Martin Boonen
18 December 2025
Dix ans. Dans le monde de la restauration, une décennie représente une éternité. Combien d’adresses à la mode n’ont pas survécu à la tendance qu’elles incarnaient ? La Table de Mus, elle, franchit le cap de la décennie avec l’assurance tranquille de ceux qui ont su traverser les tempêtes sans renier leur identité. Installé Place de la Vieille Halle aux Blés, face à la Fondation Jacques Brel et à deux pas de Manneken Pis, ce restaurant de gastronomie française moderne a rapidement fait courir le Tout Bruxelles.
Mustafa Duran © La Table de Mus
Derrière cette réussite se trouve Mus (Mustafa Duran, de son nom complet), véritable personnage du centre ville. Sommelier de formation (ça se voit, et ça se goute) et hôte charismatique, il s’était déjà forgé une solide réputation avant de se lancer en solo en 2015. Ses années d’apprentissage auprès de figures de l’Horeca belge telles Roland Debuyst (Bocuse d’Argent 1993), Michel Doukissis, Dominique Aubry ou encore Gaëtan Colin lui ont transmis les fondamentaux d’une hospitalité à la fois polie mais proche des gens. Aujourd’hui membre des Mastercooks of Belgium et de l’Académie Culinaire de France, son établissement a été primé Best of Brussels 2016 et Delta d’Or 2018.
© La Table de Mus
La Table de Mus n’est peut être pas le plus célèbre des restaurants gastronomiques de la capitale, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a ses fidèles, des habitués, qui, sous le manteau, s’échangent, avec beaucoup de précautions, les meilleures adresses du pays. Et ce succès, nous le verrons, Mus le doit tant à la qualité proposée par la cuisine, qu’à celle du service en salle !
© La Table de Mus
Son style ? Celui d’une hospitalité franche, parfois un peu brute, mais toujours bienveillante, à la fois racée et chaleureuse.
À l’approche de la cinquantaine, Mus envisage désormais l’avenir sous le prisme de la transmission. Ses deux fils, Emre-Can et Okan, ont rejoint l’équipe en salle, renforçant le caractère familial de l’adresse. En cuisine, c’est June Vrolijk, entrée comme seconde, qui a repris les rênes des fourneaux à la suite du fidèle chef Khaled Bouhamidi. « J’ai toujours été animé par des valeurs de partage et d’échange de savoir-faire. Il ne faut pas perdre les acquis et surtout garder la volonté de durer, de rester », confie le patron.
© La Table de Mus
Ce parcours ne s’est pas fait sans obstacles. Les attentats de Bruxelles, l’aménagement du piétonnier, la crise sanitaire : autant d’épreuves que La Table de Mus a su surmonter. Mus envisage d’ailleurs de parrainer sa jeune cheffe pour qu’elle intègre la section “Young Master” des Mastercooks of Belgium.
Formée à l’École Hôtelière de la Citadelle de Namur, June Vrolijk a donc remplacé le chef historique de la maison Khaled Bouhamidi qui, pendant huit ans, avait fait les beaux jours de La Table de Mus. Comme il se doit pour une adresse de cette réputation, June Vrolijk a affûté ses couteaux et son talent dans des maisons réputées comme Le Coriandre et chez Philippe Meyers avant de rejoindre La Table de Mus. Un changement de chef, pour un restaurant qui tourne comme La Table de Mus, c’est un immense pari. Certes cela peut donner un coup de fouet salvateur à un établissement qui ronronne, mais cela peut aussi entraîner une fracture avec la clientèle d’habitués que l’on mettra peut-être du temps à reconquérir, et encore, sans certitudes d’y arriver.
© La Table de Mus
La prise de fonction comme cheffe exécutive de June Vrolijk à La Table de Mus en 2023 marque, elle, une transition réussie. Sans esbroufe, elle s’est attachée, avec beaucoup de maîtrise, à assurer une continuité intelligente, respectueuse du produit et des bases françaises classiques qui ont fait la force de La Table de Mus, tout en insufflant une fraîcheur nouvelle.
© La Table de Mus
Son terrain d’expression privilégié demeure le menu surprise, concept fondateur de la maison. Point de carte à rallonge ici : le client choisit le nombre de services et laisse la cuisine s’exprimer au gré du marché. Gibier en automne, Saint-Jacques en saison, produits nobles travaillés avec techniques et créativité – le tout relevé par des condiments vifs et des huiles aromatisées qui signent désormais son style.
© La Table de Mus
C’est beau, c’est frais, et surtout : c’est bon ! Avec beaucoup de finesse June Vrolijk ajuste, sans effets de manche, les saveurs pour obtenir des plats très équilibrés, capables de beaucoup de gourmandises sans caricature.
© La Table de Mus
Un autre atout majeur de l’adresse réside dans sa cave, véritable terrain de jeu de Mus. Plus de trois cents références, essentiellement issues du vignoble français, composent une collection de grande renommée. Visible depuis la salle et même privatisable pour six convives, elle témoigne de la passion du maître des lieux pour les accords mets-vins. Ses conseils, souvent audacieux, emmènent les convives hors des sentiers battus, vers des découvertes parfois inattendues. C’est la raison pour laquelle il faut se laisser tenter par les accords mets-vins proposés par Mus. Le souvenir, explosif, presque régressif, de ce poiré d’Eric Bordelet sur un déssert à base de poire et d’un chocolat très cacaoté, nous laisseras une trace indélébile sur le palais.
© La Table de Mus
Alors, on pourrait discourir longtemps sur la qualité de la cuisine de la cheffe Vrolijk, sur la précisions des assaisonnements, sur l’équilibre des goûts et textures, sur son sens des associations, vraiment. Mais il ne faudrait pas, se faisant, passer à côté de l’autre grande raison de la durée dans le temps de La Table de Mus : le plaisir d’avoir un service en salle irréprochable ! Il n’est plus besoin de préciser les difficultés de recrutements dans l’HoReCa : le personnel se fait rare, le personnel de qualité plus encore. Alors, on finit par s’habituer aux services qui traînent, aux musiques trop bruyantes, aux boissons qui arrivent après les plats… Rien de tout cela chez Mus. Sa grande silhouette athlétique traverse la salle du restaurant à grandes foulées souples, presque nerveuses, avec un mot pour chaque table, un sourire pour tous les convives. Son regard acéré traque les verres vides, les assiettes qui trainent un peu à table, les panières orphelines… il veille, comme un chef d’orchestre au tempo. Musique, Maestro ! Trois, quatre, cinq ou six services, rien n’y change : à La Table de Mus, pas de temps mort. Les plats s’enchaînent dans la joie et la bonne humeur, sans jamais se presser, sans pression. Chez Mus, on a le temps de profiter, sans s’ennuyer. Le personnel en salle est affable, trouvant la bonne distance entre politesse et proximité, tout en y ajoutant cette pointe de fronde, toute brusseleir qu’on aime retrouver dans les établissements du centre historique de la ville. « Tout est important : la cuisine, ses produits travaillés avec techniques et créativité, l’esthétique des lieux et de La Table, la richesse de la carte des vins et surtout, le sens de la générosité et de l’hospitalité », résume Mus. Puisse certains s’en inspirer !
En définitive, La Table de Mus a réussi le périlleux virage du changement de chef sans perdre son âme ni son niveau. La dynamique entre le patron expérimenté et la jeune cheffe crée une énergie prometteuse pour la prochaine décennie. Une adresse qui, décidément, a encore beaucoup à raconter.
Restaurant
La Table de Mus
Adresse
Place de la Vieille Halle aux Blés,
1000 Bruxelles
Réservations
Sur internet
Publicité
Publicité