Corinne Le Brun
19 August 2021
Des jeux pleins les yeux. Et en point de mire des nouvelles disciplines sur le podium. Contre toute attente, les JO de Tokyo ont accueilli pour la toute première fois le skateboard (avec le surf, l'escalade) comme épreuve olympique. Une joie immense pour les adeptes de ce sport de rue spectaculaire et créatif. Une reconnaissance aussi pour les (très) jeunes skateurs venus des quatre coins du monde.
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Momiji Nishiya (13 ans) : plus jeune médaillée d'or aux JO © Mike Egerton/PA/Photo News |
Toutefois, une partie des adeptes, en particulier les streeters, les skateurs de rue, ne saluent pas forcément l'événement. « Il y a trop d'enjeux économiques. C'est un gigantesque business qui cherche à se renouveler en attirant de nouvelles disciplines comme le BMX, la breakdance ou le skate, avec un public plus jeune pour satisfaire les exigences des annonceurs » estime Barthélémy, 29 ans, skateur amateur dans les rues de Bruxelles. « Qui, vraiment, a regardé les skateurs olympiques à la télévision ? La communauté préfère rester dans l'ombre ». Barthélémy revendique l'esprit indépendant et libre du skating, qui s'est développé sans subvention, avec l'argent des sponsors. « Pour beaucoup d'entre nous, le skate, c'est quand on veut, où on veut et avec qui on veut. Nous nous évaluons nous-mêmes, entre potes. C'est ce qui a contribué à la démocratisation de ce sport » explique Nathalie, 23 ans. La culture skate a grandi ces dernières années principalement grâce aux réseaux sociaux, le must pour découvrir des tricks inédits. Cools, les skateurs filment leurs prouesses avec leur téléphone, avant de poster la vidéo sur Instagram. Sensations garanties.
C'est vrai. Voilà un sport qu'on n'a pas l'habitude de voir sur le petit écran. Avec les JO, des millions de téléspectateurs ont pu suivre les éliminatoires puis la course aux médailles. Difficile de ne pas jeter un œil admiratif sur des figures acrobatiques à vous couper le souffle. Après la victoire en "street" du Japonais Yuto Horgome, sa compatriote Momiji Nishiya (13 ans) s'est invitée dans les livres des records, comme la plus jeune médaillée d'or aux JO (même si l'Américaine Marjorie Gestring fut sacrée en 1936 au plongeont à 13 ans).
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Axel Cruysberghs n'a pas pu ramener une médaille pour la Belgique © Peter De Voecht/Photo News |
À ses côtés, sur le podium la Brésilienne Rayssa Leal (13 ans) et la Japonaise Funa Nakayama (16 ans). Roulez jeunesse ! Nos deux champions belges, Axel Cruysberghs (26 ans) et Lore Bruggeman (19 ans) n'ont pas accédé au podium.
Pour (toutes) les skateuses, ces championnes olympiques sont des exemples à suivre. Que de chemins parcouru pour ce sport rebelle né dans le milieu du sur californien des années 1950, à une époque où les filles faisaient au mieux de la figuration dans les clips des Beachs Boys.. À force de ollies (des sauts) bien menés, elles ont gravi les échelons de la performance et de la reconnaissance. De futures championnes ? Probablement. Car la vogue du skate explose, et en version mixte., aux JO de Tokyo. Une visibilité mondiale pour le skate, sachant que la pratique des filles a logiquement grimpé, aussi.
Le Byrrh and Skate à Anderlecht organise des Girls Sessions tous les premiers vendredis du mois. Le but ? Soutenir la communauté skate féminine. Ses souvenirs de skateuse, la Française Manon Lanz les raconte dans "Le skate vue par une passionnée" (Ed. Michel Lafon, juin 2021): « j'ai embarqué avec moi le skateboard de mon frère qui traînait dans le garage, et c'est comme ça que les ennuis ont commencé. Pas qu'il s'en soit rendu compte, mais parce que je suis vite devenue accro ». Sur son site, la skateuse « va vite devenir la meilleure amie qu'il vous faut pour oser vous lancer et apprendre à skater ». En Belgique, Evelien Bouilliart, après de nombreuses compétitions - à 16 ans elle remporte une médaille d'argent aux X Games -, a décidé de partager sa passion avec d'autres sous la forme d'une entreprise de coaching de skateboard.
Comme beaucoup de sports, la culture skate a énormément marqué le monde du cinéma. De quoi combiner passion monomaniaque, plaisir de glisse et cinéphilie. La plupart des films sont américains : de l'emblématique "Kids" de Larry Clark (1995) à "Paranoid Park" de Gus Van Sant (2007) ou, plus récemment, "Skate Kitchen" un film-documentaire sur une bande de skateuses réalisé par Crystal Moselle (2018, en VOD depuis 2020).
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No Title (Boston Brave), 2017 © Raymond Pettibon — Courtesy the Artist and David Zwirner Photo: : © Jef Lambrechts |
Privé de sa fonction, le skateboard devient œuvre d'art et s'expose. Plusieurs artistes de renom se sont pris au jeu de la planche détournée. Paul McCarthy s'inspire de sa série de photographies de peluches et autres objets de consommation baptisée "Propo" réalisée entre 1972 et 1983 ("Propo", sérigraphie, The Skateroom x Paul McCarthy, 2015).
L'artiste plasticien américain Raymond Pettibon, en collaboration avec The Skateroom, explore ses œuvres sur le thème du baseball pour sortir deux éditions limitées de 250 : No Title (The raise hands), 2013 et No Title (Boston Brave), 2017.
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Le skate et l'un des sports les plus inclusifs qui soit ! © DR |
La start-up bruxelloise The Skateroom créée par Charles-Antoine Bodson propose à des artistes de créer des œuvres d'art sur des planches de skate. Grâce aux ventes de ces planches originales, The Skateroom finance des projets dans des pays en voie de développement via Skateistan, une ONG qui construit des skateparks au Cambodge, en Afrique du sud et en Afghanistan. L'organisation Concrete Jungle Foundation (CJF) utilise elle aussi le skateboard pour construire des skateparks et gérer des programmes de développement pour les jeunes. Trois projets ont vu le jour, en Jamaïque, en Angola et au Pérou où un deuxième skatepark est en cours de construction. « Le skate est un des sports les plus inclusifs au monde, intrinsèquement non compétitif. Il favorise la créativité, l'expression de soi et l'évacuation du stress. Notre mission est d'autonomiser les enfants à travers le skateboard, les programmes pour les jeunes et le développement communautaire» explique le Belge Clément Taquet, fondateur. 365 enfants à travers 223 classes ont participé au programme Edu Skate. CJF offre des apprentissages rémunérés à des jeunes en difficultés. Le taux de participation féminine atteint les 36% dans tous les programmes.
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Des bowls dans un skatepark pour combiner ollies et tricks, avec ou sans wax sur les curbs... le skate a son argot © DR/Shutterstock.com |
Le langage des skateurs est riche. Quelques termes de base : ollie - sauter avec sa planche ; tail - partie arrière du deck (planche) et nose, son extrémité avant ; skateur - personne qui pratique le skateboard, le streeteux, lui, glisse exclusivement dans la rue, en dehors des skateparks ; bowl-rider - le rider (pratiquant) le skate dans des bowls (équipement courbé qui ressemble à une piscine, plus aérien et plus rapide) et des rampes ; trick - une figure ; wax - on met une cire sur les rails, les curbs (bloc allongé avec des bords pour faire des glissades ou tricks) pour les rendre glissants.
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