Éric Jansen
08 July 2024
Il vient de livrer une maison à New York et une autre à Londres, une tour à Miami Beach, un palais à Doha, un penthouse à Hong Kong et deux palais en Inde… Jean-Louis Deniot a vingt-quatre ans de carrière et à son actif près de 200 réalisations à travers le monde. Il faut dire qu’il n’arrête jamais. Son énergie, son pouvoir de séduction et, bien sûr, son talent lui assurent des commandes incessantes qu’il supervise depuis sa magnifique agence située sur l’esplanade des Invalides, à Paris, entouré d’une trentaine de collaborateurs. À peine son diplôme de l’École Camondo en poche, l’architecte d’intérieur a immédiatement séduit une clientèle internationale.
Jean-Louis Deniot © Stephan Julliard
Ambassadeur de la French touch, il a commencé par décliner un style néo-classique, où se lisait en filigrane son goût pour Jean-Michel Frank, André Arbus, Marc du Plantier ou Gilbert Poillerat. Puis, au fil des années et de ses nombreux séjours aux États-Unis, sa rigueur formelle s’est assouplie, arrondie, ensoleillée. Un parfum des années 1960, la création de ses propres meubles, son amour des tissus texturés et des couleurs sourdes et puis, surtout, une envie de sortir du cadre, ont considérablement élargi sa palette. Les grandes figures du passé ont laissé place à un univers intemporel et luxueux, où la fantaisie est bienvenue, car Jean-Louis Deniot n’a qu’une hantise : que sa décoration soit trop sage et convenue. “C’est vrai que j’aime détourner un peu les choses, je fais en sorte que la composition soit impeccable, limpide, très agréable à regarder, mais je me pose toujours la question : est-ce que ça ne manque pas un peu d’énergie ?”
© Stephan Julliard
Cette maison qui surplombe la baie de Porto-Vecchio en est la parfaite illustration. Quoi de plus de banal que de décorer une villa de vacances ? Cet exercice de style résonnait comme un défi pour l’homme habitué à des chantiers plus propices à la créativité. Il a tout de même réussi à y imprimer sa patte. “La Corse, ce n’est pas la côte d’Azur ou l’île de Ré, Capri ou les Hamptons. C’est un bord de mer qui compose avec la montagne. On n’est pas les pieds dans l’eau. L’aspect minéral du paysage a présidé à l’esthétique du projet. Rien de balnéaire. Pas de mur blanc ni de rayure bleue. Mais la pierre, le maquis, la couleur de l’olivier.” Ce principe posé, Jean-Louis Deniot a décliné son idée afin de faire naître, entre rochers et garrigue, une bergerie très spéciale. À l’extérieur, la maison est habillée de pierre locale, la lauze, et de bois. “La construction est neuve et je ne voulais surtout pas que cela se voie. L’idée est aussi d’être caché. En Corse, on aime l’humilité. À l’intérieur, même désir : les choix de la décoration ont été faits pour adoucir, intégrer le bâtiment dans la nature.” La démarche est louable. Toutefois, elle doit composer avec la personnalité des propriétaires, un couple de marchands d’art contemporain, et leur collection d’œuvres… La rusticité voulue par Jean-Louis Deniot prend alors une forme très particulière, à la fois audacieuse et subtile.
Le dialogue entre simplicité et subtile sophistication est permanent dans la maison, à l’image de cette table en cèdre poli et brossé, créée sur mesure, sous une suspension de Gino Sarfatti des années 1960. © Stephan Julliard
© Stephan Julliard
Dès l’entrée, un mur est tapissé d’ardoise, sur lequel se détache parfaitement une sculpture de Xavier Veilhan posée sur une console de Charlotte Perriand. On fait quelques pas pour entrer dans un vaste salon où trône une immense cheminée en acier Corten sur fond de fibre de bananier. “On pourrait s’étonner devant ce métal rouillé, mais je trouvais que la couleur, la texture fonctionnaient bien ici. Il fallait que j’emploie aussi des matériaux qui font référence à la modernité ; idem avec tous les sols en ciment, mais couleur sable mouillé, pas blanc, afin d’éviter le côté galerie d’art.”
