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Grandeurs et servitudes des immeubles classés

ArchitecteImmobilierPatrimoineRénovationRestauration

Guy Legrand

05 June 2025

Coup de cœur, fierté de détenir et sauvegarder un patrimoine d’exception… Lourdes contraintes administratives, factures salées… L’acquisition d’un bien ayant fait l’objet d’un classement ne s’envisage pas à la légère. Même si la possibilité d’obtenir des subsides peut faciliter la démarche.

On ne peut pas évoquer l’existence d’un marché pour les biens classés, pas même un marché de niche, observe Philippe Koelman, founding partner de James Realty : “Pour un produit rare, aux qualités exceptionnelles, l’acheteur se manifeste quand le bien est mis en vente. Cet acheteur sera par exemple un ‘collectionneur’ de tel architecte, ayant déjà acquis un autre bien signé par lui, voire plusieurs”. Ces personnes ne sont pas nombreuses, on s’en doute, mais sont assez actives sur ce créneau spécifique. Et elles ne souffrent pas du resserrement du crédit par les banques, puisqu’elles ont rarement besoin d’y faire appel…

Philippe Koelman © DR

Des expats enthousiastes !

La maison Cauchie, située à proximité du Cinquantenaire, est un exemple de cette démarche. Les professionnels connaissent également un “collectionneur d’Horta” ayant acquis des biens rue Washington et avenue Louise. C’est aussi un collectionneur, l’Allemand Thomas Rabe, CEO du groupe de médias Bertelsmann, qui a acquis en 2015 la dernière maison privée de l’architecte Henry Van de Velde. Appelée La Nouvelle Maison et classée, cette icône du modernisme est située dans le quartier Hoogvorst, à Tervuren, où Thomas Rabe a vécu son enfance. Ceci expliquant cela !

La Maison Cauchie, habitation personnelle de Paul Cauchie, construite en 1905, peut être considérée comme une des plus belles œuvres de l’Art nouveau à Bruxelles. © Stetiukha Kristina, Shutterstock.com

© Pecold, shutterstock.com

Une mention particulière s’impose, en effet, à propos des acheteurs de biens de prestige à Bruxelles : bon nombre d’entre eux sont des expatriés. Ils se sont pris d’affection pour ces bâtiments et ont signé de superbes restaurations. Un exemple parmi d’autres : le 172 avenue Molière, une maison signée en 1910 par l’architecte Jean-Baptiste Dewin et classée en octobre 1996. Cet immeuble Art nouveau aux lignes géométriques offre notamment un escalier somptueux et, après de nombreuses années de travaux, a été tout récemment remis en vente pour moins de quatre millions d’euros.

Ce montant peut surprendre par sa modestie pour un immeuble de 575 m² aussi remarquable. C’est que le prestige du classement ne gonfle pas le prix, pas plus que le coût très élevé d’une restauration réalisée dans les règles de l’art. Ce prix est tout simplement fonction de l’état du marché, souligne Philippe Koelman. À certains égards, le classement peut même engendrer une décote. En raison des contraintes d’aménagement qui y sont liées ou pour un motif annexe. Ainsi, une remarquable maison d’architecture moderniste située à Bruxelles a-t-elle récemment été vendue pour une somme qui peut sembler franchement modeste, compte tenu du parc d’un hectare qui l’entoure. Ce dernier est toutefois classé, de sorte que la valeur de ce vaste terrain se résume à l’agrément qu’il procure.

Une maison de maître restaurée dans le respect de ses éléments d’origine, avenue Molière à Ixelles. © Gatien Baron, James Realty

Un privilège… et son prix

Il est clair que l’on n’acquiert pas un bien classé pour réaliser une plus-value rapide… ou même moins rapide. “Pour certains propriétaires, posséder un immeuble classé est une source de fierté et d’émotion, s’enthousiasme Suzanne Belgeonne, administratrice de l’Immobilière Le Lion. Ce sentiment d’appartenir à une mémoire collective, de préserver un fragment du patrimoine culturel de Bruxelles, apporte une richesse immatérielle que peu d’autres biens peuvent offrir. Les familles détenant un bien classé sont en général très fières de leur patrimoine et font beaucoup d’efforts, voire de sacrifices, pour le conserver. Elles raisonnent souvent en termes de richesse pour la société, et pas uniquement pour elles-mêmes.”

