Camille Misson de Saint-Gilles
21 November 2025
La vallée de la Semois est jalonnée de belvédères, mais le point de vue du “Jambon” figure parmi les plus spectaculaires. Depuis la crête, la rivière dessine une boucle parfaite de près de deux kilomètres, dont la silhouette évoque un jambon posé dans l’écrin forestier. Face à la plaine de Kelhan et à la réserve naturelle de Bohan-Membre, le lieu attire promeneurs et photographes en quête de paysages ardennais à couper le souffle.
Longtemps accessible par un simple sentier, le point de vue souffrait toutefois d’un aménagement sommaire, peu sécurisant et mal adapté à la fréquentation croissante du site. La commune de Vresse-sur-Semois a donc souhaité offrir un nouvel accès qui valorise le panorama sans le dénaturer.
Pour répondre à cette ambition, le bureau d’étude SBE Engineering a proposé un geste architectural mesuré : une passerelle suspendue, elliptique, avançant de cinq mètres au-dessus du vide. Loin d’imposer une structure massive, le projet a été pensé comme une extension discrète de la crête naturelle. Sa hauteur a même été volontairement abaissée d’1,5 mètre par rapport à la ligne de crête, de sorte que l’ouvrage demeure invisible jusqu’au dernier moment.
Le choix du matériau illustre également cette volonté d’intégration. L’acier Corten, dont l’oxydation naturelle produit une teinte brune aux reflets rouille, se fond dans la palette de couleurs de la forêt environnante. Ici, pas de béton blanc éclatant ni de structures brillantes : l’ouvrage se fait discret, presque camouflé, afin de préserver l’atmosphère intime du site.
© SBE
Au-delà de l’élégance du geste architectural, la passerelle du Jambon de la Semois est une véritable prouesse technique. Pesant près de 80 tonnes, la structure a été fabriquée en atelier par Techno Metal Industries (TMI), avant d’être transportée en six segments jusqu’au site. Pour limiter l’impact sur l’environnement, les pièces ont été assemblées deux par deux, puis lentement poussées vers l’avant.
Une fois les six éléments reliés, le contrepoids en béton a été coulé et la passerelle a été déplacée dans une ultime poussée horizontale afin de s’élancer au-dessus du vide. Le tout est maintenu en équilibre sur seulement quatre appuis grâce à un ingénieux système de contrepoids, sans ancrages profonds dans le sol. Cette méthode évite de blesser la roche et respecte la topographie du site.
Conçu pour améliorer l’expérience du visiteur, l’ouvrage ne se limite pas à un simple geste esthétique. L’aménagement du sentier d’accès a été pensé pour être accessible aux personnes à mobilité réduite, ouvrant ce paysage emblématique à un public plus large. La passerelle offre également une sécurité renforcée pour les visiteurs, qui peuvent désormais admirer la vue sans risque, là où l’ancien accès présentait certaines zones abruptes.
© OLIVIER LEGARDIEN
Attribué pour un montant d’environ 1,1 million d’euros, le marché des travaux a été largement soutenu par des subsides régionaux à hauteur de plus de 820 000 euros. Pour la commune de Vresse-sur-Semois, il s’agit d’un investissement patrimonial et touristique, mais aussi d’un manifeste architectural : montrer qu’il est possible de renforcer l’attractivité d’un site naturel tout en respectant son identité.
Avec cette passerelle en porte-à-faux, la vallée de la Semois gagne un emblème, à la fois discret et spectaculaire. Loin des interventions massives qui défigurent parfois les paysages, l’ouvrage prouve qu’une architecture contemporaine, quand elle se fait humble et respectueuse, peut sublimer un site naturel sans l’éclipser. Suspendue au-dessus du vide, elle convie le visiteur à prendre place dans le paysage, à ressentir la profondeur de la vallée et à redécouvrir un patrimoine paysager riche d’histoire.
Photo de couverture : © SBE
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