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"Enzo", le cheminement d’un adolescent

CinémaFilmInterview

Corinne Le Brun

02 July 2025

Laurent Cantet et Robin Campillo brossent le portrait d’Enzo confronté à la dure réalité du monde. C’est l’histoire de deux sensibilités qui s’entremêlent. « Enzo » est l’ultime long métrage de Laurent Cantet, emporté par un cancer le 15 avril 2024. Le film est finalement réalisé par son ami Robin Campillo. Rencontre.

Refusant le confort bourgeois de sa condition sociale et une trajectoire scolaire toute tracée, Enzo (Eloy Pohu), 16 ans, se frotte à la dure réalité du travail comme apprenti maçon sur un chantier de construction à La Ciotat. Éducation, transmission, changement de milieu social. Enzo, le transfuge de classe, choisit la mobilité descendante. Il quitte son milieu social bourgeois d’origine pour en intégrer un autre, celui du monde ouvrier. Il devient apprenti maçon aux côtés de Vlad, un réfugié ukrainien. Une lubie passagère ? On retrouve la marque de Laurent Cantet avec son arrière-fond politique et ce face à face de deux mondes que rien ne devrait rapprocher. Robin Campillo, à qui Laurent Cantet avait demandé de “terminer” le film, apporte sa touche personnelle tout en restant fidèle à l’œuvre du cinéaste décédé trois semaines avant le tournage.

Eventail.be – D’où est venu le titre « Enzo » ?
Robin Campillo
– C’est Laurent qui l’a trouvé. On avait pensé au titre Le Petit dernier. Puis, l’idée d’un prénom seul nous séduisait. Un peu comme Aurélien (Louis Aragon), Sylvie ( Guy de Maupassant), Marius, Fanny (Marcel Pagnol)… Un prénom a l’avantage de présenter le personnage et d’en brosser le portrait. Enzo est apparu comme logique dans le film, en tant que fils d’un père italien.

– Dans quel état d’esprit étiez-vous avant et pendant le tournage ?
Je n’arrive même pas à dire que j’étais triste parce que j’ai l’impression qu’il fallait être là pour la promesse d’être un “bon petit soldat”. Puis, très vite est venue une forme d’exaltation de se dire qu’à des moments dans la vie, il faut faire les choses, il ne faut pas réfléchir, il faut se lancer… C’était vraiment étrange. Et aussi assez joyeux. Évidemment, les derniers moments de Laurent étaient perturbants mais ce serait malhonnête de dire que je me suis fondu en larmes. Marie-Ange Luciani, la productrice et Gilles Marchand, le coscénariste, m’ont aidé sur le tournage. Comme je devais réaliser, j’étais plus dans l’action. C’était jubilatoire de ce que rien ne s’arrête, qu’un nouveau film de Laurent va sortir. Tout ça empêchait la tristesse.

De films van Pierre

– D’après vous, qu’avez-vous apporté de personnel dans le film ?
Il m’est très difficile de le savoir. Quand on a discuté avec Laurent du fait que je reprenne le film, je lui avais dit : « je ne sais pas si le film va ressembler à ce que tu fais. Je ne peux pas te jurer que je vais faire la même chose. » « Mais il n’y a aucun souci. » m’avait-il répondu. Je suis plus obsédé par le rapport entre la sensorialité et la sensualité, comment on passe de l’un à l’autre. La sensualité du jeune Ukrainien qu’Enzo rencontre sur le chantier, passe aussi par l’ombre des branches d’arbres, la mer, le vent … On est éblouis. Comme un vertige amoureux, l’ouverture de son corps au monde. Tout ça, pour moi, doit se mélanger. Je pense que l’adolescence est aussi un moment où on mélange justement la sensorialité et la sensualité.