Ce privilège a toutefois un prix. Le cadre légal et administratif entourant les biens classés s’est alourdi avec le temps. “Les autorisations préalables, les délais parfois décourageants et le recours impératif à des artisans spécialisés transforment chaque projet en véritable parcours du combattant, prévient l’administratrice de l’Immobilière Le Lion. La rénovation d’un bien classé exige de la rigueur, de l’ingéniosité et une grande patience. Le budget que représente la rénovation et l’entretien est, du reste, devenu une donnée importante de l’acte d’achat. Les acquéreurs n’agissant qu’au coup de cœur irrésistible se font plus rares.”

Villa moderniste d’exception à Uccle, mariant lignes épurées, nature luxuriante, piscine et vue imprenable. © Gatien Baron, IMMOBILIÈRE LE LION

Avec ou sans subsides, un immeuble classé s’accompagne clairement d’énormes contraintes. Si l’on ne peut dénaturer le bâtiment lui-même, son affectation peut également poser problème, puisqu’il s’agit souvent d’hôtels de maître à usage résidentiel. Et le dialogue avec les Monuments et Sites, l’institution gardienne du temple en Région de Bruxelles, n’est pas toujours facile. Une famille ayant récemment restauré une maison de maître à l’identique, avec beaucoup de soin et en y investissant énormément d’argent, en a gardé un souvenir un peu amer…

Conservateur du musée Hôtel SolvayAlexandre Wittamer se félicite, au contraire, de la collaboration avec les Monuments et Sites. Ils imposent des contraintes, certes, mais “ce sont aussi de grands professionnels qui passent leurs journées dans des bâtiments classés et peuvent donc partager leur large expérience”.

Doubles vitrages enfin autorisés

“Le classement d’un bien génère parfois un problème inattendu, souligne pour sa part Philippe Koelman : a priori, tout est classé. Même la cuisine dont on aurait affublé un hôtel de maître Art déco dans les années 1970 ! Le propriétaire ne sera évidemment pas obligé de la conserver, au contraire, mais c’est un sujet de discussion supplémentaire.”

“Moderniser les performances énergétiques de ce type de bâtiment représente un défi de taille, souligne Suzanne Belgeonne, car il faut intégrer des technologies sans dénaturer l’architecture du bien. Ceci exige des solutions créatives, souvent complexes à mettre en œuvre. Et cela suppose des moyens financiers conséquents.”

Trésors du patrimoine bruxellois, les cités-jardins Le Logis-Floréal incarnent l’utopie ouvrière des années 1920 dans un écrin de verdure préservé. © DR

© DR

Même si les maisonnettes des cités-jardins Le Logis et Floréal n’ont pas grand-chose à voir avec les biens dont il est question ici, la saga de ces deux ensembles de logements sociaux situés à Boitsfort est restée emblématique. Les médias ont largement relayé l’obligation faite, un jour, aux occupants de déposer les châssis à double vitrage qu’ils avaient installés, alors même que l’on enjoint la population de réaliser des économies d’énergie ! Les propriétaires de l’hôtel Métropole ont également souligné ce problème. L’attitude des autorités s’est toutefois assouplie ces dernières années, relèvent les personnes intéressées. Ceci fut, en quelque sorte, officiellement acté en juin 2023, quand les doubles vitrages furent autorisés pour Le Logis-Floréal. Toutefois, si l’on peut aujourd’hui concevoir des châssis gardant l’aspect extérieur de l’immeuble, ils sont très coûteux : de 80 000 à 100 000 euros par maison au Logis-Floréal, en dépit des dimensions modestes de ces logements.

© Hôtel Métropole

© Hôtel Métropole

Avec ou sans subsides…

À Bruxelles, certains quartiers et artères sont réputés pour leurs immeubles classés. C’est le cas de l’avenue Roosevelt, avec la remarquable villa Empain réhabilitée par la Fondation Boghossian, ou encore, à proximité de l’Université libre de Bruxelles, la maison Delune, acquise par les Émirats arabes unis qui y ont installé leur ambassade. On en trouve également dans des endroits moins évidents, car les biens classés sont aujourd’hui beaucoup moins prestigieux ou ont complètement changé. L’ancien siège de la société de bourse Bonnewijn, Renwart Van Goethem & Cie, rue de la Loi, est un cas typique de cette seconde situation, avec la salle des guichets classée. La première trouve une illustration au travers d’un immeuble Horta rue Hôtel des Monnaies, à Saint-Gilles, de longue date affecté aux bureaux.

