Eventail.be – Que représente le cinéma de Cédric Kaplisch pour vous ?
Suzanne Lindon – Son cinéma signifie beaucoup parce que c’est un cinéaste que je suis depuis que j’ai vraiment des souvenirs de voir des films. On me les a montrés très tôt. Sa filmographie représente le cinéma français que ma famille aimait aussi. Donc c’était important pour moi de partager ça avec eux. Le thème de la famille de La Venue de l’avenir était d’autant plus émouvant pour moi. C’était vraiment très fort de faire partie de l’univers d’un cinéaste aussi marquant parce que je trouve que Cédric (Klapisch) a vraiment un point de vue unique sur la jeunesse. J’étais ravie qu’il me fasse de la place en tant que jeune actrice dans son cinéma. C’était très gratifiant de se sentir accueillie par lui. On sent qu’on va faire du bon travail car on est accompagné par quelqu’un qui nous fait confiance et qui nous donne confiance.
– En quoi aimez-vous le personnage d’Adèle ?
– Je pense que c’est un personnage féminin fort. J’ai eu envie de la défendre parce qu’elle est dans la partie époque du film. Mais je trouve que sa quête est très moderne. Elle fait résonance à des questions que, moi, j’ai pu me poser en tant que jeune femme : d’où je viens ? Mon origine influe-t-elle sur qui je suis ? M’empêche-t-elle de faire mes propres choix ou, au contraire vais-je savoir quoi choisir ? Qui aimer ? Qui pardonner ? Je me suis dit qu’il y avait quelque chose d’intéressant à faire le portrait de cette jeune femme en 1895 et de la rendre moderne et accessible aujourd’hui.
– Le film se déploie dans deux époques différentes. N’est-ce pas déstabilisant ?
– Adèle comme moi ne jouons que dans la partie époque. Cela n’a pas été déstabilisant de savoir que le film était scindé en deux mais je voyais effectivement que, pour Cédric, cette scission était intéressante, comme s’il y avait deux tournages, celui d’aujourd’hui et puis celui d’hier. Je trouvais aussi très intéressant de voir tous mes partenaires travailler avec moi mais aussi ceux qui jouaient mes descendants. J’aime que Cédric ait fait le choix qu’on puisse découvrir une jeune génération d’acteurs comme Paul (Kircher), Vassili (Schneider) et moi-même. Rien n’est fabriqué, encore moins faux. Du coup, le pont entre les deux époques est très fluide et très faisable.
Emmanuelle Jacobson Roques
– Adèle s’émancipe. Avez-vous pensé au mouvement #Metoo ?
– Je pense d’abord que le personnage d’Adèle m’a fait comprendre des choses sur la condition féminine et son évolution même si je pense qu’il y a encore du chemin. Mais porter un corset pouvait changer mes gestes, ma respiration, mon débit devant l’inconfort dans lesquels les femmes étaient plongées. Je pense que par rapport à #Metoo, le film est assez pur et plein de bonnes attentions parce que toutes les histoires d’amour sont consenties. Dès lors, il y a quelque chose de très humain et de très agréable à montrer. C’est beau, justement, que le film fait voir des rapports sains. Cédric a une façon de filmer ses personnages féminins avec beaucoup de bienveillance, depuis toujours. C’est aussi très agréable pour une actrice, je pense, d’être regardée par lui. On se sent aimée, comprise, confiante.
– La transmission est-elle une valeur importante pour vous ?
– Au cinéma, la transmission est importante parce que ce sont souvent des acteurs, des actrices ou des personnages qu’on a aimés dans d’autres films qui nous donnent envie de faire ce métier. Et donc on se construit aussi par rapport à ça. Ce qui est beau dans le fait de réaliser un film sur la transmission c’est que son caractère universel parle à tous les âges, à toutes les nationalités, à toutes les époques. Le cinéma lie les gens. Par exemple, des gens de ma famille m’ont fait voir les films de Cédric. Je les ai partagés avec eux. C’est beau et fort de mettre à l’honneur la transmission dans un film parce qu’elle touche tout le monde.
Emmanuelle Jacobson Roques
– Avez-vous personnellement effectué des recherches généalogiques ?
– On m’a raconté, récemment, que quand j’étais enfant, j’étais obsédée par les arbres généalogiques. Je m’en souviens un peu. Je n’ai jamais fait de grandes recherches parce que j’ai toujours su à peu près d’où je venais mais, en tout cas, les histoires de mes deux familles m’intéressent. Elles s’inscrivent toujours dans la grande histoire et je trouve que c’est très beau de voir que, justement, ce qui se passe dans le monde nous rattrape et nous conditionne.
– C’est-à-dire ?
– Par exemple, l’histoire de ma famille est intimement liée à la seconde guerre mondiale, à la rafle et, d’un seul coup, cela m’a permis de prendre conscience que si on est là c’est parce que certains ont survécu. C’est très fort. Je trouve qu’on voit les choses quotidiennes assez différemment, avec densité. Quand on sait ce que nos ancêtres ont traversé, il y a une prise de conscience qui se fait : que vous soyez presque un miracle.
– Cédric Klapisch est venu pour la première fois à Cannes. Pas vous
– Pas moi, en effet. Mais c’est injuste : Cédric aurait dû vraiment venir mille fois plus que moi. Mon premier souvenir ici était très émouvant parce que le film que j’ai réalisé, Seize printemps (2021), faisait partie de la sélection officielle. Cela a été jusque-là, peut-être, l’une les plus grandes joies et surprises de ma vie. Mais d’être au Festival de Cannes cette année, je dirais que, comme actrice, c’est la première fois que je porte un film à ce point-là. Et donc c’était une joie d’être là, entourée de tous les acteurs que j’aime et de Cédric. C’est une grande chance de venir à Cannes qui est le plus bel écrin pour le cinéma et de montrer un film dont on est fier. C’est vraiment un cadeau.
Jacovides-Moreau/Bestimage
– Vous pensez réaliser votre deuxième film ?
– J’en ai envie en tout cas. Je réfléchis, pour l’instant. Je pense que l’histoire de filiation et de famille, là encore, sera quelque chose de très important.
Photo de couverture : © Emmanuelle Jacobson Roques
Film
La Venue de l’avenir
Réalisation
Cédric Klapisch
Distribution
Suzanne Lindon, Abraham Wapler, Vincent Macaigne
Sortie
18 juin 2025
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