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Corinne Le Brun

01 July 2020

© Marcel Hartmann

Eventail.be - Pourquoi avez-vous décidé d'aborder les thèmes de la paternité et de la filiation ?
Mehdi M. Barsaoui - Je m'inspire clairement d'éléments de mon vécu. Je viens d'une famille recomposée. J'ai des frères de la même mère mais pas du même père. Dès mon plus jeune âge, on me racontait qu'ils étaient des demi-frères. Cela m'avait choqué. Qu'est-ce qu'un frère, un demi-frère? Cette question m'a accompagné pendant mon enfance. Moi, je les considérais comme mes frères et réciproquement. Ils sont reconnus de la même manière. Donc cette appellation est davantage d'ordre affectif et sociétal. J'ai bifurqué sur la question d'un fils et d'un demi fils dans la Tunisie d'aujourd'hui. L'idée de la paternité, de la filiation et du couple a germé en moi.

- La loi du père est-elle toujours aussi forte en Tunisie ?
- Nous vivons dans un pays patriarcal, machiste, dans le sens où les hommes sont les tuteurs légaux de leurs enfants. C'est une question qu'on ne pose même pas à la femme. En Tunisie, la femme jouit de beaucoup de libertés : elle peut accoucher sous x, pratiquer l'avortement. Elle est la plus émancipée du monde arabe. La Tunisie peut être très moderne comme elle peut aussi être ultra conservatrice avec des lois liberticides comme l'adultère qui est passible de cinq ans de prison en Tunisie. C'est tout le paradoxe de la société dans laquelle je vis. Elle affiche une belle vitrine, comme le couple dans le film, jeune, riche, heureux et qui s'assume. En creusant un peu, les dessous sont un petit peu moins beaux. Le poids socio culturel, la mentalité de la société sont toujours très présents. Nous Tunisiens, essayons de trouver notre place. Pour les Occidentaux, on est les Arabes de service et pour les Orientaux, nous sommes trop occidentalisés.

- Le don d'organe est au cœur de votre film
- C'est un enjeu narratif qui s'est imposé durant l'écriture mais qui me permet aussi de m'interroger sur la religion, sur mon pays dans lequel je vis. Aujourd'hui, en Tunisie, que signifie recevoir l'organe de quelqu'un d'autre? Comment la religion, la société l'interprètent-elles ?

Une scène du film Un Fils du réalisateur Medhi Barsaoui
© DR

- Que dit la loi tunisienne ?
- Chez nous, on peut être donneur via la carte d'identité. La religion ne l'interdit pas mais elle ne le favorise pas non plus dans le sens où l'intégrité du corps chez les musulmans prévaut. Etre dépossédé de ses organes une fois mort reste un sujet un peu tabou. Si on veut être donneur de son vivant on passe plus par la famille et, du coup, la transplantation d'organes reste un sujet presque intouchable.

- Le drame familial se déroule sur fond de terrorisme...
- Il se situe en septembre 2011, sept mois après la « révolution de jasmin » (et le départ du président Ben Ali) et un mois avant la mort de Kadafi. Ce fut une époque transitoire, charnière dans la région (entre la Tunisie et la Libye) où je vis. Les attentats ont commencé en septembre 2011. Les frontières sont poreuses, et les premières cellules de Daech commencèrent à se former dans cette zone désertique. Après plusieurs attentats en 2015, on a connu trois ans d'accalmie suivis d'un attentat heureusement sans victime. Ces groupuscules sont les mêmes qui partent en France ou en Belgique. L'état d'urgence a été instauré en 2011. Le niveau 4 subsiste aujourd'hui.

l'affiche du film Un Fils du réalisateur Medhi Barsaoui

- Vous avez rencontré des difficultés lors du tournage ...
- Les intérieurs ont été filmés à Tunis, les extérieurs, dans le sud du pays, à 40 km de la Libye. Nous avons été soumis à une interdiction de tournage par un des gouverneurs du sud du pays qui a jugé que l'on allait porter atteinte à l'image du pays. Il n'avait pas lu le scénario. On a rebondi après. À la fin du tournage, l'autorisation nous a été accordée à nouveau. On n'en avait plus besoin. Après la révolution, les cinéastes s'imprègnent de sujets très proches du peuple. Les films reflètent le quotidien vrai des Tunisiens. Du coup, c'est peut-être aussi pour cela que les Tunisiens reviennent en salle en Tunisie. On assiste à un renouveau du cinéma tunisien, magrébin et même arabe. Il n'y a pas de censure. L'énorme acquis de la révolution tunisienne c'est la liberté d'expression. Etre présent et récompensé à la Mostra de Venise est une reconnaissance énorme1. Cela faisait dix ans qu'un film tunisien n'avait pas été montré à Venise.

Un fils
de Mehdi M. Barsaoui
Avec Najla Ben Abdallah, Sami Bouajila
En salle le 1er juillet 2020
 

1Un fils a été présenté dans la section Orizzonti. Le film a remporté le Prix du jury œcuménique et le Prix du meilleur acteur pour Sami Bouajila.

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