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Corinne Le Brun

07 June 2023

Habib (formidable Bastien Ughetto), jeune comédien bruxellois d’origine marocaine, court le cachet entre figuration et théâtre d’avant-garde. Jusqu’au jour où il décroche le rôle de Saint François d’Assise dans une pièce improbable. Habib s’investit tellement que le saint homme lui servira de modèle. Au grand dam de sa famille qui ne comprend pas la ferveur d’Habib pour une figure catholique, à mille lieues des valeurs de sa communauté. Après Les Convoyeurs attendent, Cowboy et Les Rayures du zèbre, Benoît Mariage imagine une fable douce-amère autour d’un jeune homme tiraillé entre les injonctions de sa culture d’origine et les codes – et illusions – du théâtre d’avant-garde. Habib, la grande aventure» multiplie les péripéties sur fond d’interrogation sur l’identité et la vocation. Catherine Deneuve joue son propre rôle dans cette comédie absurde et lucide.

Eventail.be – Habib est un doux rêveur, tiraillé entre deux cultures…
Benoît Mariage – La question identitaire est l’épicentre du film. Comment trouve-t-on son intégrité entre son milieu d’origine et celui auquel on aspire, avec des valeurs différentes ? Comment trouve-t-on sa propre voie, sa propre identité à travers cette polarisation des milieux qui nous composent ? Le cheminement est plus difficile quand l’estime de soi devient défaillante. L’ancrage social et familial, si solide soit-il, est alors fragilisé et c’est le cas d’Habib, dans le film. Tout devient tiraillement parce qu’il a envie d’être aimé par les milieux qui le composent. D’où la schizophrénie perpétuelle d’Habib qui doit obéir à des injonctions divergentes issues de milieux différents. Je viens d’un milieu bourgeois provincial, pas spécialement baigné dans le milieu artistique. J’ai fait mes études à l’INSAS, une école de cinéma très militante et engagée. Moi-même, j’ai vécu entre deux milieux. On est tous des transfuges, quelque part. Qu’est-ce qu’on garde du milieu duquel on vient et qu’est-ce qu’on emprunte à la sphère d’adoption ? Comment on se construit une identité singulière ? Ces questions vont au-delà du film identitaire lié à l’immigration.

Bastien Ughetto joue le rôle titre © DR

– Habib, acteur débutant, veut à tout prix incarner Saint François d’Assise…
L’idée m’est venue du récit Le Très bas que Christian Bobin consacre à la vie de François d’Assise (Ed. Gallimard, 1995). Un chef d’œuvre. Ce personnage m’a fasciné comme il fascine Habib. Pas pour sa “reliogiosité”, mais bien pour la nature mystique et spirituelle de l’être humain. C’est quand même très révolutionnaire de dire « je suis plus heureux, j’ai la joie parfaite en me dépouillant. » Voilà une alternative, dans ce monde consumériste. François d’Assise est une figure emblématiquement moderne. C’est ce qui touche Habib. Ce point de vue peut se défendre à tout âge. L’idée, c’est d’aller là où on doit être, de trouver sa place. Autour d’Habib, tout le monde est à côté de sa place. Habib parviendra-t-il à dire son prénom ? C’est tout l’enjeu du film.

– Ni sa famille, ni le milieu théâtral ne le prend au sérieux…
Aucun des milieux ne comprend. Habib est instrumentalisé dans la “famille” qu’il croyait adopter, celle du théâtre où c’est un peu tendance de prendre un acteur beur d’origine marocaine pour incarner le rôle de François d’Assise. Sa mère, son dernier lien, ne le comprend pas non plus parce qu’elle croit que les «maux» de son fils viennent de la lecture de Saint François d’Assise.

© DR

– Vous faites la même démarche car, pour incarner Habib, vous n’avez pas choisi un acteur d’origine maghrébine
Ce choix illustre une mise en abyme du sujet. Tout le monde peut-il incarner le personnage d’Habib ? J’avais donné le nom de John Turturro. Dans Barton Fink, il incarne un aspirant auteur de pièces politiques à qui il arrive des tas de déconvenues, à Hollywood. Sans être agressif, il est dans une schizophrénie permanente. Je suis tombé par hasard sur Bastien Ughetto qui n’est pas d’origine maghrébine. Et pourtant, c’était lui, le personnage. Il a cette candeur, cette once de mélancolie, ce masque un peu à la Buster Keaton impassible mais captant tout. Il y a en lui quelque chose d’enfantin, une forme d’immaturité et une absence d’agressivité qui est presque pathologique. Comme j’étais dans une fable, et pas dans un film naturaliste, cette essence poétique m’a permis de prendre cette audace-là.

– Pourquoi avez-vous renoncé au titre “Saint-François de Molenbeek” ?
C’était le titre original. Mais Molenbeek est un traumatisme pour les Français, plus que pour les Belges. La commune évoque tout de suite les attentats de Paris. Les producteurs français ont donc refusé. J’aimais bien ce titre, je le trouvais drôle. C’est pour cela que le film est politique parce qu’il restaure justement l’image de Molenbeek, abîmée depuis les attentats. Nous avons tourné plusieurs scènes à Molenbeek à laquelle nous avons dédié le film. Les gens essaient de s’en sortir. Ils sont animés par des élans positifs comme Habib.

– Catherine Deneuve et Michel Fau font partie du casting…
Michel Fau est un comédien politiquement incorrect et d’une drôlerie effarante. Je pense notamment à son rôle de professeur d’art lyrique pour chanteuse à voix de casserole dans Marguerite de Xavier Giannoli (2015). Christophe Beaucarne (directeur de la photographie, ndlr) le connaît très bien. Michel Fau a lu le scénario. Son rôle de dandy parisien infect, l’amusait beaucoup. Quant à Catherine Deneuve, elle était le cadeau. C’était inconscient de ma part d’avoir écrit le scénario sans savoir qu’elle allait accepter. Tout rayonne autour de sa présence. Si elle ne venait pas, le scénario s’effondrait. J’ai eu une demi-heure pour la convaincre même si me disait ne pas vouloir jouer son propre rôle. Je ne la connais pas plus que ça mais, là, c’est un peu rock and roll d’accepter des films un peu improbables. Ce fut trois jours de tournage de rêve. En plus, Catherine Deneuve apprécie Bruxelles.

© DR

– Quelle est l’origine du scénario?
Tout part d’une anecdote d’un jeune acteur marocain qui jouait le gigolo de Catherine Deneuve dans Le tout nouveau testament de Jaco Van Dormael (2014). Il m’a confié ne pas avoir pu avouer à ses parents ce qu’il faisait dans ce film. La genèse de Habib, la grande aventure vient de cette petite histoire.

– Cette fois, vous avez tourné sans Benoît Poelvoorde…
Benoît est irremplaçable pour son talent. Il a tellement incarné des personnages extravertis que, là, je voulais un acteur plus introspectif, qui me ressemble plus. Je suis plus proche d’Habib que des rôles que Ben a joués. J’ai cherché un personnage en réactivité. C’est un plaisir de cinéaste aussi d’être dans un autre mode de travail.

Photo de couverture : © Daylight Films/Formosa Productions/Cab Productions/Polaris Film Production/RTBF

Entrepreneuriat

Informations supplémentaires

Film

Habib, la grande aventure

Réalisation

Benoît Mariage

Distribution

Bastien Ughetto, Catherine Deneuve, Michel Fau, Thomas Solivérès

Sortie

En salles

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