Hughes Belin
03 October 2025
La Drôme provençale est ainsi nommée car sa végétation est distincte de celle un peu plus au nord : oliviers, chênes provençaux et champs de lavande en font un paysage qui invite à ralentir, à s’aventurer dans cet océan de verdure pas encore brûlé par le soleil, comme un peu plus au sud. On distingue d’ailleurs la majestueuse et glabre silhouette du Mont Ventoux, à une heure de route, au sud.
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Au sud-est de Montélimar, sur la rive gauche du Rhône et juste avant la limite géographique avec le Vaucluse, la petite AOC Grignan-les-Adhémar est enclavée à l’est de l’AOC des Côtes du Vivarais et au nord des Côtes-du-Rhône méridionales mais n’en fait pas partie. C’est la “vallée du Rhône équatoriale”, comme la surnomment les vignerons locaux. Ses vins expriment à la fois les caractères des Côtes-du-Rhône septentrionales et méridionales.
La syrah, apanage unique des rouges des Côtes du Rhône septentrionales (Côte-Rôtie, Saint-Jospeh, Hermitage, Croze-Hermitage et Cornas), se retrouve dans environ la moitié de l’encépagement des vignes de l’AOC Grignan-les-Adhémar. L’autre cépage principal en rouge est le grenache noir, dont c’est la limite septentrionale.
Les conditions sont donc réunies pour, d’une part, des vins issus de syrah qui présentent les caractères de leurs voisins plus au nord : concentration, épices marquées, arômes minéraux (graphite, caoutchouc) et fruits noirs. L’Héritage rouge en biodynamie du domaine Bonetto-Fabrol est, à cet égard, une magnifique réussite. On croirait boire une “syrah du nord”, mais à moitié prix. Et ce n’est pas le seul dans l’AOC, loin de là.
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D’autre part, le grenache noir est plus “frais” que dans les Côtes-du-Rhône méridionales (Chateauneuf-du-Pape, Gigondas, Vaucluse, etc.) et permet des assemblages très croquants. Tel cet incroyable “Les Grands Plans” du domaine Serre des Vignes, un assemblage de 60% de grenache noir et 40% de syrah, juteux et frais, qui donne l’impression de croquer dans des fruits rouges, à un prix canon. Il est disponible en Belgique auprès de l’importateur Collot Vins à Dinant.
Du côté des blancs, le viognier y a ses lettres de noblesse bien plus que partout ailleurs dans les Côtes-du-Rhône méridionales. Ici, il est capable de développer une belle complexité aromatique et de magnifiques fruits jaunes, avec un peu d’élevage en barrique. Le Domaine de Grangeneuve (aussi chez Collot Vins à Dinant) produit ainsi une cuvée “V” 100% viognier qui n’aurait pas à rougir devant un grand frère du nord, à Condrieu, et pour bien moins cher. À l’instar des Côte-Rôtie, on peut même trouver du viognier dans les rouges, comme dans la très belle cuvée “Les Frangins” du Domaine Rozel, un assemblage de 90% de syrah et de 10% de viognier.
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Ce ne sont pas les seuls cépages de l’AOC, où l’on vinifie également du marselan, du cinsault, du carignan et du mourvèdre en rouge. En blanc, on y vinifie les cépages emblématiques des Côtes-du-Rhône : grenache blanc, marsanne, roussane principalement, ainsi que du bourboulenc et de la clairette.
« À quelque chose, malheur est bon », dit l’adage. Pourtant, nul n’aurai pu prédire que la fuite d’effluent uranifère de la centrale EDF du Tricastin en cette nuit du 7 au 8 juillet 2008 pût bénéficier aux vins de la région. À ce moment-là, que du contraire ! « Du jour au lendemain, nous n’avons plus vendu une seule bouteille », se rappelle Nathalie Bour, vigneronne du Domaine de Grangeneuve, un des fleurons de l’AOC Grignan-les-Adhémar.
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L’AOC Coteaux du Tricastin fut donc frappée du sceau de l’infamie dans les yeux des consommateurs à cause de ce nom de centrale nucléaire qui lui collait à la peau. EDF refusa de changer son nom, c’est donc l’AOC qui le fit, lors une opération sans précédent. Il y a bien eu quelques changements de noms d’appellation en France, mais c’étaient essentiellement des simplifications qui conservaient le nom géographique. La stabilité des noms d’AOC est en effet un principe cardinal à l’Institut National des Appellation d’Origine (INAO). Ici, c’est la première fois qu’un nom d’AOC fut modifié en raison directe d’un événement externe nuisible à l’image, en l’occurrence un incident nucléaire.