– Dans la plupart de ses films, Laurent Cantet s’est beaucoup intéressé à l’adolescence masculine
Effectivement, il a toujours travaillé sur un garçon parce que j’ai l’impression qu’il a toujours eu le sentiment qu’il était lui-même passé à côté de son adolescence. À l’hôpital, il nous a confié « je m’excuse parce que j’étais sauvage quand j’étais jeune. » Il voulait dire quelqu’un de réservé, qui ne s’ouvre pas beaucoup, qui ne parle pas beaucoup de lui-même… Je pense qu’il ne s’est jamais autorisé à parler de personnages féminins de cette manière parce qu’une jeune fille vit une autre adolescence que lui ne connaît pas. Je pense que l’incarnation, l’identification lui étaient importantes. Mais, en même temps, la fascination qu’Enzo a pour Vlad, incarne un peu aussi une forme de masculinisme. Être un homme viril est plus désirable. Vlad représente à la fois le monde ouvrier et la guerre, les soldats… Il y a comme une fraternité très masculine.

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– Quel regard portez-vous sur l’adolescence ?
Je pense qu’il faut rester un peu fidèle à son adolescence. J’ai l’impression que je ne suis jamais devenu un homme. Je suis resté un garçon mais je suis vieux, quand même. C’est très bizarre. Mon adolescence et ma jeunesse ont tout de suite été gâchés par l’arrivée du SIDA. Il a détruit mon insouciance et, en même temps, il m’a empêché de devenir un homme complètement. Je me suis toujours senti comme un peu précaire. Pour moi, l’adolescence est une phase de crise qu’on devrait garder un petit peu toute sa vie. Elle permet de se remettre en question, de douter un peu de soi, de penser qu’on n’est pas fait pour cette société, pour les histoires d’amour. En fait, c’est bien de ne pas être sûr de soi.

– Enzo incarne un transfuge de classe inversé
C’était vraiment l’idée de Laurent. Quand il m’a fait lire une première version du scénario, j’ai trouvé cette histoire de transfuge de classe inversé extraordinaire. Il m’en avait parlé depuis longtemps. L’adolescent en rupture ban montre aussi la confrontation entre un père et son fils. Enzo rejette son père pourtant plutôt bienveillant. La société nous a rattrapés parce que, très souvent maintenant, des adolescents refusent de rentrer dans les rangs des parents ou dans la bourgeoisie et veulent être tatoueurs, ouvriers ou faire de la cuisine. Ils aspirent à des métiers très concrets comme s’il y avait une inquiétude de l’absence de sens des boulots, notamment intellectuels, culturels… C’est peut-être aussi le refus du capitalisme. Beaucoup d’adolescents sont vraiment dans une critique de l’argent qui arrive sans que quelque chose soit produit. C’est vrai que construire des murs, faire des tatouages, marquer les corps, c’est donner plus de plaisir à ce qu’on produit.

– Enzo demande à sa mère « combien gagnes-tu ? »
Cette question, on ne la pose absolument jamais quand on est enfant. C’est un tabou de demander à ses parents combien ils gagnent. Justement, Enzo se demande quelle est sa place dans cette famille, sur quoi elle est fondée. Le père et la mère travaillent mais leur maison luxueuse provient d’un héritage. Ils vivent de ça. Enzo demande à sa mère combien elle touche exactement, sachant qu’elle gagne plus que son père. Il sent qu’il y a un tabou. Comme s’il transgressait quelque chose, comme s’il lui demandait des choses personnelles, presque sexuelles. Il entre dans l’intimité. Sa mère éprouve une gêne énorme.

« Enzo » de Laurent Cantet et Robin Campllo. Avec : Elodie Bouchez, Pierfrancesco Favino, Eloy Pohu.

En salle mercredi 2 juillet 2025.

Rolf Sachs be-rühren

Arts & Culture

Artiste inclassable, Rolf Sachs (Lausanne, 1955) explore depuis les années 1990 les frontières entre peinture, sculpture, photographie, design et installation.

Allemagne, Schweinfurt

Van 18/07/2025 tot 05/10/2025

Extra informatie

Film

Enzo

Réalisation

Laurent Cantet et Robin Campillo

Distribution

Elodie Bouchez, Pierfrancesco Favino, Eloy Pohu

Sortie

En salle le 2 juillet 2025

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