Christophe Vachaudez
02 August 2025
Inaugurée en 1931, cette maison double porte au départ un nom plutôt curieux puisqu’on la baptise “Noordhinder-Westhinder”. La raison ? Tout simplement parce qu’elle se situe entre les deux rampes qui relient à l’époque la Zeedijk et la Kustlaan. Elle est édifiée à l’intention du peintre Albert Saverys et du courtier en café et amateur d’art Maurice Colman. Tous deux souhaitent une résidence contemporaine et font appel au fameux architecte Henry Van de Velde (1863-1957), rentré depuis quelque temps en Belgique. Nous sommes en 1928 et, à cette époque, il dresse les plans de sa propre maison à Tervuren, ceux de la maison Cohen avenue Franklin Roosevelt ou encore ceux de la maison Wolfers à Ixelles et de la maison Lagasse à Bruxelles. Grâce aux bonnes relations qu’il entretient avec le bourgmestre Léon Lippens, le maître d’œuvre s’autorise un toit plat, dérogeant aux règles d’urbanisme strictes qui régentent les constructions au Zoute.
L’un des commanditaires, Albert Saverys (1886-1964), n’est pas n’importe qui dans le paysage artistique belge. Ses œuvres rencontrent un vif succès et il jouit déjà d’une renommée internationale qui lui vaut une rétrospective aux palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1937. Il collabore avec les Kunstwerkstede Gebroeders De Coene à Courtrai pour la décoration d’intérieurs et la création de meubles dont certains ornent toujours la villa. Fidèle à ces créations du moment, Van de Velde imagine un volume cubique assez marqué par les horizontales et utilise le béton pour la structure qu’il habille d’une brique foncée rejointoyée avec soin. L’alternance des angles droits et des arrondis avec les coursives en tubes métalliques aux terrasses d’angle achèvent d’inscrire cette villa dans la tendance paquebot, présente sur la côte belge en de rares exemples. Aujourd’hui classé, l’édifice jouit toujours d’une vue dégagée vers la mer et d’un jardin dunaire, une position privilégiée, à quelques encablures du Zwin.
Julie et Olivia Saverys profitent désormais de l’environnement choisi de la Villa Westhinder. © Mireille Roobaert
Pas simple de redonner vie à cette villa iconique tout en tenant compte de son histoire et des changements survenus au fil des générations. Aujourd’hui, ce sont deux sœurs, Julie et Olivia Saverys qui ont repris les rênes de l’endroit et sont à l’origine de sa rénovation. Artistes elles-mêmes, elles ont un temps ouvert une galerie à Knokke. Curieusement la maison fut jadis vendue à la famille Vandecasteele dont est issue leur mère… qui épouse Bruno Saverys. Il n’y a pas de hasard ! Le duo décide alors de s’impliquer dans cette aventure qui n’aurait sans doute pas déplu à leur arrière-grand-père. Julie et Olivia contactent Aurélie Penneman de Bosscheyde (voir aussi notre article sur les intérieurs du Zoute) qui s’attèle au projet. Leur sens aigu du détail et leur compréhension des volumes honorent cette passionnée qui a ouvert son studio d’architecture en 2018. Attirée par les chantiers de prestige, elle ne pouvait rêver plus beau défi !
Inventif à souhait, l’escalier en teck birman présente des marches inversées et une coursive en chrome reminiscente du style paquebot. © Alice Mesguich
Aurélie Penneman s’attache à étudier le style d’Henry Van de Velde avant de proposer, en étroite collaboration avec Julie et Olivia Saverys, des solutions contemporaines qui respectent l’ADN du lieu. Naît ainsi un intérieur dépouillé mais accueillant allant vers l’essentiel, meublé à grand renfort de designers reconnus. D’emblée, le hall donne le ton avec deux appliques 5 Bands Wall Lamp en laiton plaqué nickel de 1968 signées Jules Wabbes (1919-1974), encadrant une œuvre de l’artiste espagnole Mar Arza et de chaudes boiseries en sapelli, un arbre d’Afrique de l’Ouest d’un intense brun rouge. Cette essence tropicale de choix s’unit à merveille au teck birman constituant les marches courbées de l’escalier d’origine, un petit chef-d’œuvre à la barre chromée repolie typique des années 1930. Il fut créé par les frères De Coene qui étaient reconnus parmi les plus importants fabricants de mobilier Art déco en Europe. Une banquette Sofa 161 en teck et rotin de 1957 sortie des ateliers de Hans Olsen parachève la décoration.
Une maquette de voilier... © Mireille Roobaert
...ou une toile contemporaine aux tons bleutés, autant de références à la mer toute proche.© Mireille Roobaert
La cuisine a entièrement été récréée dans le style paquebot grâce à la marque Cubex. © Alice Mesguich
Le plongeon au cœur des années 1930, mâtiné de clins d’œil plus récents mais en totale harmonie, s’avère pleinement réussi. La cuisine, qui a été ouverte vers la maison et la lumière, a retrouvé toute sa fonctionnalité grâce à la firme Cubex. Ce système de rangement à casiers standardisés, dû à Louis-Hermann De Koninck (1896-1984), va connaître un succès retentissant durant près de trente ans. Le modèle iconique a été réhabilité par quelques entrepreneurs visionnaires comme Xavier De Breucker et Nicolas Swinnen qui prolongent cette belle histoire belge et renouent avec le succès. Les armoires aux charnières apparentes, soulignées par un bandeau chromé, s’arrondissent aux angles afin de rappeler l’architecture paquebot de la villa. Les carreaux de faïence gris-bleuté, la hotte en verre cathédrale, la robinetterie ressemblant à celle de l’époque, des prises en bakélite et un liseré au niveau des plinthes faisant écho au granito du sol complètent heureusement l’ensemble.
Autour d’une table conçue par Bruno Saverys, un ensemble de chaises a reçu un habillage constitué de zostères séchés, une herbe de mer de plus en plus prisée par les décorateurs pour sa texture organique et son caractère durable. Cette matière naturelle, récoltée le long des côtes, apporte une touche à la fois brute et poétique à l’ensemble. © Alice Mesguich
Une œuvre des sœurs Saverys surmonte la cheminée du salon, l’un des éléments d’origine de la villa imaginé par Henry Van de Velde. © Alice Mesguich
Face à la cuisine, le coin repas est éclairé par une suspension de Louis Poulsen, un fabricant de luminaires danois qui fonda sa compagnie en 1874. On y trouve aussi deux sculptures de Gilbert Decock (1928-2007), un artiste knokkois qui fut aussi peintre et créateur de bijoux, une table et des chaises Tulip de l’architecte et designer américain d’origine finlandaise Eero Saarinen (1910-1961). Dans la salle à manger, autour d’une longue table dessinée par Bruno Saverys, des chaises de la firme Molteni, fondée en 1923, présentent des assises en zostère, un jonc de mer tressé qui renvoie au merveilleux panorama côtier. Quant au salon, une paire de fauteuils de Louis van Teeffelen (1921-1972), un designer néerlandais, permet de profiter de la remarquable cheminée de style paquebot datant de la construction. Des œuvres de Julie et Olivia Saverys ajoutent une touche colorée et côtoient un bas-relief de Sarah Bostwick et une sculpture coquillage de Stief Desmet. Comme on peut le constater, la villa Saverys a retrouvé son lustre d’antan, une renaissance particulièrement réussie !
Photo de couverture : La villa est l’une des rares à faire face directement à la mer, une situation privilégiée s’il en est à Knokke. © Mireille Roobaert
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