Christophe Vachaudez
11 December 2025
La balade pourrait commencer devant les imposantes grilles du palais d’Egmont, autrefois résidence de la Maison d’Arenberg et aujourd’hui utilisé par le ministère des Affaires étrangères. L’une de ses ailes borde la rue aux Laines où séchait autrefois cette matière si prisée des liciers et des tisserands. Les grandes familles y construisirent des demeures cossues dont seuls subsistent l’hôtel de Beaufort, l’hôtel de Merode-Westerloo et l’hôtel de Lannoy dont le rez-de-chaussée abrite le Dorotheum, l’une des plus anciennes maisons de vente d’Europe puisqu’elle fut fondée en 1707 ! Non loin, Arenberg Auctions officie dans des domaines bien précis puisqu’elle s’est spécialisée dans les livres rares, les manuscrits, les atlas, les dessins ou encore les estampes. Quelques galeries d’art ont, quant à elles, colonisé certaines maisons bourgeoises de la longue enfilade de style éclectique datant du XIXe siècle sortie de terre à l’heure où Bruxelles s’urbanise à grande vitesse. La rue mène au palais de justice, l’un des monuments emblématiques de Bruxelles, célèbre pour son architecture babylonienne et sa salle des pas perdus où l’apologie du vide fait honneur à la mégalomanie de Léopold II. Retour au petit Sablon où le square, ouvert au public en 1890, offre un cadre de verdure inespéré pour faire une halte et admirer les alentours au-delà des parterres fleuris. Mais qui sait encore aujourd’hui que ce jardin de style néo-Renaissance dominé par les statues des comtes d’Egmont et de Hornes remplace un ancien cimetière ?
La place du Sablon, élégante et emblématique, réunit grandes enseignes, belles adresses et le célèbre marché des antiquaires du week-end. © François Amico
L’art, omniprésent au Sablon © François Amico
Berceau d’institutions culinaires et de nouvelles adresses gourmandes, le quartier du Sablon séduit autant par le Vieux Saint-Martin, emblème bruxellois depuis 1968, que par le glacier Gaston (2016). © François Amico
Il est ceint de grilles néo-gothiques dont les quarante-huit colonnettes accueillent chacune une sculpture, évocation de l’univers des corporations et des vieux métiers de Bruxelles. Le parc fait face à l’église Notre-Dame des Victoires, écrin de nombreux trésors. Elle date du XVe siècle et préserve deux splendides chapelles baroques dues au talent du sculpteur Lucas Faydherbe (1617-1697). L’édifice religieux surplombe une place trapézoïdale qui a toujours été le cadre de festivités et de spectacles, du XVIe siècle à nos jours. Le Sablon Music Festival ou les Nocturnes du Sablon, qui auront lieu fin novembre, en prennent possession le moment venu. Assez proche du Coudenberg où se tenait la cour, l’endroit attira très vite l’aristocratie qui y fit ériger nombre de bâtisses pleines de noblesse. Le lieu devint aussi le théâtre de processions comme celle de l’Ommegang, de jeux populaires comme le tir au perroquet, ou tout simplement de marchés comme celui aux chevaux.
La Galerie Bortier et Gazzosa, où les pâtes figurent parmi les meilleures de la capitale. © François Amico
Le vieux Saint-Martin © François Amico
Réunis en une seule prise de vue depuis la place de l’Albertine, un nombre incalculable d’emblèmes bruxellois avec la sculpture d’Élisabeth faisant face à celle d’Albert Ier, la Bibliothèque royale, le Musée des Instruments de Musique, la pomme du Musée Magritte et l’église Saint-Jacques-sur-Coudenberg. © François Amico
Les antiquaires ont pris la relève, animant un quartier riche en restaurants, des Petits Oignons, situé rue de la Régence, à l’Écailler du palais royal, adresse connue des amateurs de crustacés. Les galeries, les commerces de luxe et les marchands d’art frangent la place et les rues adjacentes où il fait bon déambuler. Certaines enseignes ont même reçu le sésame royal de fournisseur de la cour, comme le chocolatier Marcolini, la pâtisserie Wittamer ou le teinturier De Geest qui, en 2026, fêtera ses 170 ans d’existence. La boutique marque d’ailleurs une sorte de limite entre le Sablon et le Mont des Arts. Il suffit de descendre vers la place Saint-Jean et de remonter la rue éponyme pour entrapercevoir l’une des réalisations architecturales les plus audacieuses des années 1950-1960. Mais avant, la galerie Bortier réserve une belle surprise. Un temps moribonde, elle a aujourd’hui retrouvé un dynamisme nouveau grâce à l’installation d’un coin gourmand qui propose une sélection de fromages, un bar à vins, des spécialités syriennes et libanaises, un charcutier, une trattoria, un comptoir marin et un café littéraire… excusez du peu ! Dédié au goût, le complexe partage l’espace historique avec les bouquinistes qui ont fait sa réputation. On doit sa conception à l’architecte Jean-Pierre Cluysenaar (1811-1880), aussi à l’origine des Galeries royales Saint-Hubert. À noter qu’une remarquable façade de style baroque tardif marque l’entrée de la galerie Bortier, côté rue de la Madeleine. Cette ancienne artère conduit à l’esplanade où fut placé le monument dédié à la reine Élisabeth, la plus étonnante souveraine qu’ait connu notre pays. Il fait face à une statue équestre du roi Albert, son époux, qui date de 1954, avant que ne débute le chantier gigantesque de ce fameux Mont des Arts qui fit couler tant d’encre à l’époque.
