Corinne Le Brun
01 October 2025
En 1998, Alexandre Lacroix1 publie à seulement 22 ans Premières volontés (Ed. Grasset). Premier roman dans lequel il se livre sur le suicide de son père, survenu lorsqu’il n’avait que 11 ans. Un choc qui l’a marqué à vie. Depuis, il n’a qu’un but : écrire et être publié.
Eventail.be – Qui est Pierre Lepère, ce “fou furieux de la littérature” ?
Alexandre Lacroix – Pierre Lepère joue un rôle important dans le roman. Pour la première fois, à 18 ans, j’ai rencontré un écrivain publié vivant. Jusque-là, je fréquentais des livres, des classiques. Et là, j’avais devant mes yeux un écrivain. Pierre Lepère était un personnage tout à fait singulier. Il avait publié deux recueils de poésie chez Gallimard. Un jour, il est parti vivre à la cloche de bois. Il a été clochard pendant 7 ou 8 années. Il avait gardé en lui quelque chose d’excessif. On s’est rencontrés dans une librairie. On est devenus très amis. Et dans mes jeunes années où je débutais dans l’écriture, il m’a accompagné, il m’a conseillé, il m’a fait énormément lire.
– Pourrait-on dire qu’il était votre muse ?
– Pas tout à fait. Il me semble qu’on devient écrivain par les autres. Des transmissions vivantes se font. Un peu comme si on donnait des secrets entre artisans. La muse, au contraire, est un être abstrait qui n’existe pas. Qu’on idéalise. Au contraire, un mentor, c’est un autre écrivain qui va prendre le temps de vous montrer les gestes, ce qu’il faut faire. Parce qu’il y a une partie technique dans tout art, il va vous donner des astuces. Il va rentrer dans votre manuscrit. Et puis, il va vous dire, mais ça, tu jettes, c’est lourd. Et il va vous expliquer pourquoi. Il va vous faire progresser de cette façon-là. Le compagnonnage effectué avec Pierre Lepère est vraiment fondé sur la pratique, très confraternelle, en fait. J’ai commencé à écrire ce livre sur ma vie il y a trois ans, quand j’avais 37 ans. Pierre a été malade à cette époque. Il est mort pendant l’écriture du livre. Il n’a jamais pu le lire. Donc, Devenir écrivain lui est dédié.
– Ecrivain, est-ce vraiment une vocation ?
– Oui et non. Quand je me mets en scène à 17 ans, le désir d’écriture et d’être publié est très fort. Je veux vraiment écrire et publier un livre. J’écris tous les jours. J’ai vécu cette vocation dès l’âge de 6 ans. Je mettais le réveil plus tôt le matin pour écrire avant d’aller à l’école. Et à 18 ans, de la même manière, j’étais habité par cette vocation. Le seul problème, c’est que dans ma vie, il n’y avait rien qui collait. C’est-à-dire que j’étais étudiant, mais en mathématiques, pas en littérature. Je n’avais pas du tout mes entrées dans le milieu littéraire. Personne n’a publié dans ma famille. Enfin, je ne savais pas comment m’y prendre. Je ne connaissais pas d’écrivains vivants. Pierre Lepère est arrivé dans ma vie un peu après. Et d’autres, ensuite.
– Dans une des parties de votre roman, vous insistez sur la coupe. Jusqu’où peut-on couper dans un texte ?
– La coupe est un outil important. Devenir écrivain fait presque 400 pages. En manuscrit, il faisait le double. J’ai enlevé la moitié. Comme je le raconte dans le roman, Jean-François Kervéan, mon premier éditeur, a fait avec moi un page-à-page qui consiste à reprendre le manuscrit et à parcourir ensemble toutes les lignes. On enlève les adverbes, les métaphores, les adjectifs… Le texte se bonifie, avec des coupes chirurgicales. Par rapport à un premier jet, on enlève un tiers, c’est souvent mieux, plus léger, ça va plus vite. Mais il faut couper adroitement. Cela s’apprend. Et après, on enlève des parties ou des scènes entières. On les supprime, mais elles vont garder une espèce de présence fantôme sous-jacente. Dans un livre, il ne faut pas tout dire. Il faut laisser de la place au lecteur, à son imaginaire. Si on veut tout raconter chronologiquement du début à la fin, on va être très, très ennuyeux. C’est un autre rôle de la coupe.
– Vous avez co-fondé l’école Les Mots avec Elise Nebout. En quoi l’apprentissage d’écriture est-il nécessaire ?
– L’apprentissage concerne tous les arts. C’est-à-dire que si vous voulez pratiquer la peinture, vous allez à l’académie. Vous voulez faire du théâtre ? Vous irez au conservatoire. Même chose pour la musique et la danse. Et bizarrement, pour la littérature, pas mal de gens imaginent que qu’elle serait un art qui ne s’apprend pas. C’est quand même très naïf. La littérature n’a pas bien organisé sa transmission. Il manquait un lieu. J’ai cocréé l’école Les Mots pour répondre à un manque.
1 : Alexandre Lacroix est directeur de la rédaction de Philosophie Magazine.
Photo de couverture : © Serge Picard
Livre
Devenir écrivain
Auteur
Alexandre Lacroix
Éditeur
Allary Editions
Sortie
2025
Sur internet
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