Martin Boonen
20 November 2025
Le 11 septembre 2025, Addis Stories a ouvert ses portes au 48, rue du Vieux Marché aux Grains, dans le centre de Bruxelles. La date n’a pas été choisie au hasard : elle coïncide avec le nouvel an éthiopien, marquant symboliquement le début d’une nouvelle aventure pour ce couple belgo-éthiopien. Une journée festive a inauguré le lieu, mêlant cérémonie traditionnelle du café, musique et dégustations.
© Addis Stories
Le concept réunit un coffee bar et une boutique d’artisanat dans un espace élégant et contemporain. Anna Dersie, la cofondatrice, résume ainsi la philosophie du lieu : « L’idée, c’est vraiment d’apporter un petit goût d’Éthiopie ici dans toutes ses dimensions. Donc par le café, mais aussi par l’artisanat, par le décor, l’hospitalité. » Le nom lui-même porte cette ambition. « Addis-Abeba, ça veut dire “nouvelle fleur” en amharique. Donc, à Addis Stories, nous aspirons à raconter de nouvelles histoires », explique-t-elle, soulignant la volonté de ne pas se cantonner à la tradition, mais d’inscrire l’Éthiopie dans la modernité.
Pour comprendre la singularité d’Addis Stories, il faut remonter aux origines du café. L’Éthiopie occupe une place unique dans cet univers : c’est le seul pays au monde où le coffea arabica pousse encore à l’état sauvage dans les forêts d’altitude. « Ce qu’il faut savoir, c’est que tous les cafés arabica sont au départ éthiopiens », rappelle Anna. « Le seul endroit où le café pousse à l’état sauvage, c’est en Éthiopie. »
Des caféiers sauvages © DR/Shutterstock.com
Le pays compte environ 400 000 hectares de plantations, principalement situées entre 1 500 et 2 200 mètres d’altitude. Cette élévation ralentit la maturation des cerises et permet aux grains de développer des sucres et des acides complexes, produisant des cafés à l’acidité vive et aux arômes fruités. Les principales régions productrices se distinguent par leurs profils aromatiques : Yirgacheffe pour ses notes florales de jasmin et de bergamote, Sidamo pour ses touches de baies et de citron, Harrar pour son caractère vineux et chocolaté, Guji pour sa douceur et ses notes de fruits à noyau.
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La diversité génétique éthiopienne est sans équivalent. « Pour dire la diversité, on a plus de 5 000 variétés d’arabica en Éthiopie. Tandis que dans les plantations en Amérique du Sud, c’est en général une variété, il y a très peu de diversité génétique. En Éthiopie, on a vraiment le patrimoine génétique qui est là », souligne Anna Dersie. Cette richesse fait du pays un réservoir irremplaçable pour l’avenir du café, notamment face aux défis du changement climatique. Sur le plan économique, le café constitue un pilier national. L’Éthiopie est le cinquième producteur mondial et le premier du continent africain. Fait remarquable : près de la moitié de la production est consommée localement, témoignant de l’ancrage profond du café dans la culture éthiopienne.
Le café structure l’identité culturelle éthiopienne bien au-delà de la simple boisson. La cérémonie du café, appelée Buna, constitue l’événement social le plus important dans de nombreuses régions du pays. « Le café, c’est aussi un symbole d’hospitalité et de temps passé ensemble », observe Anna. « Je parle de cérémonie parce qu’il y a vraiment tout un cérémonial. Il y a une table spéciale pour faire le café, une table basse. On met des herbes au sol, on fait brûler de l’encens. Il y a vraiment tout un rituel très important. Et ce n’est pas juste pour faire joli ou pour les touristes. »
© DR/Shutterstock.com
Traditionnellement conduite par les femmes de la maison, la cérémonie peut durer deux à trois heures. Elle commence par la torréfaction des grains verts sur un petit feu, suivie du broyage au mortier et de l’infusion dans la jebena, une cafetière en argile au corps bulbeux caractéristique. Le café est ensuite servi en trois rondes successives, chacune portant une signification symbolique : l’éveil, le renforcement des liens, puis la bénédiction.
