Depuis la côte, il suffit de traverser la frontière, de contourner Aardenburg la coquette et de revenir en Belgique à Sint-Jan-in-Eremo afin de profiter pleinement de cette région apaisante et plutôt méconnue. Ici, la terre et l’eau affleurent, formant une curieuse mosaïque dépourvue de relief, seulement troublée par le clapotis de l’eau, le bruissement des feuilles et le chant des oiseaux. La quiétude règne en maître et si l’on sait que “eremo” veut dire désert, on aura vite compris… Il faut remonter au Moyen Âge pour expliquer la présence de ces criques qui résultent d’inondations successives ou d’avancées agressives de la mer que la vase n’a jamais comblées. N’oublions point les brèches volontaires qui causèrent la rupture des digues et retardèrent l’implacable ennemi. Très tôt, les terres fertiles furent concédées aux fermiers par les comtes de Flandre, mais la vie était rude. Ce n’est pas pour rien que l’on accola “-la-Mort” au village de Sint-Margriete, tant l’eau eut des effets dévastateurs ! D’ailleurs, l’église dut être reconstruite par quatre fois. Quant aux antiques localités de Terpiete ou de Koudekerke, elles ont tout simplement disparu de la carte !
Ce pays de prés salés et de slikkes (vasières) qui doit supporter les assauts de l’onde marine commencera enfin à être domestiqué au début du XVIe siècle, quand les habitants mettent en place des digues et gagnent peu à peu du terrain sur la mer, ce qui explique ces polders géométriques qui semblent avoir été tracés au cordeau. Seules les courbes des criques perturbent joyeusement ce petit monde cartésien, créant un paysage unique érigé en réserve naturelle. En effet, oiseaux et insectes y prospèrent, qu’ils soient de passage ou résidents permanents. En saison, il n’est pas rare de croiser des ornithologues, jumelles à la main, pour apercevoir les imposants cygnes de Bewick dont l’envergure peut atteindre jusqu’à 2,5 mètres. Émergeant de temps à autre des roselières frangeant les criques, le busard des roseaux a trouvé un lieu idéal pour nicher, l’un des rares en Belgique. Quant aux bécassines des marais, aux pluviers dorés et aux chevaliers arlequin, aboyeur, cul-blanc et guignette, ils pataugent avec délectation dans la vase, terrain de jeux des limicoles.
De vele baaien vormen het koninkrijk van de Berwick zwaan. Barry & Carole Bowden
De blauwe vogel is een perfecte buikspreker en kan het gezang van bijna vijfendertig andere soorten imiteren. 2017 Simutan, shutterstock.com
Plongeant à la moindre menace, les grèbes huppés et castagneux fendent l’eau, à l’image des tadornes de Belon, des fuligules et des canards chipeaux et souchets, bien moins farouches. Se cachant dans les buissons, le gorgebleue envoie quelques notes flûtées, mais le coquin parvient à imiter près de trente-cinq autres espèces, de quoi déconcerter plus d’une oreille exercée. Moins roués, la grive draine, le loriot jaune et la tourterelle rentrée d’Afrique s’en donnent à cœur joie, animant les frondaisons des saules têtards, ancrés et massifs, ou celles des fiers peupliers, alignés le long du canal Léopold. Des grappes de moutons broutent entre les troncs, tandis que les oies cendrées surveillent leurs petits, mets de choix pour les renards.
Côté végétation, des bouquets de pruneliers, d’églantiers et de cornouillers sanguins poussent en solitaire ou forment des haies discrètes. En bordure des champs, les ombelles jaunes du panais commun côtoient l’aster maritime, les fleurs roses de la bugrane épineuse, dite aussi “arrête-bœuf”, la guimauve officinale et les nuages de cerfeuil sauvage que survolent papillons et libellules. Les criques se succèdent… La Vrouwkenshoekkreek, la Blokkreek, la Boerekreek, sans doute l’une des plus connues, la Hollandersgatkreek ou encore avec la Oudemanskreek où trône une sculpture de l’artiste belge Chris Ferket intitulée Lorsque le renard prêche la passion, fermier, prends garde à tes oies.
Houten pontons stellen vogelaars in staat om veel soorten van dichtbij te observeren. DR
De veerboot nodigt voetgangers uit om het Leopoldkanaal over te steken © Toerisme Oos-Vlaanderen
Points de repère immanquables, les haies de peupliers mettent le canal Léopold sur la carte. Long de 46 kilomètres, il relie Bouchoute à Heist et fut creusé entre 1843 et 1854. Il a permis de réguler les inondations, d’éradiquer la fièvre des marais et d’irriguer les terres agricoles des alentours. Un bac pour piétons permet de le traverser si vos pas vous ont conduit sur ses rives.
Autres silhouettes amicales, celles de quelques clochers qui guidaient autrefois pèlerins et voyageurs. À Sint-Jan-in-Eremo, des espaliers et des pierres tombales du XVIe siècle encerclent les façades chaulées de la pimpante église dédiée à saint Jean-Baptiste. Plus imposante, l’église Notre-Dame de l’Assomption à Watervliet conserve des œuvres d’art de premier plan. Outre une statue de la vierge Marie par Lucas Fayd’herbe, des paysages peints par Joos de Momper et un retable attribué au Maître de Francfort, un artiste présent au Louvre, au Prado ou au Metropolitan, de quoi confirmer l’intérêt que peut susciter l’un des quinze plus beaux villages de Flandre, centre patrimonial du surprenant pays des criques.
Photo de couverture : Non loin de la côte belge, le pays des criques offre un paysage unique, propice à la randonnée. © De Meester Johan
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