Martin Boonen
06 September 2024
Eventail.be – Après les brasseries, s’ouvrir à la distillation était-elle la suite logique ?
Edward Martin – Mon arrière-grand-père est arrivé d’Angleterre à Anvers en 1909. Il était shipchandleur (commerçant vendant des fournitures pour bateaux, ndlr) et importait dans toutes l’Europe toutes sortes de biens, dont des spiritueux, notamment les whiskies de Dewar’s. Ensuite, il s’est concentré sur l’importation de bière, avant de devenir brasseur. Mais notre histoire belge à donc bel et bien commencée avec les spiritueux. Mon père, Anthony Martin, aime répéter qu’avec cette microdistillerie à la ferme de Mont-Saint-Jean, nous bouclons la boucle de notre histoire familiale. De mon côté, en ajoutant une nouvelle corde, celle de la distillation, à l’arc de notre activité commerciale, j’apporte ma propre contribution au développement de notre société. C’était important pour moi de ne pas me cantonner à un rôle de gestionnaire d’une affaire familiale qui tourne mais d’y laisser ma propre marque. Le projet de la distillerie est une idée qui a germée avec mon Papa et dont je suis devenu le Maître Distillateur. J’en suis très fier.
Le ferme de Mont-Saint-Jean accueille dans son sein, outre un musée et un restaurant, une microbrasserie et une microdistillerie © FMST
– Y a-t-il des ponts entre l’univers du brassage et celui de la distillation, en particulier entre la bière et le whisky ?
– Quelques-uns, en effet. J’aime rappeler qu’avant d’être distillateur, je suis surtout brasseur. Et à ce titre j’aimerais rappeler aussi que le whisky est d’abord le produit de la distillation d’une fermentation de céréales… Même si dans le monde du whisky on appelle cette fermentation de céréales “wash”, il s’agit, à peu de chose près, de bière. C’est intéressant de le rappeler car les Écossais, chez qui la culture du brassage n’est pas aussi forte que chez nous, n’en parlent jamais. C’est pourtant de ce wash, qui sert de base au whisky, que celui-ci tire une partie importante de sa richesse organoleptique. Pour la même raison culturelle, les Écossais n’ont que peu de considération pour la levure qu’ils utilisent pour démarrer la fermentation de leur wash. Or, tout brasseur sait à quel point elle est importante. Si l’on considère que la bière est le point de départ du whisky, alors des ponts évidents entre la distillerie et la brasserie apparaissent immédiatement. C’est la Waterloo Triple qui sert de base à nos single malts par exemple.
© Michel Verpoorten
– Et qu’en est-il des différences ?
– Il y en a beaucoup aussi évidemment. Notamment parce que les whiskies ne peuvent, au contraire de la bière, contenir du houblon. D’autres sont d’ordre culturel, comme le culte, difficilement justifiable, des single malts en Écosse. Il trouve son origine dans une raison historique : l’attachement des Écossais à leurs fameux pot stills, ces alambics à repasse qui fonctionnent sur le principe de la double distillation. D’autres alambics, arrivés plus tard, ont permis de distiller en une seule passe et avec des concentrations alcooliques plus élevées. Ces nouveaux alambics permettent qu’on ajoute à l’orge malté, d’autres céréales de grains, comme le froment ou le seigle. Malgré cette avancée technologique, les Écossais n’ont jamais lâché leurs anciens pot stills, prétextant que cette double distillation, plus longue, plus coûteuse… était donc, selon eux, forcément meilleure. Cela relève plus d’un argument marketing que d’une vérité scientifique. Le froment apporte, notamment, des notes fruitées au whisky.
Edward Martin devant les alambics de la microdistillerie de la ferme de Mont-Saint-Jean © Michel Verpoorten
– Quelle est votre politique de vieillissement ?
– De nouveau, l’importance du vieillissement en fût, c’est une idée culturellement très forte en Écosse. Ils prétendent même que 80% des arômes d’un whisky proviennent du fût. En fait, les arômes sont une notion tellement complexe, que c’est difficile à prouver en tant que tel. C’est aussi donner une responsabilité bien limitée au wash et à la distillation qui sont pourtant des étapes cruciales dans l’élaboration d’un whisky. Donc, oui, je suis attentif au vieillissement de nos whiskies, mais j’essaie de faire les choses un peu différemment, notamment, en utilisant, à côté des anciens fûts de bourbon en chêne américain, des fûts en chêne français, beaucoup plus rares. Les premiers, surtout avec des chauffes fortes, apportent des notes de vanille, de caramel, quand les seconds jouent sur des tons beaucoup plus épicés. Je jongle donc avec les deux essences, mais je joue aussi avec la taille des fûts. Les fûts de chêne français ont une petite taille (35l) et marquent donc le whisky de manière très intense. Cela contribue à donner une grande rondeur à nos whiskies qui les font parfois paraître plus âgés qu’il ne le sont vraiment.
© MSJ Distillery
– Comment voyez-vous la gamme de whisky évoluer ?
– Notre production est minuscule et elle le restera. Nous ne sacrifierons jamais la qualité à la quantité. La gamme comprendra en permanence un single grain et un single malt, qui seront rejoints, ponctuellement, par des éditions limitées. Par exemple, en fin d’année, nous sortirons un whisky de 5 ans d’âge vieilli en fût de rhum. Je suis toujours à la recherche de bonnes idées. Pourquoi pas, par exemple, s’associer avec un viticulteur belge, je suis sûr que l’on pourrait faire de grandes choses dans des fûts de vins belges.
Photo de couverture : © Michel Verpoorten
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