Hughes Belin
23 July 2025
La première chose qui frappe lorsqu’on arrive en Bourgogne, c’est l’homogénéité du paysage. L’horizon est fait de collines à faible pente, boisées au sommet, et de coteaux plantés de vignes, à perte de vue. Dans les calmes villages bourguignons domine partout la blancheur des murs de pierre calcaire surmontés de tuiles rouges, avec, de temps en temps un toit polychrome de tuiles vernissées coiffant un clocher quadrangulaire ou une demeure cossue. Il subsiste comme une impression de voyage dans un passé immuable annonçant un féroce attachement aux traditions.
© DR/Shutterstock.com
Car la Bourgogne existe par son histoire. « Notre richesse, c’est notre sol. On ne peut pas copier-coller les sols bourguignons. Nous avons des siècles d’avance ! », avertit Cédric Dechelette, Directeur Export chez Moillard, négociant-éleveur à Nuits-Saint-Georges. Ce sont les moines, férus de viticulture, qui ont entrepris depuis le Moyen-Âge le découpage viticole du territoire. Car le chardonnay et le pinot noir, les deux cépages de la Bourgogne, n’ont pas de caractère variétal comme le muscat ou le sauvignon blanc. Ils « agissent comme une éponge et se mettent au service du terroir » en tirant du sol leur spécificité gustative. « À trois mètres près, le vin est différent », explique-t-il. Le résultat : plus d’un millier de ‘climats’ reconnus en 1936 par les Appellations d’Origine Contrôlée, qui accèderont au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2015.
© Moillard
Chaque climat est ainsi ‘interprété’ par le vigneron. La nature du sous-sol d’une vigne requiert des racines plus ou moins profondes pour donner le meilleur de lui-même, donc des porte-greffes et des clones adaptés d’une parcelle à un autre. La vigne sera conduite selon les exigences de rendement de l’appellation ou du cru, en tenant compte de l’exposition au soleil, de l’influence du relief et des couverts boisés. « Les vignerons sont des paysans qui vivent dans leur terre et la connaissent par coeur », résume Cédric Dechelette.
© Moillard
Les bourgognes à la fois se ressemblent et sont tous différents : ils ont le goût de leur région mais les nuances sont grandes lorsqu’on les compare entre eux. Les chardonnays du chablisien sont minéraux et salins avec de la tension, ceux de côte d’Or sont amples et gras, aux arômes de fruits à coque, alors que, plus au sud, ceux des côtes chalonnaise et mâconnaise sont plus tendres. Tantôt plus tanniques, tantôt plus soyeux, plus ou moins marqués par les fruits rouges et l’humus, les rouges offrent une palette de sensations très large, mais toujours marquées par la tension du pinot noir, qui en fait un cépage unique, si délicat et attachant.
« Les ‘jus de bois’ prônés par Parker, ça n’a pas marché en Bourgogne. Ici, on l’utilise comme un outil, pas comme un marqueur. Aujourd’hui, le consommateur veut à peine sentir le fût, la mode est passée », explique Cédric Dechelette. Et la Bourgogne, qui avait su faire le dos rond pendant l’engouement mondial pour les vins boisés, ne le regrette pas aujourd’hui, car son image n’en a pas souffert, bien au contraire.
Du chardonnay bourguignon © DR/Shutterstock.com
Serait-ce en fin de compte la nature, c’est-à-dire le changement climatique, qui pourrait faire évoluer le goût du bourgogne ? « On perd un peu en acidité, les années très chaudes. Mais le pinot noir et le chardonnay résistent raisonnablement à la chaleur », se rassure l’expert. L’année 2020, par exemple, très chaude, a surpris tout le monde car les bourgognes étaient équilibrés, malgré des fruits très mûrs – une année “facile” où tout le monde a pu faire de bons vins.
Vin de terroir par excellence, souvent imité et rarement égalé, le bourgogne « a le vent en poupe » chez les amateurs de vin du monde entier. Quand on pense que la production bourguignonne représente seulement 3% de la production viticole française et 0,5% de la production mondiale, l’effet ‘rareté’ joue à fond sur les prix. « La Bourgogne, c’est tout petit et il en faut pour toute la planète ! », résume Cédric Dechelette. Certes, la région exporte la moitié de sa production, une proportion qui grimpe à 70% chez Moillard.
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D’autres facteurs font aussi pression à la hausse sur les prix : les aléas climatiques qui réduisent des rendements déjà limités par les cahiers des charges des appellations, mais aussi l’inflation des coûts (énergie, personnel, etc. ) et la pénurie de main d’oeuvre, notamment de conducteurs de tracteurs ! Car la viticulture demande beaucoup de travail manuel. Les prix ont ainsi atteint un pic en 2021, année où la récolte était réduite de moitié. Le marché a continué à acheter mais les restaurants se sont montrés plus prudents. Si des prix élevés font du bien aux vignerons, des prix trop élevés ne sont pas bons pour le secteur, car le consommateur cherche alors des alternatives. « Quand le consommateur ne suit plus, c’est déjà trop tard », analyse Cédric Dechelette.
Alors comment faire pour se procurer du bourgogne, malgré tout ? Tout d’abord, tuons une idée reçue : les ‘locomotives’, si elles contribuent à la notoriété de la région, sont plutôt un objet de spéculation. « La Romanée-Conti, tout le monde la connaît, mais personne n’en boit », résume Cédric Dechelette. Or, le vin « est fait pour être bu et partagé ». C’est pourquoi la Maison Moillard met tout en oeuvre pour mettre en avant des villages moins connus, qui offrent un excellent rapport qualité/prix.
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Ainsi, certaines appellations ‘village’ de Côte d’Or moins renommées que les Gevrey-Chambertin, Pommard, Volnay et autres Chassagne ou Puligny-Montrachet, gagnent à être connus. En Côte de Nuits, Marsannay et Fixin sont très accessibles par rapport à leurs prestigieux voisins. En Côte de Beaune, Ladoix, Pernand-Vergelesse, Savigny-Lès-Beaune ou Chorey-Lès-Beaune, par exemple, offrent un magnifique rapport qualité/prix pour des vins situés non loin des célèbres Aloxe-Corton ou Corton-Charlemagne. Mais on peut citer également Monthelie, près de Meursault et tout au sud, Saint-Aubin, Santenay et Maranges.
Avec le réchauffement climatique, les vins de Haute-Côtes-de-Nuits présentent un rapport qualité/prix intéressant car ils sont plus concentrés qu’avant, donc plus équilibrés. Les vins de la côte chalonnaise ont également la cote, notamment les appellations moins connues comme Givry, Rully ou Montagny. Dans le Mâconnais, le Viré-Clessé et le Saint-Véran méritent le détour.
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Et pourquoi ne pas succomber à la tentation de quelques bulles bourguignonnes ? Le crémant de Bourgogne a en commun avec le champagne les cépages chardonnay et pinot noir, ce qui explique peut-être son succès. C’est un des rares segments qui progresse en terme de ventes, avec une vingtaine de millions de cols produits chaque année. À tel point que Moillard a décidé de lui consacrer une ligne de production dédiée pour faire face à la demande.
Dans un marché difficile où les jeunes consommateurs se détournent du vin, la stratégie du négociant est de proposer au consommateur néophyte “de bons vins accessibles”, c’est-à-dire à des vins qui reflètent leur terroir et donnent envie d’approfondir le voyage. Des simples bourgognes génériques aux grands crus, « la Bourgogne, elle se vend dans le verre, il faut la goûter ! »
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