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Corinne Le Brun

13 April 2022

Bartabas et un cheval

Bien qu’il soit la proie d’une nature impitoyable, l’homme sort du chaos. Comment, des millions d’années plus tard, est-il arrivé à devenir le pire prédateur de la planète? Bartabas ne signe pas un manifeste. Ses vingt-deux chants noirs comme le corbeau tissent poésie, rêveries et réflexions. Ils sont une ode au vivant si obscur soit-il : « Esclave de nos angoisses, nous cherchons à retrouver l’intimité perdue d’avec le monde sauvage. » écrit-il. Rencontre.

L'écrivain Bartabas avec un corbeau

© Gallimard/Francesca Mantovani

Eventail.be – Comment ce texte est-il né ?
Bartabas – Je travaille beaucoup d’instinct. D’un seul coup, j’ai eu envie d’écrire. Il y a quarante ans que je travaille avec les chevaux. J’ai eu le temps de m’interroger sur ce qui nous rapproche. Echanger avec un animal, ce n’est pas juste contempler, c’est approfondir sur ce qu’on s’apporte mutuellement. Je vois dans le regard des chevaux l’origine d’un monde d’avant les hommes. Ce rapport très ancien est enfoui depuis longtemps. Le déclic d’écrire Les cantiques du corbeau est né pendant le confinement. Les images d’animaux qui prenaient possession des villes ont beaucoup frappé. Les animaux sont et seront bien présents avant et après vous. Il n’y aura peut-être plus d’humains mais il y aura encore des animaux. L’animal arrivera toujours à survivre au cataclysme.

– Ici, le corbeau renvoie aux origines de l’humanité…
Ce qui me gêne un peu c’est que l’homme apparaît comme la perfection alors que pour moi je dis le contraire : l’homme était un animal sous doué. Il ne court pas vite, il ne grimpe pas aux arbres, il ne vole pas, il ne nage pas sous l’eau, il a été l’objet de toutes les prédations. À mon avis, la mythologie religieuse, c’est placer l’homme au-dessus de toutes les autres conditions. Alors que, moi, je me rapproche plus d’une condition animiste : l’homme est une composante du vivant, ni plus ni moins. Il n’est pas plus important que l’animal, que l’arbre… L’énergie vitale qui nous fait progresser, est la même. Elle est ancestrale et même animale. La mondialisation, c’est quand même faire de la terre entière une immense tribu, conquérir un territoire. Il n’y a rien de plus animal que d’avoir des followers. La transcendance, imaginer l’existence d’un dieu quel qu’il soit, sont venus bien après la naissance de l’homme, comme un besoin quand, tout d’un coup, il a pris conscience qu’il est qu’une poussière dans l’univers et qu’il va mourir un jour. Pour répondre à cette angoisse, il a inventé Dieu. Dieu a servi à le calmer. Les animaux n’ont pas besoin de Dieu. Ils vivent d’instinct la vie comme la finitude, sans en être conscients. Les chevaux qui meurent dans mes bras, je les ai vus s’endormir, partir. Je n’ai jamais vu de regard angoissé.

Un spéctacle équestre choregraphié par Bartabas

Spectacle équestre 'Metamorphosis' chorégraphié par Bartabas © PanoramiC / Photo News

– Le narrateur est tantôt une femme, tantôt un homme, voire les deux…
En effet, j’utilise le « je » au masculin, au féminin…on pourrait même croire que c’est un animal. On ne sait pas parce que personne ne sait. On est toujours dans l’inconnu. Quelles sont les traces des hommes qui n’étaient pas encore des hommes? Il s’agit là de chercher l’animalité qu’on a en soi, de chercher le legs animal qui est encore présent en nous.

L'auteur Bartabas avec un corbeau sur l'épaule

© Gallimard/Francesca Mantovani

– Que vous apporte l’écriture ?
Je suis un jeune écrivain tardif. C’est un plaisir très solitaire. Avec l’âge, je supporte de moins en moins la contrainte qui est nécessaire dans l’art équestre mais, au final, vous ne faites appel qu’à vous-même. Vous avez un crayon pour écrire alors que, pour faire un spectacle, il faut quarante personnes, trente chevaux. Monter à cheval est assez proche de l’écriture. Il s’opère une espèce de miroir comme la page vous renvoie ce que vous exprimez. C’est un long processus. L’acte d’enseigner à un cheval passe par des exercices d’assouplissement, de répétition des mêmes mouvements… Ecrire, c’est chercher la justesse des rythmes, des cadences. Il faut que chaque phrase ait son juste équilibre et corresponde exactement à ce que j’ai envie d’exprimer. Je me considère plus comme un artisan. Je me suis développé une passion pour l’écriture. J’ai trop de respect pour la littérature. L’écriture permet de dire des choses en profondeur. C’est un langage silencieux comme avec un cheval. Le cheval est irremplaçable, il est une partie de vous-même parce que ce qu’on a construit ensemble n’appartient qu’à nous deux comme le texte et son lecteur. Je ne suis pas obsédé par la postérité. Même Zingaro n’a pas de répertoire. Après moi, cela s’arrêtera. Il faut accepter qu’on a une fin (3).

Les cantiques du corbeau part de la relation qu’a le narrateur avec son grand-père. Est-ce la transmission d’un idéal adressée au lecteur ?
Ce sont des chants, des chants de la vie. C’est une forme littéraire assez audacieuse, particulière, difficile à définir. De la manière que Zingaro n’est pas du cirque, du théâtre, de la danse, de la chorégraphie… et, en même temps, il est tout cela. J’ai voulu une forme littéraire qui me soit un peu personnelle, être le narrateur auquel on peut ou pas s’identifier. Le « je » est une partie animale de vous-même. C’est clairement un hommage aux Chants de Maldoror de Lautréamont.

Couverture du livre Le Cantique du Corbeau de Bartabas, chez Gallimard

– Comment retrouver son animalité ?
C’est savoir respecter son instinct. C’est être guidé par ce qu’on ressent. Quand j’ai l’instinct d’accomplir quelque chose, je le fais. Ma vie c’est mon travail. Je sais que je suis juste dans ce que je fais.

– Quelle relation avez-vous avec la Belgique ?
J’ai pleins de souvenirs, c’est un de mes pays préférés. On allait presque tous les trois ans à Namur, pendant vingt ans. J’ai arrêté les grandes tournées dans le monde entier. Je fais les créations qu’à Aubervilliers (2). J’ai acheté un Brabançon que je n’ai pas gardé parce qu’il ne s’acclimatait pas à la vie en box. Mon cheval fétiche s’appelait Zingaro. Je l’ai acheté à un marchand de chevaux près de Bruxelles. Il avait 1 an. C’était un étalon Frison de grande taille. Je l’ai intégré dans le cirque Aligre puis il a pris le nom de Zingaro. J’ai construit ma relation avec lui pendant quinze ans. Il est le seul cheval de la troupe à n’avoir connu que l’activité équestre. Il est mort en 1998. Il a été le moteur de ma complicité entre l’humain et l’animal.

Couverture : Bartabas © Capital Pictures

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(1) :  D’un cheval l’autre, Ed. Gallimard, 2020; Folio, 2021.
(2) :  Prochain spectacle : «Travellers » sur le thème des exilés irlandais.
(3) :  « Les chevaux voyageurs » par Bartabas, hommage aux spectacles du poète-écuyer depuis 40 ans. Projeté au Festival de Venise en 2019, le film n’a pas encore une exploitation commerciale
Cindy Sherman

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Informations supplémentaires

Livre

Les cantiques du corbeau

Auteur

Bartabas

Éditeur

Gallimard

Parution

2022

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