JC Darman
07 September 2022
Jusque récemment même ses enfants ne savaient rien des activités créatrices que leur mère exerçait pourtant depuis la fin des années 70. Ce n’est qu’en 2017, soit plus de 20 ans après sa disparition, que sa fille, Manuela Servais, a découvert dans une valise oubliée de très nombreux dessins, collages et découpages que sa maman exécutait dans le secret de ses nuits d’insomniaque. L’historienne de l’art Valérie Rousseau en prit connaissance et en décela immédiatement la trempe exceptionnelle. Pour elle il s’agissait incontestablement de manifestations d’Art Brut, une forme de création artistique dont elle est sans doute la plus éminente spécialiste.
Ariane Bergrichter © DR
Convaincue de la qualité des œuvres d’Ariane Bergrichter, Valérie Rousseau en organisa une exposition à l’American Folk Art de New York en 2018. Le terme Art Brut a été utilisé pour la première fois peu après la guerre par l’artiste et théoricien de l’art Jean Dubuffet (1901-1985). Il englobe diverses formes d’activités artistiques populaires, principalement graphiques, exercées par des personnes vivant généralement en marge de la société, sans être influencées par les tendances artistiques de leur époque et souffrant souvent de troubles psychotiques. Dubuffet parlait d’un « art hors la norme libéré des contraintes élitiques traditionnelles pratiqué par des personnes indemnes de toute culture ».
A. Bergrichter, Dessin extrait de la composition Rue du silence, tech. mixte, 57x77 cm, 1991, coll. Art et marges musée, © L'atelier de l'imagier
C’est à Bruxelles que sont maintenant exposées les compositions d’Ariane Bergrichter, cette femme dont le cheminement affectif fut pour le moins douloureux. Elle est aujourd’hui totalement inconnue alors que top model elle occupa les pages des magazines et les affiches publicitaires sur les murs de Bruxelles pendant une dizaine d’années. Cette femme superbe plongea dans une profonde détresse. Son enfance en Allemagne, à Dresde où elle résidait quand la ville fut rasée par les bombes en février 1945, explique sans doute pour bonne part les angoisses, les obsessions et les déséquilibres qui l’ont assaillie toute sa vie.
A. Bergrichter, dessin s.t., feutre sur papier, 20 x 13,5, s.d., coll. privée, © Art et marges musée
On reste abasourdi face aux créations nées des abysses psychotiques dans lesquelles Ariane Bergrichter se débattait. Elle entendait des voix intérieures qui hurlaient parfois à tue-tête. Pourtant, s’ils composent indéniablement une œuvre autobiographique, ses dessins, ses écrits, ses collages, ses coloriages, ses découpages et ses textes n’évoquent rien de crépusculaire ou de sépulcral. Au contraire. Beaucoup sont des croquis (souvent au Bic) pris sur le vif de scènes de la vie bruxelloise, de cafés, de serveuses, de chauffeurs d’autobus, d’ouvriers…etc. et pour lesquels elle éprouve sans aucun doute de la sympathie. Certaines autres représentations déforment ou recréent des réalités et les textes qui les accompagnent sont des commentaires cyniques et/ou qui tournent en dérision l’univers de la mode, le pouvoir des politiques, celui des médias…etc. Sans le moindre doute nous sommes en présence de manifestations de « Street Art » ou de « Folk Art », c’est-à-dire des composantes majeures de l’Art Brut.
A. Bergrichter, Le ballon © DR
Les plus belles collections d’Art Brut sont exposées au musée du Château de Beaulieu à Lausanne et c’est là que Manuela Servais (une des comédiennes belges les plus talentueuses de sa génération) souhaite faire entrer les œuvres de sa maman.
La comédienne Manuela Servais et sa maman Ariane Bergrichter
Cela pourrait être bientôt chose faite quand on considère l’afflux de visiteurs au vernissage de l’exposition bruxelloise et leur enthousiasme.
Photo de couverture : A. Bergrichter, détail de la composition Polo international, technique mixte, 63 x 41, 1989, coll. privée, © Art et marges musée
Exposition
Ariane Bergrichter : Souriez j’adore !
Dates
Jusqu’au 11 novembre 2022
Adresse
Art et Marges Musée
Rue Haute, 314
1000 Bruxelles
Sur internet
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