Corinne Le Brun
11 September 2024
Un simple coup de fil suffit à la faire revenir au Havre, la ville où la narratrice (et l’auteure) a grandi. Elle est priée de se rendre au commissariat du Havre pour être entendue dans le cadre « d’une affaire vous concernant ». Le corps d’un homme, sans doute lié au narcotrafic, a été retrouvé sur la plage. Rien ne permet de l’identifier. Seul indice, au dos d’un billet de cinéma, le numéro de téléphone de la narratrice. Stupéfaction. Rumination : « Pouvais-je avoir connu cet homme ? » se demande-t-elle. Le passé fait brutalement irruption. Quels fantômes viennent la hanter? Maylis de Kerangal (Réparer les vivants, Ed. Gallimard, 2015) a passé son enfance et son adolescence au Havre. Le vent souffle fort, le temps est capricieux, le ressac, toujours violent. Mais la ville n’est plus tout à fait la même, aujourd’hui. Voilà pourquoi Le Havre, ville portuaire entre mer et béton, devient la scène idéale d’un suspense à multiples facettes. Maylis de Kerangal a eu envie de partir d’elle, de raconter à la première personne de son Havre personnel doublé d’une enquête policière en bord de mer. Jour de ressac, son premier roman noir, est un coup de maître.
Elle en rêvait, peut-être. Elle le redoutait, sûrement, ce retour au Japon. À la demande insistante de son amie photographe, Amélie Nothomb accepte de faire le voyage avec elle au pays du Soleil Levant. Seule, elle n’aurait sans doute jamais franchi les océans. Pep sera sa comparse, sa béquille improbable. L’impossible retour ? Oui, il l’est. Car vouloir retrouver l’identique de ce qu’on a connu enfant est illusoire. Amélie Nothomb est désenchantée. La nostalgie est la plus forte. Pep tente de la consoler. C’est finalement le père d’Amélie, ancien ambassadeur de Belgique au Japon, qui la guidera. C’est avec lui, et à cause de lui, qu’elle avait passé ses cinq premières années dans l’archipel. C’est encore avec lui qu’elle y était retournée, peu avant sa mort. Folle du Japon, « sa terre sacrée », elle a même voulu y vivre. Ce fut la catastrophe. L’image que l’on se fait d’un pays dans lequel on a vécu enfant est indélébile. Mieux vaut ne pas y toucher. L’impossible retour est un roman introspectif magnifique. Outre le périple géographique, très beau, le carnet de voyage regorge de pensées profondes et drôles. Quelques anecdotes belges, en bonus. Avec Amélie, on a hâte de (re)plonger, aussi, dans À rebours de Joris-Karl Huysmans, son livre refuge de toujours.
Quelle drôle d’escapade que celle de Buck et Callaghan (prénoms d’emprunt, aventure oblige). Ces deux vrais amis que pourtant tout oppose prennent la poudre d’escampette. Frappés d’un ennui mortel, les deux comparses décident de pratiquer l’hoboïsme. Comprenez, devenir hobos, vivre à fond l’expérience du vagabondage. Les deux amis se cachent dans un wagon de marchandises sans savoir où il va. Méprenez-vous, l’aventure est picaresque. Comment échapper à la vigilance des cheminots dès lors qu’il est interdit de monter dans un train de marchandises à l’arrêt ? À force d’imagination, de prouesses acrobatiques et autres ruses de Sioux, Buck et Callaghan seront du voyage. Et nous aussi. Sans crier gare, le récit de leur aventure est un amusant et très instructif pied de nez au tourisme de masse. Après son réjouissant Roman fleuve (Prix Interallié 2022), le jeune écrivain de 32 ans Philibert Humm veut « surenchérir, dans l’unique espoir de vous plaire (chers lecteurs) ». Et cela roule ! L’occasion de nous faire voir le paysage d’une France profonde qu’on ne visite sans doute jamais. Que c’est drôle et divertissant ! Les jeux de mots font partie du voyage. Et Tintin, Livingston, Kerouac et autres voyageurs impénitents leur servent de boussole.
Le 21 juin, jour de solstice d’été, le plus long de l’année, deux grands adolescents tuent leur ennui à coups de canettes de bière et de joints dans une zone de parking. Le Dr Rombouts quitte l’hôpital et regagne à reculons sa villa cossue, désormais vide. Sa femme et ses deux fils l’ont quitté. Les trois personnages sont décrits par petites touches, pointant leurs pensées, leurs angoisses. Solitaires, rongés par la mélancolie, ces trois-là vont sans doute finir par se croiser. Mythologie du .12 nous plonge dans une atmosphère glauque, striée de lumière et de réverbérations. Un paysage de morne plaine d’asphalte, déserté, empli de tristesse, cinégénique à souhait, comme des scènes de films, à la David Lynch ou les frères Coen. Il y a quelque chose de magnétique dans le premier roman de Célestin de Meeûs, jeune poète bruxellois, autodidacte. La force de son style emporte et fascine. Les phrases longues déboulent dans un flux continu comme « le long fleuve noir ou plutôt brun qui charrie tout sur son passage. » Un langage parlé, somme toute. L’innocence du jeune narrateur, 18 ans, émeut. La noirceur de sa vision du monde effraie. Quelque chose de violent qui n’enlève pas l’empathie et la tendresse. Mythologie du .12 a vient de revoir le prix Stanislas.
Publicité