La pierre est à la mode

Giorgio Armani est en train de construire sa nouvelle Beach Residence à Dubaï, sur l’île artificielle de Palm Jumeirah. L’ensemble résidentiel comprend des appartements de différentes surfaces ainsi que des penthouses, tous avec vue imprenable sur le golfe Persique et, bien sûr, entièrement aménagés avec du mobilier Armani Casa. Même les services et commodités partagés seront signés et gérés par la marque. Évidemment, le prix est à la hauteur du prestige du groupe : près de 6 millions d’euros pour un appartement deux chambres. Mais Armani n’est pas la seule maison de mode à manifester un intérêt croissant pour le secteur immobilier. Dolce & Gabbana lance Design Hills à Marbella (Espagne), tandis que Versace a réalisé, à Marbella également, les luxueuses villas de Nueva Andalucía. Au Qatar, sur Qetaifan Island North, c’est Elie Saab qui finalisera d’ici 2026 Les Vagues, un complexe en front de mer composé de cinquante-neuf résidences réparties sur plusieurs bâtiments aux intérieurs somptueux, dessinés par le créateur lui-même. Quant à la maison Fendi, pour ses Private Residences, elle a jeté son dévolu sur la montagne, et plus précisément sur la station suisse de Crans-Montana.

Et la liste continue… À l’échelle mondiale, on recense actuellement près de 700 résidences de marque, issues non seulement du monde de la mode, mais aussi de l’automobile ou de l’hôtellerie. Le chiffre devrait atteindre 1200 d’ici 2030. D’après le Branded Residences Annual Report 2024–2025 de la société de conseil immobilier Savills, basée à Londres, le nombre de ces projets immobiliers a augmenté de 160% en dix ans et poursuit sa croissance au rythme annuel de 12%. Les développements les plus dynamiques sont attendus en Asie (notamment à Hong Kong et Singapour, mais aussi en Thaïlande et au Vietnam), au Moyen-Orient (Dubaï et Arabie saoudite), ainsi qu’en Afrique, où Le Caire devrait passer de deux à vingt-deux projets en une dizaine d’années.

Pour les marques de luxe, ces opérations immobilières sont une façon de diversifier leurs investissements financiers et de s’assurer des rendements solides et stables, ce qui est évidemment particulièrement précieux en période d’incertitude ou de ralentissement du cœur de métier. On peut aussi y voir une extension naturelle de leur stratégie, puisque les grands groupes de luxe (LVMH en tête, mais aussi Kering, Prada et d’autres) ont déjà investi des sommes considérables au cours de la dernière décennie pour acquérir des emplacements retail, ultra premium, sur les artères les plus prisées du monde, tels que la Fifth Avenue à New York, la via della Spiga à Milan, ou les Champs-Élysées à Paris. On se souvient encore du montant record déboursé par Kering au printemps dernier : 1,3 milliard d’euros (!) pour s’offrir un immeuble de la via Montenapoleone à Milan.

Les branded residences vont plus loin encore. Elles permettent aux marques de transposer leur ADN de l’univers du vêtement ou de l’accessoire vers celui de l’habitat. Les marques offrent ainsi à leur clientèle – fidèle ou nouvelle – une immersion totale dans leur art de vivre. La bonne nouvelle, c’est que cette clientèle cible est en expansion. Selon les projections de Knight Frank, la plus grande société privée de conseil immobilier au monde, le nombre d’UHNWI (Ultra High Net Worth Individuals) devrait croître de 28% d’ici 2027, ce qui représente 165 200 nouveaux individus, qui s’ajouteront aux 23 millions déjà recensés. La majorité se concentrera aux États-Unis (30%) et en Chine (27%), mais aussi au Canada, en Australie, en Inde, en Allemagne et au Royaume-Uni. Ce sont eux, et ils seront de plus en plus nombreux, les acheteurs naturels de ces résidences de prestige, que les marques courtisent déjà activement. Bref, rien d’irréaliste à prévoir une hausse de la demande de résidences secondaires dans des destinations urbaines ou de villégiature à travers le monde, par exemple en Italie, au Portugal, en Turquie, en France ou encore en Grèce, pour ne citer que quelques destinations.

Avec les branded residences, les maisons de luxe créent de véritables havres de raffinement où l’on profite d’un art de vivre exceptionnel, reflet d’un standing évident. Et les acheteurs sont prêts à payer le prix de l’exclusivité : le coût au mètre carré est en moyenne 30% plus élevé que pour une propriété comparable dans la même localité. Pour certaines adresses, comme celle d’Armani à Palm Jumeirah, cet écart peut grimper jusqu’à 63%. Mais pour le client aussi, une telle acquisition est un investissement sûr, puisque la signature d’un grand nom rend le bien encore plus désirable. Selon plusieurs études, le ROI (Return On Investment) est supérieur à celui des propriétés non “brandées”, tout comme la vitesse à laquelle le bien prend de la valeur. Et tout cela sans compter les revenus complémentaires générés par la location de ces biens durant les périodes où ils ne sont pas occupés.

Photo de couverture : Le créateur libanais Elie Saab continue d’étendre son empreinte immobilière de Dubaï aux Maldives, en passant par Londres et les Caraïbes. À Doha, sur Qetaifan Island North, il signe les intérieurs du projet Les Vagues, réalisé avec Dar Al Arkan. © Elie Saab