Christophe Vachaudez
01 November 2025
Fruit d’une étroite collaboration entre l’artiste et l’architecte, la maison symbolise le dialogue permanent, la cohésion, voire la fusion entre l’intérieur et l’extérieur. Cette interpénétration a créé des espaces d’une ampleur peu commune que les vastes baies ne semblent pas limiter mais au contraire prolonger vers une nature infiniment inspirante. Céramiste, peintre et sculptrice tellurique, Sophie Cauvin apprivoise les terres, évoluant dans un univers où géologie et minéralogie s’unissent pour le meilleur. Rien d’étonnant qu’elle ait déniché cette pierre de Vals qui habille les façades. Extrait des montagnes suisses, au cœur du canton des Grisons, ce quartzite micacé à grains serrés révèle des reflets bleuâtres et parfois verdâtres, tout en scintillant sous l’effet des rayons solaires. Des millions de paillettes animent soudain ces murs monolithes dont le relief, né de la superposition audacieuse des tranches clivées, rompt toute monotonie. Placée latéralement, l’entrée principale se devine au terme d’une allée pavée. Presque confidentielle, elle se fond dans une façade aux volumes marqués qui évoquent l’attirance de l’architecte pour un cubisme et un minimalisme médités. Au contraire, l’autre façade communique directement avec le jardin grâce à un rideau vitré éclairant en abondance l’atelier, centre névralgique de ce vaisseau amiral. Des murs immaculés et un sol en pierre reconstituée teinté de blanc ajoutent encore à la luminosité du lieu qui accueille une collection unique de terres issues du monde entier.
© Mireille Roobaert
© Mireille Roobaert
Patiemment glanées depuis trente-cinq ans au fil de voyages proches ou lointains, elles ont été minutieusement classées en dégradés de couleurs. La richesse des tons se découvre encore mieux depuis le balcon de l’étage, une position privilégiée d’où l’on peut apprécier la variété inouïe des échantillons de roches, à la base du processus créatif de Sophie Cauvin. Composante essentielle, le jardin participe à la sérénité d’un lieu qui, pourtant, vibre d’une énergie sentie. Au-delà des larges baies s’épanouit la frondaison magique d’un hêtre pourpre de 300 ans, gardien vénérable de ce paradis verdoyant. Déjà présentées dans l’atelier pour quelques-unes, les œuvres de l’artiste s’approprient pleinement un autre espace monumental. La lumière zénithale y pénètre à flots et met en valeur la puissance des toiles et des sculptures exposées, autant d’hommages appuyés à la beauté et à la force de la nature. Si la pierre de Vals a été employée pour l’escalier menant à l’étage, elle se décline également, polie ou clivée, dans la salle de bains et la chambre.
© Mireille Roobaert
Même parti pris au rez-de-chaussée dans l’unité regroupant les pièces de vie. Elle se marie ici – et ailleurs – à un chêne vieilli qui a reçu nombre de couches de patine afin d’atteindre l’harmonie parfaite. Dans le salon, autour d’une table signée Soufiane Zarib, une chaise de Jérôme Abel Seguin et de confortables canapés incitent à la halte, une façon de profiter du soyeux tapis berbère, mais aussi de la fascinante collection de minéraux ornant les étagères, dont une pyrite magique aux cristaux d’habitus cubiques. Un buste de l’Artemis d’Éphèse, statue de la déesse-mère de la fécondité, et une imposante gaspéite, un carbonate de nickel aux vertus apaisantes, parachèvent l’ensemble. Une fois encore, d’autres larges baies s’ouvrent sur les jardins. Celle du salon dévoile un bassin à l’eau jaillissante cerné de gazon vert tendre, alors que celle du bureau nous plonge dans l’atmosphère apaisante d’une chambre de verdure japonisante… Autant de tableaux dont les fenêtres font office de cadre. Les érables et les massifs savamment agencés invitent à la promenade. Comme elle sculpte ses œuvres d’art, Sophie Cauvin a modelé la végétation, s’adonnant avec bonheur à une taille qui ménage la surprise et joue sur les perspectives.
© Mireille Roobaert
On lâche bientôt prise tout en cheminant vers l’arrière de la maison que l’artiste a agencé durant la pandémie, comme un prétexte urgent à l’escapade. Pour des raisons techniques, le jardin s’est construit à reculons et les pierres de Soignies, grossièrement équarries, ont tout d’abord formé le jacuzzi avant de délimiter le cours d’une rivière qui semble avoir toujours existé. Suivant les saisons, l’horizon se réinvente, quand les rhododendrons et le lilas d’Inde fleurissent, quand les dégradés de verts se répondent, quand les feuillages rougeoient à l’automne, quand le parfum des azalées et des osmanthes embaument. Le regard vagabonde et le spectacle se fait changeant. Moderne et pourtant rustique, un mobilier de jardin signé de l’allemand Thomas Rösler permet d’en profiter à son rythme. Au loin, la silhouette d’une cabane se dessine, refuge rêvé au terme de ce voyage initiatique, presque libérateur. La quiétude y a pris ses quartiers. Sophie a réécrit son histoire, sculptant la porte qui donne accès à un cocon intimiste.
À l’intérieur, une autre porte que son père lui a léguée, séculaire et robuste, a enfin trouvé sa place après des années d’errance. Des ceps de vigne, noueux à souhait, sont devenus poignées. Ils font coulisser des cloisons en chêne vieilli qui dissimulent la cuisine. La cabane se suffit à elle-même, thébaïde temporaire ou retraite choisie. Quelques marches mènent à la pièce principale où un plancher accueille une table trouvée chez Michiels. De part et d’autre de la couche, d’où l’on embrasse la rivière ondoyante, ont pris place un champignon pétrifié, porte-bonheur des empereurs du Japon, et un cristal de roche de l’Himalaya. Une sculpture de l’artiste baptisée Feu ophidien embellit encore ce havre caché. Maison-atelier, temple de lumière où les œuvres semblent flotter, et nid confidentiel qui respire la sérénité : les deux univers de Sophie Cauvin se juxtaposent et se complètent, en symbiose avec cette nature triomphante, moteur de toute création.
Photo de couverture : © Mireille Roobaert
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