Christophe Vachaudez
04 October 2025
Achevé en 2022, le projet résulte d’une alchimie parfaite entre le propriétaire, amateur d’art averti, et l’architecte Steven Vandenborre dont les réalisations revisitent le courant moderniste qui, dans notre pays, cohabita avec l’Art déco entre 1910 et 1930. Ces dates ne constituent toutefois qu’un repère imprécis, puisque le mouvement se poursuivit bien au-delà et trouvera une continuité à travers le postmodernisme et la période contemporaine. Les grands arbres de la parcelle ont été préservés et ombragent cette villa moderne dont l’implantation respecte la pente naturelle d’origine. Partiellement enterré, le sous-sol aux parois boisées abrite des espaces de rangement, les locaux techniques et une galerie d’exposition qui s’ouvre sur un jardin privé. De l’extérieur toutefois, point de fenêtres mais un effet miroir qui reflète la végétation. On y trouve également le garage dont la porte a été ménagée dans la partie basse de l’une des ailes latérales de la maison, celle-là même dont la silhouette s’inspire librement de la sculpture Signal de Jacques Moeschal, située à Bruxelles. De larges dalles disposées en escalier mènent à une entrée latérale minimaliste. Déjà, la vue d’ensemble qui s’offre aux visiteurs depuis l’allée d’accès permet de mesurer l’importance accordée aux surfaces vitrées qui inondent de lumière les pièces de vie du rez-de-chaussée comme celles de l’étage, dans un dialogue permanent avec la nature environnante.
Clin d’œil à la passion du propriétaire pour l’art égyptien, les terrasses comme les murs extérieurs et les sols intérieurs ont reçu un parement de marbre au ton doux et laiteux en provenance du pays des pharaons. La décoration reflète son goût marqué pour le design et l’art contemporain. Conseillé par la Boon Gallery, il a ainsi pu réunir des œuvres d’artistes de renom qui côtoient parfois des sculptures plus anciennes, issues d’un héritage familial, qu’il s’agisse d’un torse en grès poli, dans le style d’Angkor Vat, du XIe siècle, d’un buste figurant Kuan Yin, déesse chinoise de la compassion, datant du VIIIe siècle, sous la dynastie des Tang, ou d’une statue indienne du Gujarat exécutée au IXe siècle de notre ère.
De jour comme de nuit, la piscine joue un rôle déterminant dans la conception de la demeure, lui apportant par sa proximité une vraie touche hollywoodienne.
Le salon occupe une place de choix, ouvrant sur la piscine. Une statue d’Angkor et un tableau de Jean-Philippe Dubosq ornent la cheminée.
Dans le salon, qui s’ouvre sur la piscine hollywoodienne par une large baie coulissante, les teintes claires dominent et participent à l’atmosphère douce et reposante des lieux. Devant la cheminée dominée par un tableau dû au belge Jean-Philippe Duboscq et ornée d’une Composition blanche en marbre de Carrare de l’Uruguayen Pablo Atchugarry, s’ordonne un ensemble de canapés modulables de la marque de design italien Flexform posé sur un tapis de sol crème. Quelques coussins et deux tables au plateau en travertin rose signées Angelo Mangiarotti apportent une touche de couleur discrète. Sur l’une d’elles a été posée une sculpture Seed de la belge Catherine François, en bois et bronze. Propice à la détente, le salon apparaît comme la pièce centrale de la maison et communique aussi bien avec la chambre qu’avec la salle à manger, le hall ou la cage d’escalier, en créant des perspectives étudiées qui suggèrent seulement ou s’ouvrent pleinement, suivant le sofa choisi pour une halte bienvenue.
Un tableau de l’artiste Kim Tschang-Yeul s’intègre dans le décor de la cuisine.
La cuisine dispose d’un espace déjeuner tourné vers l’extérieur.
