 November 2018

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Alors que certains analysent avec un nouveau regard l'ère monarchique, au vu des dérives de la république islamique et de l'obscurantisme qui s'est installé dans un pays autrefois florissant, la souveraine se souvient d'une époque dont elle fut le témoin privilégié. Quand elle s'unit à Mohammed Reza Pahlavi, cette étudiante en architecture a vingt ans et pas la moindre idée de la tâche qui l'attend.

En ce 21 décembre 1959, l'éblouissement et l'insouciance sont au rendez-vous dans les salons du palais de Golestan pour ce mariage des mille et une nuits ! Tout débutera comme un conte de fée, couronné par la naissance de quatre enfants : le prince Reza, né en 1960, la princesse Farahnaz, en 1963, le prince Ali-Reza, en 1966 et la princesse Leila, en 1970. Soutien indéfectible de son époux, roi des rois depuis 1941, l'impératrice s'impliquera de façon significative dans les secteurs éducatif, sanitaire, culturel et artistique. Le Shah lui exprimera publiquement son estime et il en fera la première impératrice d'Iran en la couronnant à Téhéran le 26 octobre 1967.

 
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Cette cérémonie inoubliable sera suivie plus tard par d'autres fêtes, celles de Persépolis, qui feront couler beaucoup d'encre. En renouant avec la grandeur d'une nation millénaire, le souverain va susciter la jalousie et s'aliéner les dirigeants de puissances autrefois amies. Les alliances s'inversent alors et la monarchie fragilisée doit s'effacer devant un fanatisme religieux en devenir. Cette 'révolution' de 1979 a plongé l'Iran dans une période sombre qui, aujourd'hui encore, obscurcit l'horizon. Depuis, l'impératrice espère un avenir meilleur pour l'Iran. Victimes collatérales de cet exil, le prince Ali Reza et la princesse Leila, mettront fin à leur mal-être, une douleur que l'Impératrice a du surmonter pour continuer à servir les siens et sa patrie avec dévouement et détermination.

L'Eventail - Madame, pensez-vous que l'ère monarchique soit analysée avec plus d'objectivité ?

Sa Majesté Impériale l'imprératrice Farah d'Iran - Je crois que grâce à la télévision et à internet, les Iraniens, trop jeunes ou nés après la chute du Shah, peuvent mieux juger cette période sur laquelle on a raconté tant de mensonges. Le témoignage de leurs parents et les documentaires accessibles malgré la censure les aident à comprendre et, très vite, ils mesurent la dégradation de la situation économique et le manque de respect du régime actuel pour les femmes et les ouvriers, notamment. Alors que nous avons trois 'temps' : le passé, le présent et le futur, les Iraniens affirment qu'il y en a quatre : le passé, le présent, le futur et le temps du Shah. Je reçois énormément de mails de jeunes gens d'une gentillesse touchante. Souvent, ils me demandent de les appeler, ce que je fais parfois. J'essaie de leur donner un peu d'espoir et eux, à leur tour, me donnent du courage.

 
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- Croyez-vous que cette génération pourra sauver l'Iran de l'obscurantisme ?

- Définitivement. Elle seule pourra faire changer les choses. Ces jeunes disent : "Si Khomeini est venu avec les cassettes, le khomeinisme disparaitra avec internet". Je l'espère car ils ont subi de terribles lavages de cerveau. Il n'y a ni travail, ni liberté. La dépression et la drogue sont très présentes. Si on décapitait l'iceberg, la région pourrait se libérer du fanatisme. Il faut qu'un jour cette colère se cristallise mais l'oppression est telle que quand quelqu'un prend une initiative, il est jeté en prison. Les grandes puissances devraient songer à soutenir les Iraniens.

 
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- En voulant moderniser l'Iran, le Shah a-t-il voulu agir trop vite ?

Le Roi voulait sortir l'Iran du système féodal. Nous étions au XXe siècle et nous faisions partie, malgré nos richesses, des pays en voie de développement. Il fallait donc prendre des décisions et quand vous changez les choses, vous vous heurtez souvent au mécontentement ou à l'incompréhension. Mais quel peuple ne demande pas le progrès ? Les religieux qui étaient de grands propriétaires terriens se sont opposés à la réforme agraire qui visait une redistribution plus équitable des terres et n'ont pas admis l'émancipation de la femme. Comme on a coutume de dire : une dictée qui n'est pas écrite n'a pas de fautes. Quand un pays va de l'avant, l'économie se porte mieux et les gens progressent dans leur vie. Un ouvrier qui n'avait pas une bicyclette pour aller travailler, finit par en acheter une puis il veut une voiture et ensuite, il désire partir en vacances. Nous avons alors eu une stagnation économique comme tous les pays peuvent en connaître et cela a généré beaucoup de mécontentement. C'est un mélange de circonstances. Toutefois, les Iraniens ont pu compter sur plus de routes, d'hôpitaux, d'écoles et d'universités, des avantages qui faisaient partie de cette évolution.

 
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- Certaines puissances ont-elles pu, par leur attitude, précipiter la chute de la monarchie ?

