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Martin Boonen

04 June 2020

Karimbo/RTL Belgium

Eventail.be – Mallory Gabsi, quel est votre parcours ?
Mallory Gabsi –
J’ai eu un parcours assez classique. J’ai étudié deux ans dans une école hôtelière, à Bruges (Spermalie). Puis j’ai continué mes études en néérlandais pendant 5 ans à Louvain. J’ai fait un premier stage à L’Ecailler du Palais Royal. C’était ma première expérience réellement professionnelle dans un restaurant d’un certain niveau. En parallèle, je bossais comme étudiant à la Brasserie du Lac, à Genval, où j’ai mis la main à la pâte… littéralement, puisque j’y ai fait de la pâtisserie. J’ai fait un stage à Anvers dans un restaurant étoilé. C’est là-bas que j’ai perdu mon œil dans un accident (un collègue pensant l’arroser avec un seau d’eau lui a en fait projeter de l’acide au visage, ndlr). J’ai tout de même fini mes études et j’ai postulé au Sea Grill, chez Yves Mattagne. J’y ai découvert une cuisine assez classique, mais raffinée, très concentrée sur les goûts et dirigée vers les produits de la mer. Ensuite, j’avais envie de voir autre chose. Je suis passé au Hertog Jan, chez les chefs Gert De Mangeleer et Joachim Boudens. Malheureusement, c’était six mois avant la fermeture du restaurant. C’est justement à ce moment là que le chef exécutif du Sea Grill, Frédéric Murati, m’a proposé de l’accompagner dans la lancement du restaurant d’un Relais & Châteaux, à Nantes (le Domaine de la Bretesche, ndlr). C’était aussi une expérience intéressante. Je suis rentré en Belgique pour des raisons familiales et je suis retourné chez Yves Mattagne où j’ai participé au lancement de son restaurant éphémère (le Art Club) en attendant la réouverture de la Villa Lorraine.

Pour l'ouverture de son restaurant à Bruxelles, Yababa avait collaboré avec Mallory Gabsi. © Yababa

– Qu’est ce qui vous a donné envie de faire de la cuisine votre métier ?
Le goût de la cuisine de mes grands-parents. Ma grand-mère maternelle était belge et mon grand-père paternel est tunisien. Ma grand-mère avait une cuisine traditionnelle savoureuse. Je me souviens avec précision du goût de ses saucisses, compote, purée, avec une petite pointe de cannelle. Je n’ai jamais rien retrouvé de tel. Du côté de mon grand-père c’était plutôt une cuisine maghrébine, des spécialités tunisiennes. Ce sont vraiment des souvenirs d’enfance qui me restent et qui m’ont poussé à vouloir faire de la cuisine. Au départ, j’ai simplement choisi l’école hôtelière parce que j’aimais cuisiner. J’allais à l’école pour m’amuser. Au fil des années, j’ai fini par comprendre que c’était plus qu’une passion, mais un métier possible. C’est le plus important pour moi : me lever pour faire quelque chose que j’aime.

Portrait de Mallory Gabsi, candidat belge en demie-finale du concours culinaire Top Chef

© M6

– Que tirez-vous de cet accident survenu à Anvers ?
Ça m’a appris beaucoup beaucoup de choses sur la vie. Ça a été un moment difficile. Je me suis posé des tas de questions. J’étais jeune, à l’âge où l’on commence à sortir le soir pour draguer les filles… et vient cette blessure au visage… Je me suis demandé évidemment si j’allais pouvoir continuer à cuisiner. Mais parfois, ces événements terribles, qui semblent vous abattre, peuvent au contraire vous aider à remettre l’église au milieu du village. On peut y puiser de la force. Mentalement, c’est très fort. Sans la perte de cet oeil, je ne sais pas si j’aurais été aussi loin, et je parle de mon parcours en général, pas seulement de Top Chef. Dans la vie, il faut se fixer des objectifs, et ne jamais les lâcher.

– Qu’est ce qui vous a poussé à participer à Top Chef ?
J’aime les concours. La production de l’émission m’avait déjà contacté pour Objectif Top Chef (l’antichambre de Top Chef, réservée aux commis de cuisine et aux cuisiniers amateurs, ndlr) et pour Top Chef, les deux années précédentes, mais je ne me sentais pas prêt. Cette fois-ci, ils ont simplement appelé le restaurant. C’est le chef pâtissier qui a décroché et donné mon nom. J’ai parlé du concours à mes parents qui m’ont dit de foncer : de telles occasions sont rares.