Deux œuvres majeures rehaussent les murs blancs prolongeant l’entrée, une composition cloutée de Günther Uecker, un important artiste allemand membre du groupe ZERO qui vient de décéder en juin, à 95 ans, et une Pittura R écarlate de Pino Pinelli, un poète artiste qui nous a quitté en 2024. Une baie vitrée sépare le hall de la cage d’escalier aux marches en bois. L’architecte a multiplié les lieux conviviaux avec tout d’abord la salle à manger présentant une table au plateau de travertin romain qu’entoure un ensemble de chaises Wishbone de la firme danoise Carl Hansen dont l’existence remonte à 1908. Elle s’ouvre sur la cuisine où une table ronde et des chaises du designer américain Warren Platner occupent le coin déjeuner qui surplombe l’entrée carrossable donnant accès à la maison. À l’extérieur, même esprit convivial avec un espace salon doté d’un ensemble de fauteuils corail de la firme allemande Dedon, bien connue pour son mobilier d’extérieur résistant aux variations climatiques, et un espace repas où l’on s’attable volontiers pour goûter aux joies d’un déjeuner ensoleillé ou d’un dîner à la lueur des bougies. Réminiscence méditerranéenne, un pin a été planté ici en 2022.
Des statues anciennes, issues des civilisations de l’Inde et de la Chine antique, côtoient des œuvres contemporaines, comme ce tableau de Karel Appel, accroché dans le hall.
La démarche féline d’une panthère due au ciseau du célèbre sculpteur animalier belge Raymond de Meester de Betzenbroeck apporte une note Art déco à la chambre installée au rez-de-chaussée. Un duo de chaises vintage et une table au plateau en travertin d’Angelo Mangiarotti complètent l’ensemble. Mises en valeur sur des étagères dans différentes pièces de la maison, des géodes et des tranches de minéraux rares rappellent une autre passion du propriétaire liée à son activité professionnelle, de l’hématite du Brésil au sulfure de Sicile, en passant par la malachite du Congo. À l’étage, le bureau, largement baigné de lumière, permet de travailler dans des conditions optimales sans négliger les moments de pause suggérés notamment par la présence de l’iconique et confortable siège dessiné par le célèbre tandem Charles et Ray Eames. Ce couple de designers américains bien connu a choisi Vitra comme seule entreprise habilitée à fabriquer leurs créations pour l’Europe et le Moyen-Orient. Un ottoman coordonné engage à se prélasser encore davantage. Côté décoration, on remarque un ToTem en acier Corten® et LED du français Maxime Lutun, une sculpture en bois et lamelles d’acrylique de l’Italien Alberto Biasi baptisée Torsioni Sovrapposte et une lampe Artemide d’Angelo Mangiarotti.
La salle de bains et la chambre à coucher s’ouvrent pleinement sur le jardin grâce aux larges baies vitrées qui rendent l’intérieur aux tons doux particulièrement lumineux.
Deux chambres et une salle de bains à bassin de marbre s’approprient le reste de l’étage qui a été parqueté. Partout, les touches chaleureuses de placage et de laiton témoignent des finitions soignées dont a bénéficié le projet qui, outre le mobilier sur mesure, propose nombre d’éléments personnalisés résultant du dialogue établi entre l’architecte et le propriétaire. À l’intérieur, on découvre aussi des sonatines artistiques qui s’offrent comme autant de cadeaux visuels, et ce, dès l’entrée principale. En effet, une fois la porte poussée, Deux Figures du Néerlandais Karel Appel accueillent les invités. Dans la cuisine, une toile du peintre sud-coréen Kim Tschang-Yeul révèle cet univers de la goutte d’eau qui le fascine depuis plusieurs décennies et qui a fait sa réputation. On citera également d’autres noms représentés dans la collection, comme ceux de l’Américain Sam Francis, de l’Allemand Otto Piene, du sculpteur sud-coréen Chun Kwang Young, du vidéaste suisse MARCK ou encore du designer néerlandais Cees Braakman. Ces valeurs sûres s’unissent au design et à une architecture au dépouillement raffiné pour faire de la Villa P. un cocon à l’harmonie unique.
Photo de couverture : Parfaitement intégrée à la nature environnante, la Villa P. illustre à merveille le modernisme contemporain.
Photos : © Frédéric Ducout
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