- Des documents secrets refont surface et mettent en lumière l'attitude ambigüe de pays "amis". Á l'époque, nous entretenions des relations cordiales avec l'Occident mais aussi avec le bloc communiste. Les soucis majeurs ont surgi quand l'Opep a augmenté le prix du pétrole et le Shah en a été tenu pour responsable. Les attaques ont commencé à ce moment. Toutes les nations ont le devoir de protéger leurs intérêts et, ne plus soutenir l'Iran en faisait peut-être partie. Á cela s'ajoutaient des problèmes internes causés notamment par les religieux.

 
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- Comment pourrait-on résumer la situation actuelle en Iran ?

- Actuellement, les religieux contrôlent des domaines qu'ils ne maîtrisent pas et cela pose de graves problèmes. Ce qui me console un peu, c'est que ce qui a été accompli demeure acquis pour le pays et j'en suis heureuse. Par contre, l'environnement s'est dégradé et la pollution est dramatique. Beaucoup de lois sur les droits de la femme ont été modifiées et une femme, juge sous le Shah, a été interdite à la cour car on estime qu'elle n'est pas apte à rendre un verdict. Aujourd'hui, l'Iran se classe en deuxième position pour les assassinats. La prostitution est devenue un fléau et, de nos jours, personne ne peut plus subvenir à ses besoins.

 
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- Peut-on envisager que votre fils puisse un jour travailler à l'avenir du pays ?

- Tout en restant discret et prudent, mon fils a essayé de rassembler les Iraniens favorables au changement et, le moment venu, le peuple décidera si il préfère la monarchie constitutionnelle à un autre système. Nous devons mettre nos forces en commun pour créer un mouvement national iranien qui défendra la démocratie, l'intégrité territoriale, la liberté pour tous et surtout pour les femmes. Il a pu maintenir de nombreux contacts avec les Iraniens.

- Justement, comment peut-on communiquer sans risques avec des résidents iraniens ?

- Grâce à la technologie, la jeune génération a appris à contourner les interdits du régime qui veut tout contrôler. Ils parviennent à capter les télévisions étrangères et découvrent une autre vérité. Un film diffusé récemment à Cannes appelé 'Les Paraboles' explique comme on arrache en Iran ces moyens de communication. Au téléphone, on ne mentionne pas les noms mais les gens reconnaissent ma voix. Le plus important est qu'ils ne soient pas inquiétés.

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- Quand vous épousez le Shah en 1959, avez-vous songé à ce qui vous attendait ?

- J'ai été élevée avec le goût du devoir et quand le Roi m'a dit que j'aurai beaucoup de responsabilités en tant que reine, j'étais prête à les assumer mais jamais je n'ai imaginé le degré de responsabilités. Le pays évoluait de façon fulgurante et je me suis rapidement intéressée aux oeuvres sociales. Le plus extraordinaire sans doute, ce fut d'aller à la rencontre des Iraniens de professions, de milieux et d'intérêts différents. Dans ma position, je pouvais influencer l'évolution des choses. Nous avons lutté contre la lèpre, la tuberculose et le cancer, tout en aidant les déficients mentaux. J'ai voulu promouvoir le sport et la culture iranienne. Tout en admirant notre passé millénaire, je souhaitais aussi soutenir les artistes actuels en créant un musée d'art contemporain mais aussi un musée du tapis, un musée dédié à la période kadjar, un autre aux céramiques et aux verres préislamiques ou un musée pour les bronzes du Luristan. Le Roi m'a toujours soutenue dans mes projets et je lui en suis reconnaissante.

 
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- Le régime actuel a-t-il pu faire oublier la civilisation perse ?

- Il a essayé mais n'y est pas parvenu ! Les autorités ont interdit le nouvel an iranien du 21 mars qui est une fête préislamique mais il est tellement ancré dans la population que cela n'a pas marché. Maintenant, il a été récupéré. Certains iraniens le célèbrent devant la tombe de Cyrus le Grand, ce qui est très symbolique. Ils sont musulmans mais avant tout iraniens !

- Quel souvenir gardez-vous des fêtes de Persépolis ?

- Leur organisation a généré nombre de critiques émanant de l'opposition et de la presse étrangère mais nous avions atteints notre but : montrer au monde entier ce qu'étaient l'Iran et sa civilisation. Aujourd'hui, personne ne s'offusque quand des pays dépensent des millions pour assurer leur promotion et avec ces fêtes, nous avions eu une retombée incroyable. Lors de mon couronnement, quand le Roi a posé la couronne sur ma tête, j'ai pensé qu'il célébrait toutes les femmes iraniennes. L'importance de ce geste était considérable !

- Pouvez-Vous évoquer la fondation créée en mémoire de votre fils le prince Ali-Reza ?

- Mon fils avait étudié à Harvard et j'ai voulu perpétuer son nom en l'associant à une fondation qui encourage l'étude de l'Iran ancien, un sujet qu'il adorait. Récemment, nous avons organisé une exposition et une vente aux enchères de peintures, de foulards et de lithographies à Monaco. Je cherche d'autres endroits et des oeuvres qui permettraient de récolter davantage.

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