Il faut imaginer qu’il y a bien longtemps, les ruelles populaires zébraient la colline du Coudenberg. Les autorités décidèrent de les remplacer par un jardin public. Elles firent appel à l’architecte parisien Jules Vacherot (1862-1925) qui profita de la déclivité du terrain et aménagea belvédères, esplanades, volées d’escalier, fontaines et cascades. L’endroit fit le bonheur des Bruxellois durant quarante-cinq ans avant d’être remplacé par le Mont des Arts.
La superbe vue depuis les escaliers du Mont des Arts dévoile la tour de l’Hôtel de Ville se détachant sur les toits de Bruxelles et guidant le regard jusqu’à la Grand-Place. © PETAR STARCEVIC
Le complexe urbanistique monumental qui relie le haut et le bas de la ville sera achevé en 1969. D’un côté, les Archives générales du Royaume et la Bibliothèque royale qui englobent la chapelle de l’ancien palais détruit en quelques coups de pelleteuses. De l’autre, le Palais des Congrès qui a subi une cure de jouvence en 2009, rebaptisé The Square – Bruxelles Convention Centre. Au centre, un jardin suspendu aux parterres géométriques fut dessiné par René Pechère (1908-2002). Les buis ceinturent les plantes vivaces, tandis que de part et d’autre des ifs taillés en cylindre côtoient des rangées de platanes taillés en rideau. Les grands degrés permettent d’accéder à la place Royale mais bien avant, une rampe mène à la cour intérieure des Musées royaux. Une statue de Charles de Lorraine veille sur l’ensemble qui se compose notamment du palais de l’intéressé, beau-frère de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. La succession des salons aux murs tendus de soieries de Lyon se découvrent à la suite du hall d’apparat orné d’une étoile à vingt-huit branches, pour chacun des marbres de nos régions. Gouverneur de nos provinces durant la période autrichienne, il fut à l’origine de l’aménagement de l’actuelle place Royale qui n’est pas sans rappeler la place Saint-Stanislas de Nancy. La chapelle du palais évoque, quant à elle, celle du château lorrain de Lunéville.
Le carillon du Mont des Arts, installé sur la façade du Palais de la Dynastie à Bruxelles, se compose de vingt-quatre cloches accompagnées de douze figurines. Chaque heure, un air musical différent est joué, accompagné de l’apparition du personnage correspondant à l’heure dans sa niche. À midi, les douze personnages entament une chorégraphie sonore et visuelle. © JOLANTA WOJCICKA, SHUTTERSTOCK.COM
Le carillon du Mont des Arts, installé sur la façade du Palais de la Dynastie à Bruxelles, se compose de vingt-quatre cloches accompagnées de douze figurines. Chaque heure, un air musical différent est joué, accompagné de l’apparition du personnage correspondant à l’heure dans sa niche. À midi, les douze personnages entament une chorégraphie sonore et visuelle. © JOLANTA WOJCICKA, SHUTTERSTOCK.COM
Le Jacquemart, un automate de bronze de 2,80 mètres de haut, pèse plus de 1750 kg. © Jolanta Wojcicka, shutterstock.com
Pôles culturels de la capitale, le musée Magritte et le musée des Instruments de musique (MIM), installé dans les anciens magasins Old England, sont désormais bien connus de tous, de même que l’église néoclassique Saint-Jacques-sur-Coudenberg où les Minimes Cantat se produisent tous les 3e ou 4e dimanche du mois. Mais ce sont les sous-sols qui retiendront ici l’attention, puisque les vestiges du palais où séjourna Charles Quint et où résidèrent les archiducs Albert et Isabelle, sont désormais accessibles au public. Mis au jour lors de campagnes archéologiques, l’ensemble est assurément unique en Europe. Une autre curiosité souterraine se visite aussi sur la place Royale. Il s’agit du musée de la Guilde des arbalétriers, une confrérie créée en 1381 et qui compte aujourd’hui quatre-vingt-cinq membres ! Le saviez-vous ? Et ceci n’est qu’un résumé bien succinct des beautés que concentrent ces quartiers historiques où souffle pourtant le vent de la modernité.
Photo de couverture : Vue sur l’église Notre-Dame des Victoires depuis le square du Petit Sablon. Avec son jardin fleuri de style néo-Renaissance flamande et ses quarante-huit statues de bronze, il se dévoile comme un bijou architectural. © olrat, shutterstock.com
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