Le syndicat viticole, emmené par Henri Bour (le père de Nathalie Bour), déposa une demande de changement de nom en 2009 et obtint satisfaction à l’été 2010, juste à temps pour que le nouveau millésime 2010 puisse porter le nom de Grignan-les-Adhémar. Mais d’où vient ce nom si surprenant ? « Nous profitons de la notoriété du château de Grignan », explique Jérôme Roux, vigneron du Domaine du Serre des Vignes et Président du syndicat viticole depuis cette année. Le village de Grignan possède en son centre, sur la colline, un château prestigieux qui fut la résidence du Lieutenant général au Gouvernement de Provence du roi Louis XIV. Il y épousa la fille de la Marquise de Sévigné. Auparavant, ce château fut, entre autres, la résidence seigneuriale de la lignée des Adhémar de Monteil pendant 600 ans. Un village proche de Grignan, la Garde-Adhémar, porte encore le nom de cette puissante famille noble, indissociable de la région, qui entra ainsi dans la composition du nom de l’AOC.
Le nouveau cahier des charges (renforcé en 2023) a légèrement augmenté la densité minimale de plantation et généralisé le palissage, a restreint les options de taille de la vigne, a augmenté le degré minimal d’alcool à 12°, a baissé le rendement maximal (encore plus pour le rouge), a augmenté l’encépagement minimal pour la syrah et pour le viognier, Le positionnement est clairement qualitatif pour l’appellation.
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Le changement de nom a rebattu les cartes pour une appellation déjà passablement éprouvée par quelques millésimes à partir de 2002 où une surproduction a succédé à une mauvaise qualité des vendanges. La conséquence : distillation des surplus, arrachage des vignes, de nombreux domaines avaient déjà jeté l’éponge avant l’incident de la centrale. Seuls une quinzaine de vignerons des plus motivés sont restés pour soutenir cette appellation dynamique, avec deux coopératives et une dizaine de maisons qui produisent aussi en Côtes-du-Rhône. « Mais il leur aura tout de même fallu cinq ou six ans pour retrouver le chemin des cavistes », reconnaît Jérôme Roux.
La notoriété de l’AOC est tirée vers le haut par l’attrait pour la Drôme provençale. « Notre force, c’est notre tourisme très développé », explique-t-il. Les caveaux reçoivent des visiteurs, la vente au détail améliore les marges et vu la qualité de l’offre, les relations forgées sur place avec les domaines s’avèrent durables, « notamment avec les Belges », précise Nathalie Bour. En retour, l’œnotourisme se développe. Les vignerons redoublent d’imagination pour organiser des soirées-concerts, comme au Domaine Bonetto-Fabrol, ou des ateliers d’assemblage, comme au domaine de Grangeneuve.
On ne compte plus les hébergements de passage au milieu des vignes. Par exemple au domaine de Montine, qui propose des chambres d’hôtes, des gîtes ainsi que des activités autour de la truffe et du vin, et des pique-nique vignerons près de ses anciens cabanons en pierre ou des balades à travers les vignes en trotti-bike électrique – frissons garantis ! À propos du beau Domaine de Montine, sa cuvée Gourmandise (60% grenache noir, 30% syrah, 5% marselan et 5% cinsault) est une très belle réussite, un assemblage qui lui confère une excellente buvabilité. Gourmand, croquant, c’est un vrai vin de copains à petit prix, qu’on peut même trouver en Belgique chez l’importateur exclusif Rabotvins à Nazareth-De Pinte.
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La région héberge également deux autres cultures complémentaires de la vigne : la lavande et la truffe. La culture de la lavande permet la rotation des sols et un complément financier non négligeable pour l’équilibre des comptes. La culture de la truffe est traditionnelle, ici.
Le Domaine de Saint Paulet, producteur-négociant de truffes à l’extrême-sud de l’appellation, pratique les trois cultures et fournit en raisin la coopérative La Suzienne. Une de ses cuvées, PUR, provient de vieilles vignes. Assemblage de 70% de syrah et 30% de grenache noir, ce superbe concentré de garrigue est vinifié sans sulfite. Outre un magnifique gîte niché entre vignes, champs de lavande et chênes truffiers, son propriétaire Gérard Calvier propose le « cavage » (récolte) de « rabasse » avec ses chiens truffiers.
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Bien entendu, les bons restaurants sont faciles à trouver dans le coin, comme la Ferme Chapouton à Grignan, une impressionnante bâtisse du XVIIIe restaurée et transformée en restaurant et salle de réception. Le Café des Vignerons à Grignan est une étape indispensable pour tout amateur de l’AOC qui se respecte car sa carte des vins permet de goûter à une vingtaine de domaines, voire d’acheter des bouteilles, en plus de ses dégustations permanentes. L’hôtel La Bastide de Grignan, plus que recommandable, possède son propre restaurant, La Chênaie, également à recommander.
Bref, vous l’aurez compris, ce petit coin de paradis a tout pour plaire, tant à l’amateur de vin qui cherche d’excellents rapports qualité/prix qu’à l’explorateur prêt à aller sur place pour s’immerger dans la région de production, avec deux « plus beaux villages de France » en prime, à Grignan et La Garde-Adhémar. Il n’y a pas de quoi s’ennuyer ici, mais on peut toujours se déconnecter complètement et se laisser conquérir par le climat provençal et la beauté du paysage à couper le souffle, sans aucun panneau publicitaire pour venir troubler la vue.
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