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« Quand on invite au café, c’est comme une invitation à l’amitié. C’est plus que juste boire le café. C’est un signe d’amitié, de respect », résume Anna Dersie. « Ce sont toujours les femmes qui préparent le café. En général, on met une belle robe. C’est un honneur. » Ce rôle confère aux femmes une position centrale au sein du foyer et de la communauté, transmettant cette tradition de génération en génération. La cérémonie se déroule deux à trois fois par jour dans de nombreux foyers éthiopiens. Elle offre un moment privilégié pour discuter, partager des histoires et renforcer les liens sociaux. L’encens, souvent de l’oliban ou de la myrrhe, est brûlé tout au long de la préparation pour purifier l’espace et créer une atmosphère spirituelle.
Mais l’Éthiopie sait aussi adapter ses traditions aux réalités contemporaines. « J’aime bien les Éthiopiens parce qu’ils ont des traditions très ancrées. Mais ils parviennent, sans les trahir, à les adapter aux contraintes modernes de la société », raconte Anna. À Addis-Abeba, où le rythme de travail ne permet pas toujours de consacrer deux heures à la préparation du café, des adaptations ont émergé. « Sur les trottoirs, il y a des dames qui ont tout le petit matériel et qui préparent les cafés. Les gens n’assistent pas à toute la préparation parce qu’ils travaillent. Mais quand on fait la pause café, ils savent que le café est préparé de manière traditionnelle. »
C’est cette rencontre entre tradition et modernité qu’Addis Stories entend proposer à Bruxelles. Le lieu se définit comme un pont entre les deux pays, une invitation à la découverte dans le respect de la terre et des hommes.
Côté café, l’établissement travaille exclusivement des cafés éthiopiens en single origin, torréfiés localement pour garantir la fraîcheur, puis moulus juste avant la préparation. « On sait exactement d’où il vient, donc on a un profil très spécifique », précise Anna, comparant cette approche à celle du single malt pour le whisky. Une barista professionnelle prépare les cafés selon différentes méthodes, de l’espresso classique aux spécialités locales comme l’Ethiopian macchiato ou le Cascara, une infusion de pulpe de cerise de café.
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La carte propose également des pâtisseries aux saveurs éthiopiennes, notamment des spéculoos au kororima (cardamome éthiopienne) et un gâteau chocolat au poivre Timiz, ainsi qu’un lunch végan à base d’injera, la grande crêpe de teff typique de la cuisine éthiopienne. Une sélection de produits artisanaux et équitables complète l’offre : bijoux, textiles, mobilier, poterie, miel des hauts plateaux et moringa, tous issus de coopératives locales avec lesquelles le couple collabore.
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La cérémonie traditionnelle du café, dite Jebena Buna, est organisée un dimanche sur deux sur inscription, permettant aux visiteurs de vivre cette expérience dans sa dimension rituelle complète.
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« L’idée, c’est vraiment de travailler des produits de qualité et de les mettre en valeur. L’idée aussi, c’est de montrer une image autre. Des gens qui n’ont pas d’image du tout, ou parfois une image de l’Éthiopie comme étant pauvre. C’est de valoriser ce qui existe en Éthiopie et qui est assez impressionnant », explique Anna Dersie.
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Le parcours de la fondatrice éclaire cette démarche. Ancienne photographe de voyage, elle découvre l’Éthiopie en 2012 et y trouve ce sentiment de dépaysement total qu’elle ne ressentait plus ailleurs. Elle y rencontre son futur mari, Tèchou, et ensemble ils fondent d’abord une agence de voyages spécialisée, puis développent des projets avec des communautés rurales autour du miel et du Moringa. Addis Stories prolonge naturellement cette volonté de faire découvrir la richesse culturelle et les produits d’excellence d’un pays qui reste méconnu.
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Le lieu s’inscrit pleinement dans la mouvance du café de spécialité, en partenariat avec OK Coffee Studio qui y dispense des formations de baristas. Il accueille également des ateliers de dégustation, contribuant à l’éducation du palais des amateurs bruxellois.
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Addis Stories propose ainsi une expérience qui dépasse la simple dégustation. Le visiteur peut y découvrir un café de spécialité aux profils aromatiques singuliers, s’immerger dans une culture où le café occupe une place centrale, et repartir avec des objets artisanaux témoignant d’un savoir-faire ancestral. L’établissement rejoint le paysage bruxellois des lieux dédiés au café de qualité, avec cette particularité de placer l’Éthiopie, berceau de l’arabica, au cœur de son identité.
Adresse
Addis Stories
Rue du Vieux Marché aux Grains, 48
1000 Bruxelles
Ouvertures
Du mardi au dimanche, de 9h30 à 18h30.
Sut internet
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