La promotion 2020 du concours culinaire Top Chef

Ils étaient 16 à démarer l'aventure. Lundi prochain, Mallory sera l'un des trois demi-finalistes, en lice pour la finale du concours © Copyright Marie Etchegoyen/M6

– Vous êtes une bête de concours, un compétiteur né ?
C’est vrai qu’on pourrait le croire. J’ai participé au concours Jeunes Restaurateurs d’Europe. J’y avais terminé 4e. J’étais un peu déçu, mais je me suis consolé en me rappelant que, puni par mon école, j’avais été contraint d’y participer tout seul. Cela relativisait déjà un peu le résultat. Avant, j’avais participé, en brigade cette fois-ci, au concours Jeune Talent Escoffier (Benelux). Nous avons gagné. Ce que j’aime surtout, ce n’est pas tant de gagner que de tout faire pour me dépasser, pour relever des défis. Ça, c’est vraiment excitant.

– Séduire des chefs comme Yannick Aleno ou Christian Le Squer, c’est une consécration ?
C’est extrêmement gratifiant, c’est sûr. Ça donne la chair de poule. Mais ça n’a pas changé fondamentalement ma cuisine. Vous savez, ce que j’ai servi au chef Mauro Colagreco (des supions farcis au crabe, gel de citron, bouillon de crevettes, crevettes nacrées et courgettes), c’était assez simple, en fait. La cuisine, ça peut être tellement subtil. Les choses les plus simples sont parfois les plus difficiles à réussir parfaitement. J’ai compris aussi que, quelle que soit la personne en face de soi : il faut rester soi-même, servir une cuisine qui nous ressemble, qui nous fait plaisir. La réussite en dépend.

Mallory Gabsi cuisine à

© Copyright Marie Etchegoyen/M6

– Retiendrez-vous d’autres choses ?
Le quart de final a été une épreuve très difficile mentalement (Mallory avait quitté le plateau suite à une erreur d’inattention qui l’empêchait de présenter au chef Christian Le Squer, son plat exactement comme il le désirait, ndlr) mais j’en ai retiré une grande leçon : celle du goût. Il dépasse tout, même le visuel. Nous vivons dans un monde où l’aspect des choses dépasse parfois le plus important. Dans la cuisine, c’est le goût. C’est évidemment un des effets d’Instagram, mais pas seulement. Parfois, cela va plus loin. J’ai horrifié des amis lors d’un barbecue en cuisant des poivrons directement dans la cendre. Évidemment, visuellement, ça n’était pas très gourmand, mais en bouche : la chaire confite et légèrement sucrée avait un goût fumé… Finalement, ils ont eut tellement de succès que je n’ai même pas eu l’occasion de les goûter (rires). Mais pour accéder à ce genre de plaisir, il faut accepter d’arrêter de manger avec les yeux.

Mallory Gabsi et David Galienne, de la brigade rouge de la cheffe Hélène Darroze

© Copyright Marie Etchegoyen/M6

– Finale ou pas, de quoi sera fait votre futur ?
D’abord, ce sera la réouverture, si c’est possible (interview réalisée avant le Conseil National du 3 juin, ndlr), du restaurant éphémère d’Yves Mattagne sur la Place Royale, en attendant celle de la Villa Lorraine. Je suis donc pour le moment toujours avec le chef Mattagne pour qui j’ai un grand respect et qui m’a appris tant de choses. Ensuite, j’aimerais évidemment voler de mes propres ailes. Il y a un projet qui me tient à coeur : 140°C. Un restaurant qui se focaliserait sur un joyau de notre terroir et la star de notre gastronomie nationale : la pomme de terre. C’est un concept qu’on avait essayé pendant le concours lors de l’épreuve “La guerre des restos”, ça avait bien marché et je pense qu’on peut aller plus loin encore. Travailler avec des beaux produits locaux, mettre en avant des agriculteurs de chez nous qui travaillent dur et surtout qui travaillent bien !

– Après avoir gagné la Guerre des restos, ce sera la course aux étoiles ?
Courir après les étoiles, ce n’est pas toujours une bonne idée. Si jamais elle finit par arriver, je serai très heureux parce que c’est une belle reconnaissance qui est offerte aux cuisiniers par Michelin, mais ce n’est pas un objectif en soi.

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Bernard Réquichot, « Episode de la guerre des nerfs », 1957

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