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Corinne Le Brun

23 May 2019

© DR

Ahmed (Idir Ben Addi), 13 ans, projette de tuer son professeur au nom de sa religion. Avec ce film, les frères Dardenne abordent la recherche de pureté à travers l'interprétation extrême du Coran et les appels de la vie. La radicalisation a inspiré le cinéma français ces dernières années. On pense notamment à Weldi de Mohammed Ben Attia et Fatwa de Mahmoud Ben Mahmoud (voir interview du réalisateur sur Eventail.be ici), tous deux coproduits par les frères Dardenne.

Sans parti pris, ni sensationnalisme, sur un rythme lent, très lent, Le jeune Ahmed aborde ce thème brûlant à travers le prisme souvent cher aux frères Dardenne : la famille et l'enfant. Plongée avec eux au cœur de la genèse d'un film une nouvelle fois ancré dans la réalité sociale de notre époque.

Eventail.be - Initialement, le film s'intitulait Ahmed. Pourquoi l'avoir changé ?
Jean-Pierre Dardenne - Ahmed était un titre de travail. Nous nous sommes arrêtés sur un garçon plus jeune, un enfant de 13 ans, vu la jeunesse du comédien (NDLR: Idir Ben Addi, 12,5 ans lors du tournage), on a préféré un jeune Ahmed. A cet âge, il est encore malléable en tant que jeune enfant. C'est très rare qu'un jeune de 18 ans ou 30 ans qui fait ce que fait notre Ahmed revienne en arrière ou change après. Là, nous avons choisi un enfant comme Idir. En l'appelant Le jeune Ahmed, on donne plus d'espoir au destin du personnage.

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- Vous avez fait jouer Idir Ben Addi dans le rôle d'Ahmed. Il est très jeune, inconnu...
J.-P. D. - C'est son premier film, en effet. On a fait un casting comme on fait d'habitude, avec des jeunes qui n'ont jamais joué. Il était présent le premier jour du casting. Il a été tout de suite formidable. Il vient de Bruxelles. Il est belge, dans une famille d'origine marocaine. On l'a revu deux fois. On sentait qu'on pouvait travailler avec lui. Ce qui nous plaisait aussi ce sont ses lunettes. Notre personnage en avait et il se fait que lui, aussi en avait. C'est le destin (sourire)

Luc Dardenne - Nous avons voulu casser le cliché du jeune, fermé, menaçant, triste, prêt à faire un mauvais coup. On voulait au contraire un gamin éveillé, ouvert, un peu intellectuel et qui est fasciné par un imam.

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- A-t-il une compréhension du radicalisme ?
L.D. - Evidemment, le garçon a compris qu'il était sous l'emprise d'un imam, qu'il essaie de tuer une femme parce qu'elle est impure. Mais il ne savait pas très bien que c'était le radicalisme. Il ne le comprend pas comme nous, adultes. Il a 13 ans. C'est un monde qui n'est pas le sien. Il aime le foot. Aucun enfant ne vient sur un plateau de tournage avec l'expérience de tuer ou de ne pas tuer. C'est un jeu d'acteur.

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- Vous abordez à nouveau la thématique familiale, autour du gamin Ahmed qui est mal dans sa peau.
J.-P. D. - Ahmed n'est pas un voyou. Il est pris dans quelque chose qui le dépasse et il en est un acteur zélé. Nous, on s'intéresse à lui parce que c'est un âge où on peut encore changer. Ce qu'on a essayé de raconter comme histoire ce n'est pas comment et pourquoi on se radicalise. Le gamin est déjà sous la coupe de l'imam. Ce gamin de treize ans va-t-il sortir de ce piège mortifère dans lequel il est, ou pas? C'est la question que nous posons. Comment on peut amener ce gamin à s'en sortir, voilà ce que nous racontons. Comment la vie pouvait reprendre ses droits, son territoire ? On ne parle pas en général même si l'histoire a vocation à être au-delà de notre personnage.

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- Ahmed est sous l'emprise religieuse. Il pourrait être en recherche d'absolu ?
J.-P. D. - Ahmed n'est pas mal dans sa peau. Il oscille entre l'imam et les appels à la vie. Le rapport au corps est très important pour lui. Notre film est une sorte d'éloge à l'impureté. Le gamin veut être pur. Son imam lui dit qu'on doit l'être, pas comme ces impurs, pas comme cette femme qui enseigne l'arabe avec des chansons, pas comme sa mère qui ne porte pas le voile... La mise en scène est faite autour du corps de ce garçon qui prend des positions bien précises, pour ses prières. Toutes les religions dressent le corps à certains rites. Cette pureté est un absolu qui sépare les bonnes personnes des mauvaises personnes.

L. D. - C'est en cela qu'il est fanatique. Il pense qu'il faut que toutes les personnes soient bonnes, auxquelles on doit inculquer ce qui est bien, quitte à les tuer. C'est ce que l'imam met dans la tête du gamin. Quand on est adolescent, on est attiré par cette idée de pureté et d'absolu. Ahmed est un peu l'élu de cet imam.

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- Comment vous êtes-vous documentés ?
J.-P. D. - Auprès d'amis très proches de nous, de professionnels qui connaissent bien le radicalisme. Nous-mêmes avons été des enseignants dans des écoles de devoirs maghrébines à Liège dans les années 90. Nous avons aussi rencontré des professeurs, une psychanalyste, des conseillers philosophiques dans des centres fermés, des fermiers.

L. D. - Nous-mêmes avons été des enseignants dans des écoles de devoirs maghrébines à Liège dans les années 90. Nous n'avons pas rencontré de radicalisés.


- Les centres de déradicalisation sont-ils efficaces ?
 

J.P.-D. - L'idée dans notre film est qu'il y ait un éducateur par enfant. Que chaque jeune ait un accompagnant de référence permanent. Mais cela n'existe nulle part.

L. D. - Dans le film, cela ne marche pas. Ce n'est pas grâce à l'éducateur qu'Ahmed change.

J.-P. D. - On a rencontré le psychanalyste français Fethi Benslama (NDLR : pilote de l'antenne psychologique de l'unique centre de déradicalisation en France, aujourd'hui fermé). Selon lui, pour celui qui n'est pas passé à l'acte, il y a encore une possibilité de s'en sortir. Ahmed est un enfant, il n'est pas un homme de vingt ans.

Le jeune Ahmed
De Luc et Jean-Pierre Dardenne.
Avec Idir Ben Addi, Olivier Bonnaud, Myriem Akheddiou, Claire Bodson.
En salle mercredi 22 mai 2019

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