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« L’agent secret », un anti-héros au Brésil

CinémaFilmInterviewRéalisateur

Corinne Le Brun

17 December 2025

Dans son dernier film, “L’agent secret”, Kleber Mendonça Filho suit un universitaire veuf sous la dictature brésilienne. Le réalisateur tisse un florilège d’intrigues mystérieuses où l’humour noir côtoie la violence urbaine. Un film, long, ample, sinueux, teinté de surprises hallucinantes, drolatiques, choquantes. Kleber Mendonça Filho traque son anti-héros, mêle les moments d’un passé douloureux toujours vivace et ceux d’un présent jamais serein, toujours (un peu) sur le qui-vive. Rencontre avec le cinéaste brésilien au Festival de Cannes*.

Brésil, 1977. Armando (Pablo Escobar dans la série Narcos, 2015), un homme d’une quarantaine d’années, universitaire veuf de São Paulo, arrive à Recife, sa ville natale. Il intègre un nouveau poste dans l’administration et veut retrouver son garçon, 7 ans, élevé par ses grands-parents maternels. Deux tueurs à gages, dont un ex-capitaine de l’armée, sont à ses trousses. Sous le faux nom de “Marcelo”, il s’installe chez Donna Sebastiana (Tânia Maria), ardente septuagénaire qui recueille des réfugiés politiques. Menacé de mort, notre homme ne porte pas d’arme mais il « sait se servir d’un marteau. » De quelle mission est-il l’agent ?

Eventail.be – D’où vous est venue l’envie d’explorer cette période de l’histoire du Brésil ?
Kleber Mendonça Filho – Je voulais faire une enquête historique sur le pays, puisque le cinéma, en particulier commercial, regarde souvent le passé à travers la lentille du présent. Le Brésil, il y a 50 ans, a connu une certaine dureté, plus grande que ce que nous avons encore connu par la suite. Lorsque j’ai mentionné pour la première fois que le film se déroule dans les années 1970, l’association avec la dictature était immédiate. Mais je ne voulais pas faire de film sur la dictature, même si je respecte des œuvres comme I’m Still Here (Walter Salles, 2025), Go Ahead, Brazil ! (Roberto Farias, 1982) et la production argentine The Official Story (Luis Puenzo, 1985). Je m’immerge dans univers dictatorial mais l’exercice que je fais ici consiste à scruter la logique de cette époque. Je me suis davantage intéressé à la vie quotidienne sous la dictature, à la recherche de détails, à l’apparence des choses. Par exemple, la façon dont les gens se parlaient. Et j’ai vraiment aimé ramener certains mots presque comme un artefact historique.

– Comment vous est venue la première séquence du film ?
La première image qui m’est venue à l’esprit est celle d’un cadavre avec les pieds tournés vers la caméra, un peu comme chez Alfred Hitchcock dans Mais qui a tué Harry ? (1955). Mon film commence donc avec les deux pieds d’un cadavre et une station-service qu’on aperçoit au loin. Je pense que c’est une bonne image pour démarrer un film.

Kleber Mendonça Filho (Regieprijs voor "Secret Agent") - Sluitingsceremonie van het 78e Filmfestival van Cannes © Jacovides-Moreau /Bestimage

– Plusieurs scènes d’horreur parcourent le film
J’ai vu de grands films d’horreur. Mais, personnellement, je ne me suis jamais dit que j’allais réaliser un film de ce genre. J’écris simplement le scénario et, naturellement, je commence à me surprendre moi-même par certains moments du film qui sont plutôt empreints d’effroi. Sans être un film d’horreur, L’agent secret en a, en tout cas, des éléments.

Wagner Moura en Kleber Mendonça Filho © Jacovides-Moreau/Bestimage

– Une scène clé fait référence au film Les dents de la mer de Steven Spielberg
Je pense que les films d’horreur font partie de ce que nous sommes parce que, pour ma part, je les ai vus, principalement, en grandissant. Donc ils supposaient un certain niveau de traumatisme. Les Dents de la Mer est vraiment un film très traumatisant parce que j’ai la chance de vivre dans une ville dotée d’une plage urbaine. Et nous rencontrons, en fait, un vrai problème de requins. Nous avons perdu trente et une personnes en 30 ans. Quand l’horreur d’un cauchemar, qui est fantaisie et imagination, rencontre la réalité, c’est fascinant. Non pas de manière très physique, mais juste au niveau de la peur réelle. En même temps, dans la réalité, l’effroi que suscite l’horreur est très subtil car il fonctionne avec votre imagination. Et dans L’agent secret, il y a comme une menace, un nuage au-dessus de l’histoire.

– Vous étiez enfant en 1977…
Les années 70 sont mes souvenirs d’enfance. À l’époque, le port d’un uniforme était considéré comme sexy. Les enfants étaient forcés de marcher dans les rues le jour de l’indépendance du Brésil. Je me souviens des conversations entre adultes. Soudain, ils baissaient la voix puis parlaient à nouveau normalement. On ne pouvait pas s’entretenir de certains sujets sous une dictature. Vous pouviez être considéré comme communiste même dans une conversation privée. C’est un mécanisme instinctif de défense. Je pense que quand un enfant voit trois adultes baisser la voix, il se dit, mais pourquoi chuchotent-ils ?

– Pouvez-vous nous parler de la « jambe poilue » ?
Il est intéressant de savoir, et cela figure dans le film, que les médias de l’époque ignoraient en quelque sorte et poétisaient ce qui se passait. Par exemple, quand des gens se faisaient tabasser dans le parc pour avoir eu des relations sexuelles ou fumé de l’herbe, un journaliste a décidé d’appeler cela la “jambe poilue”. Donc au lieu de dire que la police a commis cet acte agression, on déclarait c’est “la jambe poilue” qui a attaqué à nouveau. Et tout le monde savait que la “jambe poilue” était la police. C’est donc un mécanisme de défense vraiment intéressant contre la censure et contre l’absurdité de vivre dans une société où l’on ne veut pas nommer les choses. Les journalistes ne pouvaient pas écrire sur certains faits parce qu’il y avait une vraie censure. À un moment donné, ils ont développé la “jambe poilue” comme une légende urbaine, qui était un code.

– Quelle est l’importance du carnaval comme décor pour cette histoire ?
J’adore le carnaval. Je pense que, particulièrement à Recife, ce type de fête est un moment très étrange et très beau. Car il a un côté très transgressif. Il exprime la folie des gens. Quand Armando apprend que quelqu’un veut le tuer, il quitte la salle de cinéma et entre dans un autre univers, le carnaval. Dans la rue, il est hébété. Mais ensuite il se laisse aller et se mêle à la fête. C’est un moment de folie et de transe. J’aime son l’étrangeté, l’irrévérence du carnaval.

– Comment avez-vous convaincu Wagner Moura de jouer dans le film ?
Je lui ai envoyé le scénario que j’avais écrit spécialement pour lui. Wagner a réagi très fortement. Il est venu dans sa ville, Recife, pendant trois mois et nous avons eu une expérience de travail fantastique. Et je suis très heureux que nous ayons travaillé ensemble sur le film. Wagner est un bon ami. C’était génial pour lui de travailler à nouveau au Brésil.

* : Couronné au dernier Festival de Cannes du Prix de la mise en scène et de celui d’interprétation masculine pour l’acteur Wagner Moura, L’agent secret représentera le Brésil aux Oscars 2026.

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Extra informatie

Film

L’agent secrect

Réalisation

Kleber Mendonça Filho

Distribution

Avec Wagner Moura, Gabriel Leone, Udo Kier

Sortie

En salle mercredi 17 décembre 2025

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