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JC Darman

13 March 2024

Le Misanthrope fut représenté pour la première fois en juin 1666. Le rôle d’Alceste était tenu par Molière lui-même, celui de Célimène par sa jeune épouse, Armande Béjart, de vingt ans sa cadette (l’essence même de ce couple constituant sans doute un élément majeur de l’exégèse de l’œuvre). Quantité de comédiens se sont attaqué au rôle d’Alceste, « l’atrabilaire amoureux » (sous-titre de la pièce), en lui prêtant parfois des interprétations assez éloignées de l’esprit que Molière lui avait (probablement) insufflé. Par exemple, Lucien Guitry fit d’Alceste un héros romantique, sombre, blessé par la vie. Le siècle dernier, à l’instigation de maîtres tels que Jacques Copeau (qui parlait de la pièce comme « une tragédie qui fait rire ») et Louis Jouvet, on sembla redécouvrir que Le Misanthrope est une comédie susceptible, si pas de déclencher le fou rire, en tout cas d’amuser. La pièce a été fréquemment revisitée par différents metteurs en scène, parfois de manière pour le moins inattendue (une version de 1976 à Vincennes transforma le salon de Célimène en un asile d’aliénés). Qu’en est-il de la mouture donnée en ce moment par le Parc ?

On y assiste à une nouvelle transposition : cette fois, l’action se déroule de nos jours dans une entreprise du genre Google ou Amazon, dont tous les protagonistes sont des cadres hyperconnectés. Cette version est moins déconcertante qu’il n’y paraît, à l’exception sans doute d’une scène totalement dispensable dans laquelle Célimène et un “petit marquis” sniffent une ligne de cocaïne. Alceste, c’est Itsik Elbaz qui interprète ce rôle parmi les plus subtils du répertoire. Car, en réalité, qui est vraiment cet homme qui « hait tous les hommes » ? Molière voulut-il en faire un personnage horripilant ou séduisant ? Sublime ou grotesque ? Ou les deux à la fois ? C’est entendu, Alceste n’est pas un personnage irrésistiblement comique. Ce sont ses travers excessifs, sa susceptibilité, son caractère intransigeant épris de sincérité et de justice qui peuvent entraîner l’émotion, le sourire, le rire même parfois.

© Aude Vanlathem

Ici, Itsik Elbaz accentue intensément une facette du personnage : son côté rageur, fulminant et intraitable, à la limite de la violence physique. Au point de dénuer Alceste de tout charme et de se demander ce que Célimène peut lui trouver. La mise en scène de Patrice Mincke a le mérite d’être clarifiante. La première scène (qu’un éminent spécialiste comme Francis Huster considère comme le diamant de toute l’œuvre de Molière), se déroule dans la salle de réunion de l’entreprise. Dès cette scène d’ouverture tout est dit. La personnalité des protagonistes et la trame de la pièce sont exposées : l’amitié chaotique entre Alceste et Philinte, la haine d’Alceste pour l’humanité tout entière, son amour pour Célimène, l’existence de rivaux que sont Acaste (Denis Carpentier), Clitandre (Julien Besure) et Oronte (Damien De Dobbeleer), l’auteur du fameux sonnet qui serait « bon à mettre au cabinet », l’intention d’Alceste d’obliger Célimène à faire un choix entre ces prétendants et lui-même, sa résolution, en cas d’échec, « de fuir dans un désert l’approche des humains », la sagesse d’Éliante (Bénédicte Chabot), cousine de Célimène, la perfidie d’Arsinoé (Anouchka Vingtier), son amie envieuse et surtout l’antinomie entre les caractères d’Alceste et de Philinte. Au fond, ne serait-ce pas vers Philinte (Stéphane Fenocchi) que tendraient les sympathies de Molière ?

© Aude Vanlathem

Quant à Pauline Desmet qui interprète Célimène (un personnage que François Mauriac décrivait comme « un insecte brillant qui détruit une vie d’homme »), on est loin de la grande coquette telle que l’interpréta, par exemple, Cécile Sorel. Ici, Pauline Desmet réussit avec beaucoup de talent et de charme à faire ressortir un côté très moderne de sa féminité : son insoumission, son désir de se montrer maîtresse de son destin sans renoncer aux plaisirs d’une société tant vilipendée par Alceste. Toute la distribution fait preuve d’une belle cohésion et les comédiens font clairement sonner l’alexandrin, y compris en cela un garde (Benjamin Van Belleghem) qu’on a affublé d’un amusant accent bruxellois. La scénographie est signée Vincent Bresmal et Mathieu Delcourt.

A voir au Théâtre Royal du Parc jusqu’au 6 avril.

Photo de couverture : © Aude Vanlathem

Constantin Brancusi, La Muse endormie

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Informations supplémentaires

Pièce

Le Misanthrope, de Molière

Date

Jusqu’au 6 avril 2024

Adresse

Théâtre royal du Parc
Rue de la Loi, 3
1000 Bruxelles

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