La restauration de la Villa Empain, dirigée par Diane Hennebert de 2006 à 2015, a permis de redonner vie à ce joyau de l’Art déco bruxellois. © Thibault de Schepper

© Thibault de Schepper

Art nouveau et Art déco ne sont pas les seuls courants qui retiennent l’attention, souligne Philippe Koelman. Le modernisme des années 1950 ou même certains immeubles des années 1970 sont désormais repris à l’Inventaire du Patrimoine, voire classés. Le passage de l’un à l’autre n’est pas du tout automatique, faut-il le préciser ? D’autant qu’un immeuble classé a droit à des subsides, alors que Bruxelles ne nage pas dans l’opulence. Il semblerait donc que l’on ait tendance à freiner les initiatives…

L’ancienne salle des guichets de la société de bourse Bonnewijn, Renwart Van Goethem & Cie, surmontée d’une coupole majestueuse, est aujourd’hui classée. © Agathe Hakoun

Un immeuble classé présente, en effet – du moins en théorie – un attrait susceptible de compenser, au moins partiellement, les contraintes que ce statut impose : les subsides alloués par les autorités. Il ne faut toutefois pas trop compter dessus en ces temps de caisses vides. Du reste, si ces aides peuvent être précieuses pour des héritiers voulant conserver un bien, elles n’entrent généralement pas en ligne de compte pour les personnes fortunées souhaitant acquérir ce genre de bien classé, observent les professionnels. Il faut savoir que les subsides possibles ne concernent pas nécessairement le bien lui-même. Pour la propriété moderniste évoquée plus haut, c’est la rénovation du parc, estimée à 300 000 euros, qui a pu être subsidiée pour une bonne moitié, tandis que celle de la piscine, de l’ordre de 80 000 euros, a pu l’être à 80%.

Il arrive, bien entendu, que le soutien financier public soit d’une autre ampleur. Ainsi le château Charle-Albert de Watermael-Boitsfort, quasiment à l’état de ruine, a-t-il bénéficié d’une enveloppe de 3,15 millions de la Région bruxelloise lors de son achat en 2012 par un précédent propriétaire. Pour sa restauration, ou plus exactement sa quasi-reconstruction… Dans le communiqué publié à l’époque, ce montant fut présenté comme couvrant 80% des travaux mais, au total, ceux-ci coûtèrent le double environ. La vérité, en fait, c’est que si l’on peut aller jusqu’à 80% pour plusieurs types de travaux, d’autres ne se situent pas à ce niveau, alors que le propriétaire peut être obligé, ou désireux, d’ajouter certains postes. À noter qu’ici aussi, une partie des subsides concernait le parc. Celui-ci a dû faire l’objet d’une grande attention, car voisin d’une zone Natura 2000.

Elégant château Directoire classé (1756), entre charme historique et confort moderne, aux portes de Bruxelles. © Gilles van den Abeele, IMMOBILIÈRE LE LION

Les atouts de l’Hôtel Solvay

Comment les choses se passent-elles pour l’Hôtel Solvay (lire encadré ci-après), immeuble emblématique s’il en est ? Ouvert au public depuis 2021, il bénéficie du soutien financier plus important que la Région de Bruxelles accorde aux immeubles ayant le statut de musée. Ce n’est pas anormal, car une ouverture au public représente un important coût supplémentaire. Pour couvrir celui de la seule assurance, il faut accueillir quelque 1500 visiteurs par an, précise Alexandre Wittamer. Et ceux-ci sont limités à vingt par heure.

