Éric Jansen
27 November 2025
Il y a parfois des lieux qui vous donnent envie de tout plaquer. Recommencer une nouvelle vie loin d’un monde moderne de moins en moins poétique et civilisé. Ils ne sont pas nombreux ces lieux au pouvoir d’évocation tel qu’ils vous transpercent d’émotion. La villa Zeina est de ceux-là. Elle est l’œuvre d’une femme qui justement a réalisé son rêve, créé son univers, sa bulle d’exotisme, de raffinement et de sérénité. Lorsque Zeina Aboukheir découvre la rive ouest du Nil, face à Louxor, là où les paysans cultivent la terre depuis l’Antiquité, elle en tombe non seulement amoureuse, mais elle se dit qu’elle a trouvé le cadre parfait pour bâtir un hôtel de charme et vivre dans un environnement biblique. Cette créatrice italo-libanaise est une globe-trotteuse impénitente, une photographe qui a vécu à Paris, ouvert une maison d’hôtes à Rabat, un bistrot à Beyrouth, et elle arpente depuis des années le Moyen-Orient, amoureuse des richesses de son artisanat. En 1999, elle achète donc un terrain de deux hectares et commence par le semer de graines de palmiers dattiers. L’idée est belle et magique, et elle dit déjà beaucoup de cette femme hors du commun.
© Éric Jansen
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Vingt-cinq ans plus tard, l’oasis est là et, dissimulés derrière les palmes, un hôtel aux allures de petit palais et une maison que Zeina a imaginés avec l’aide de l’architecte égyptien Olivier Sednaoui. La construction des deux bâtiments est une réinterprétation de l’architecture traditionnelle, avec ses coupoles, ses arches, ses moucharabiehs, ses portes anciennes, son patio central et sa fontaine. Pour la décoration de sa demeure, Zeina a orné les murs de fresques peintes à la main et les fenêtres de carreaux en verre coloré, puisé dans ses réserves pour le mobilier et courut plus encore les souks et les antiquaires, du Caire et d’Alexandrie, mais aussi de Beyrouth, de Damas et d’Istanbul d’où elle a rapporté les lustres. Sa maison a le confort moderne, mais elle semble avoir traversé le temps, vestige de ce début du XXe siècle où Orient et Occident se mêlaient pour créer un style unique. Il y a une trentaine d’années, on pouvait en respirer encore quelques effluves au Winter Palace ou au Old Cataract… Un décor pour Hercule Poirot, en somme.
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Zeina Aboukheir se fait plaisir. Elle a raison. Non seulement elle a très bon goût, mais sa vision va vite séduire d’autres amateurs d’atmosphère romanesque. Son hôtel attire tous les amoureux d’une Egypte fantasmée, trop heureux d’avoir trouvé un refuge sophistiqué loin des hordes de touristes qui envahissent et enlaidissent la vallée des Rois. Elle l’a baptisé Al Moudira, ce qui signifie « la patronne » car c’est ainsi que les ouvriers et les artisans l’appelaient pendant les travaux. Sans doute ce surnom traduit-il aussi une certaine force de caractère… Pendant une vingtaine d’années, Zeina va couler des jours heureux dans son oasis raffiné et puis, un jour, le destin s’en mêle : un avocat installé au Caire tombe lui aussi sous le charme du lieu, mais il voit plus loin, plus grand : il propose à Zeina de racheter l’hôtel, sa maison, et de développer le concept, tout en la gardant dans l’aventure comme consultante. L’accord est conclu et un autre Al Moudira sort de terre, sans toutefois renier son ADN.
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Le domaine fait à présent dix hectares, sur lesquels six villas ont été bâties dans le même style et décorées par Zeina qui a recréé pour chacune une ambiance poétique et hors du temps, avec des meubles chinés, des tissus ottomans, des suzanis traditionnels, des œuvres d’art et des photographies anciennes. Comme rescapée d’un passé lointain et pourtant en phase avec l’époque, une ferme a été créée pour pouvoir offrir aux résidents des produits bio : fruits, légumes, œufs, lait, beurre et fromage car il y a même des vaches ! Le jardin a été redessiné par le paysagiste Tobias Bucher, qui a marié aux palmiers bougainvilliers, citronniers, hibiscus et jasmin. A demi cachée dans ce havre de paix luxuriant, la villa Zeina n’a rien perdu de son authenticité, même si elle est offerte à présent à la location.
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Un butler et un chef sont à la disposition de ses occupants, pour vivre en totale autarcie, mais si l’envie de prendre un Pimm’s ou un Dry Martini en bonne compagnie se fait sentir, The Great Eastern Bar est là pour accueillir ce moment de sociabilité, qui se poursuivra dans un des cinq restaurants que compte à présent la propriété. Il y a aussi bien sûr un hammam traditionnel et même un yogi du Kerala pour ceux qui souhaiteraient transformer la contemplation en méditation. Enfin, un autre détail qui signe l’endroit hors du commun, une tour a été construite au milieu des dattiers, elle renferme une bibliothèque riche de sept mille ouvrages… La douceur de l’air qui agite les palmes, l’absence totale d’agression visuelle ou sonore, un dépaysement qui invite à la rêverie, une piscine à quelques mètres et un bon livre… Que demander de plus ?
Photo de couverture : La piscine de la villa et sa mosaïque verte en symbiose avec les palmiers. © Éric Jansen
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