La bergerie prend des airs de loft, sans pour autant afficher des murs en béton brut. “Pour faire la séparation entre le salon et la salle à manger, j’ai fait réaliser une peinture décorative qui évoque la lauze.” Jean-Louis Deniot aime particulièrement habiller les murs de ses projets de fresques abstraites très souvent réalisées par l’artiste Florence Girette. Les poutres peintes en vert olive renouent avec l’image traditionnelle, mais une suspension scandinave vient une nouvelle fois bousculer les choses, tout comme le lampadaire en plâtre de Charles Trevelyan provenant de la très pointue Carpenters Workshop Gallery. Et que dire du mobilier ? Les canapés de Vladimir Kagan que Jean-Louis Deniot a fait recouvrir de trois couleurs différentes, dialoguent avec un tapis et des tables basses en bois fossilisé, séquoia et bronze créées spécialement.
L’ardoise de l’entrée, sur laquelle se détache une sculpture de Xavier Veilhan (au fond, à gauche), la cheminée en acier Corten, les tables basses en bois pétrifié et le papier peint en fibre végétale évoquent une certaine idée de rusticité, contrebalancée par les canapés de Kagan, la suspension d’Oswald Haerdtl et le lampadaire de Trevelyan. Au mur, tableau de Bharti Kher. © Stephan Julliard
Côté salle à manger, sous un mobile de Xavier Veilhan, une table de Pierre Jeanneret et des chaises de Charlotte Perriand. © Stephan Julliard
Côté salle à manger, l’amateur reconnaît immédiatement la table de Pierre Jeanneret et les chaises de Charlotte Perriand, sous un mobile très graphique de Xavier Veilhan… Une sobriété pour initiés que l’on retrouve au fil des pièces, où dans une palette de gris, de miel et de lichen, la simplicité est de mise, à l’exemple de cette enfilade en écorce de bouleau, dans le bureau, de cet austère lit à baldaquin en forme de croix, réalisé à partir de vieilles poutres en chêne par Pierre-Eloi Bris, qui cohabite sans heurt avec un mur de liège et un tableau de David Ratcliff, ou encore, dans une chambre d’amis, de ce plancher composé de lattes irrégulières, pour évoquer le sol d’une ferme… Dans le même esprit, une tranche de sequoia simplement fixée au mur fait office de tête de lit et le papier peint rappelle à nouveau la pierre locale. Les salles de bains sont également traitées de cette façon : dans celle-ci, la vasque ressemble à une auge, mais en travertin et aux angles stylisés ; dans celle-là, Jean-Louis Deniot élève un mur en lauze qu’il laisse inachevé, “comme un vestige de l’ancienne bergerie”, sur lequel il pose, en guise de porte-serviette, une échelle pas si ordinaire, puisque trouvée chez Tucker Robbins. “J’ai dessiné le miroir qui est édité aujourd’hui par Pouenat, ses lignes sont irrégulières, comme un caillou, un autre clin d’œil à l’atmosphère du site.”
On sent que l’exercice de style l’a amusé. Inutile de préciser que ces bergers très sophistiqués s’éclairent grâce à des luminaires signés Gino Sarfatti ou Serge Mouille et que la maison dispose d’une salle de sport, d’un sauna et d’un home cinéma… Depuis, Jean-Louis Deniot a renoué avec d’autres chantiers de plus grande envergure, à l’exemple du fameux Waldorf Astoria, à New York, qu’il transforme en appartements de luxe. “Dans un style néo-classique 1930.” Loin, très loin de la lauze…
Photo de couverture : Pour que la villa s’intègre à la nature, Jean-Louis Deniot l’a habillée de lauze et de bois. Un esprit bergerie qui compose toutefois avec une impressionnante piscine. © Stephan Julliard
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