Un exemple de soutien ? “Nous avons bénéficié d’une situation d’urgence pour la récente rénovation du toit et de la façade, à la suite d’un problème de stabilité. Les pouvoirs publics se sont mis autour de la table avec nous pour trouver une solution. Le taux nominal de ces subsides est de 80 %, ce qui est bien utile quand on sait qu’intervenir dans un bâtiment classé engendre des coûts bien plus importants que dans un bâtiment classique. Ici, tout coûte cher : le travail des artisans, mais aussi les recherches préparatoires, par exemple.” Pour assurer davantage la pérennité du lieu, Alexandre Wittamer n’exclut pas une collaboration plus étroite de type public-privé, voire du sponsoring.

S’il est impensable d’arriver à un PEB de niveau A pour un tel immeuble, sourit Alexandre Wittamer, l’Hôtel Solvay présente d’origine plusieurs atouts en matière d’isolation : pas de double vitrage mais deux vitres à certains étages. “Nous avons retrouvé et réutilisé les volets, à présent munis d’un moteur électrique. Horta avait par ailleurs prévu une ventilation permanente et sans machinerie. Cette maison prouve vraiment le génie de l’architecte !”

La génération suivante… ou pas

Le profil des acheteurs a-t-il changé ? Le marché connaît des changements, parfois éphémères, plutôt qu’une évolution claire. Bruxelles a ainsi connu l’épisode des oligarques russes achetant des biens prestigieux, comme partout en Europe, mais à petite échelle. Tant un hôtel de maître du boulevard Saint-Michel qu’une maison proche de l’Abbaye de la Cambre, deux achats connus de leur part, figuraient toutefois sur la liste de sauvegarde architecturale et n’étaient pas classés.

L’achat d’un bien classé, donc prestigieux mais contraignant et coûteux à entretenir, présente un inconvénient qu’on ne saurait sous-estimer : plus encore qu’une seconde résidence un peu lointaine, il risque de ne pas intéresser la génération suivante, en raison d’aspirations différentes. Ceci ne vaut toutefois guère dans les familles occupant par exemple un château depuis plusieurs générations, où il reste souvent de tradition que l’aîné reprenne la propriété, souligne un spécialiste.

“Acquérir un bien classé, c’est embrasser un projet de vie, traduit Suzanne Belgeonne. Un défi parfois monumental, mais infiniment gratifiant. Ceux qui relèvent cette aventure créent plus qu’une demeure : ils bâtissent un héritage vivant.” Parfois, il ne se transmettra pas aux enfants, si ces derniers ne partagent pas la passion de leurs parents. Mais parfois ce sera le cas, comme l’illustre la destinée de l’Hôtel Solvay.

Le style “nouille” est sauvé !

Alexandre WittamerConservateur de l’Hôtel Solvay situé avenue Louise, Alexandre Wittamer rappelle : “La maison a été sauvée de la démolition par mes grands-parents, qui l’avaient acquise en 1957. Les autres acheteurs sur les rangs envisageaient de l’abattre. J’appartiens à la troisième génération de concierges du lieu, sourit-il, avec le devoir de passation aux générations suivantes et d’ouverture au public de cet emblème d’une époque”.

Hôtel Solvay

La presse avait présenté la famille Wittamer comme “un peu folle”, car voulant sauver un immeuble de style “nouille”, a-t-il retrouvé dans les archives. Une époque heureusement lointaine, comme en témoigne le classement des lieux en Belgique (en trois phases, de 1977 à 2012), ainsi qu’au Patrimoine de l’Unesco en 2020. Autre hommage : l’Année de l’Art nouveau proclamée en 2023 par la Région de Bruxelles, événement qui a entraîné un bel accroissement de la fréquentation touristique étrangère dans la capitale. Un coup de pouce dont n’a guère besoin l’Hôtel Solvay, dont les visites sur réservation affichent toujours complet. À contre-courant de l’opinion générale, les grands-parents Wittamer, propriétaires de la maison de haute couture Valens, ont vu le génie d’Horta à travers cette œuvre emblématique, se réjouit leur petit-fils. Il admire d’autant plus leur courage que, pour réaliser cette acquisition, ils ont été obligés de revendre les terrains achetés pour agrandir leurs ateliers de couture. Ceux-ci furent partiellement hébergés dans l’Hôtel Solvay, sans toucher à l’intégrité du bâtiment. Vous aurez compris qu’il n’était absolument pas question de soutien public à l’époque…

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