Thomas de Bergeyck
02 November 2025
Personne n’est d’accord sur l’origine exacte du nom “Belgique”. Lors des conquêtes de la Rome antique, le peuple présent sur le territoire était qualifié de “bhelgh”, l’éthymologie celte devenant ensuite Belgae qui signifie “se gonfler d’orgueil” ou de “être furieux”. Peu flatteur… D’autres sources avancent, quant à elles, un lien avec le terme indo-européen “bhelegh” qui signifie “briller”. Belenos est d’ailleurs le dieu de la lumière et de la beauté chez les Celtes. Briller sans éblouir : ainsi serait le Belge des temps anciens ! Cette interprétation, avouons-le, nous convient mieux.
Ce petit bout de terre va très vite réserver un accueil digne aux puissants. Les comtes de Flandre et les ducs de Brabant y dressent leurs beffrois. Les ducs de Bourgogne, eux, inventent une cour fastueuse où l’on festoie autant que l’on intrigue. Anvers, Bruges et Gand deviennent des phares du commerce européen, reliant les épices de l’Orient aux draps de laine anglaise. Ici, tout transite : les marchands, les armées, mais aussi les idées. L’empereur Charles Quint, que l’on célèbre chaque été durant l’Ommegang, en offre un bon exemple. Né à Gand, il incarne à lui seul l’ADN belge : cosmopolite, polyglotte, souverain d’un empire immense sur lequel le soleil ne se couchait jamais, mais homme resté attaché à sa ville natale. Il paraît qu’il avait conservé son accent local jusque sur le trône d’Espagne. Ce mélange d’ancrage et d’ouverture irrigue encore le pays.
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Les guerres n’épargnent pas la future Belgique. À Waterloo, les plaines voient tomber Napoléon Bonaparte, ralenti par la pluie, trahi par la fameuse boue belge. Quelques kilomètres plus loin, les champs de Flandre deviennent, en 1914-1918, l’un des cimetières les plus terribles de l’Europe moderne. Pourtant, de ces terres meurtries a toujours jailli une force créatrice. Car la Belgique est aussi le pays des révolutions. La plus cinglante sera celle qui mettra le feu aux poudres en 1830. À l’Opéra de Bruxelles, les spectateurs de La Muette de Portici descendent dans la rue au cri de “l’Amour sacré de la patrie !”. Les pavés s’embrasent, les drapeaux se créent, se dressent et quelques mois plus tard, Léopold Ier prête serment au balcon de la place Royale. Il est le premier roi d’un pays tout neuf, déjà partagé entre Flamands et Wallons, mais uni par l’élan d’indépendance. Sa devise, “L’union fait la force”, résonne comme un vœu pieux et un défi permanent. Près de deux siècles plus tard, rien ou presque n’a changé.
La Belgique est aussi une mosaïque. Ou un diamant comme l’a souvent comparé le roi Philippe, lors de voyages officiels à l’étranger. Les pinceaux de Brueghel racontent la vie des campagnes, tandis que le talent de Rubens déploie ses formes sensuelles dans les églises anversoises. Plus tard, Magritte détourne le quotidien avec ses pipes qui ne sont pas des pipes, vendant ses toiles pour presque rien avant d’être reconnu dans le monde entier. Et que dire de Victor Horta l’un des pionniers de l’Art nouveau qui crée des demeures semblant s’épanouir comme des fleurs de pierre ? Toujours cette Excellence qui n’aura de cesse de se modeler et se réinventer. Jusqu’à la bande dessinée qui trouve sur le petit territoire belge un véritable royaume : Tintin, Spirou, Gaston Lagaffe, les Schtroumpfs… Autant de personnages qui font rayonner une fantaisie bien de chez nous.
Et puis, il y a la table ! Si la frite prête à rire, on oublie souvent que la bière trappiste, brassée par des moines silencieux, va sauver des abbayes entières. Que le chocolat, façonné avec une précision d’orfèvre, s’élève au rang d’art et attire en pèlerinage gourmand des amateurs du monde entier. Que les moules, les gaufres et même les chicons racontent une part de ce terroir généreux. Chaque région a sa spécialité ; chaque ville, son goût. La diversité culturelle se prolonge jusque dans l’assiette.
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Au cœur de cette histoire foisonnante, la capitale joue un rôle particulier. Ville bourguignonne, espagnole, autrichienne, française, puis hollandaise, avant de devenir belge, Bruxelles concentre toutes les strates du passé. Aujourd’hui capitale de l’Europe, elle l’était en réalité bien avant l’Union européenne : sa Grand-Place, qualifiée par Victor Hugo de “plus belle place du monde” – rien que cela ! –, fut le théâtre d’échanges internationaux dès le XVIIe• siècle. Comment s’étonner, dès lors, que l’Europe contemporaine ait choisi d’y établir ses institutions ? Pour marquer le siècle, l’Atomium dressé lors de l’Exposition universelle de 1958 incarne à la fois l’audace futuriste et l’art du symbole : le fer naît, grandit. Dans ce patchwork, l’équilibre est fragile mais fécond.
Trois langues officielles, des régions aux identités marquées, une capitale cosmopolite : tout semble propice à la division. Pourtant, une énergie propre au pays continue de souder l’ensemble vaille que vaille. Ironie, humour, autodérision : ces traits typiquement belges jouent le rôle de ciment. Qui d’autre aurait pu donner au monde un artiste surréaliste tel que Magritte ou un humoriste comme Raymond Devos ? Une plume comme Simenon, qui inventa Maigret dans les rues de Liège ? Ou encore l’insaisissable Amélie Nothomb et ses personnages singuliers ?
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Aujourd’hui encore, la Belgique continue de rayonner par sa culture populaire. Stromae remplit les stades avec ses mélodies métissées. Angèle exporte des expressions bruxelloises devenues glamour. Même les Diables rouges sont prêts à réenflammer les foules lors des grandes compétitions. Et que dire des créations belges, avec les célèbres “Six d’Anvers”, parmi lesquels Martin Margiela, Dries Van Noten et Dirk Bikkembergs ? Sans oublier Edouard Vemeulen chez Natan… Tous ont, à leur façon, bousculé les codes vestimentaires. Autant de preuves que la petite Belgique exerce toujours une influence qui dépasse largement ses frontières.
“Un petit pays mais un grand pays”, me disait il y a quelques années une Marollienne qui avait si bien résumé la Belgique. Ce bout de territoire coincé dans un concert de grandes nations, qui rit de lui-même, qui doute parfois, mais qui finit toujours par surprendre, ne saurait être fondamentalement mauvais. Plus qu’un État, c’est une idée : oui, un territoire modeste peut absorber les influences, les métisser et en faire percoler l’excellence.
Photo de couverture : © DR
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