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Steam Ship Sudan : Le sillage d’un autre siècle

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Soizic Colombato

04 December 2025

Le Nil avance. Il n’a jamais cessé. Depuis des millénaires, il serpente, indifférent aux révolutions, aux invasions, aux touristes. Il coule entre deux rives où la vie, elle aussi, s’écrit au ralenti : des palmiers courbés par le vent chaud, des villages en brique crue, quelques enfants qui rient en courant pieds nus, des buffles à demi immergés dans l’eau trouble… Et sur ce fleuve qui ressemble à une artère sacrée, un navire glisse. Lentement, sans bruit, comme pour ne pas troubler l’éternité.

Le Steam Ship Sudan, fend l’eau avec la grâce d’un survivant. Sa silhouette surgit dans le paysage comme un souvenir éveillé, presque irréel. Un bateau à roues à aubes de 1921, le dernier encore en service sur le Nil. Ce n’est pas une réplique, ni une attraction pour touristes en mal d’exotisme. C’est un véritable palace flottant, témoin du faste discret de la Belle Époque. Une page d’histoire vivante, qui continue d’écrire son sillage entre Louxor et Assouan.

© DR

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Un navire d’origine

Le Steam Ship Sudan est né loin de l’Égypte, dans un chantier naval écossais. Il fut commandé par l’agence Thomas Cook, à une époque où voyager sur le Nil était un privilège réservé à l’élite. Le bateau fut ensuite démonté, transporté en pièces détachées, puis reconstruit sur les rives du fleuve, comme une offrande à cette terre de pharaons.

Dès ses premières croisières, il transporte diplomates européens, égyptologues en quête de sépultures oubliées, écrivains à la recherche d’inspiration. Puis les années passent. Les conflits, les bouleversements géopolitiques, la démocratisation du tourisme… Peu à peu, le SSS est laissé à quai. Il rouille doucement, oublié de tous. Il aurait pu finir là, simple épave amarrée à un passé glorieux.

Mais au début des années 2000, Jean-François Rial, CEO de Voyageurs du Monde décide de le sauver. Une restauration ambitieuse, longue et minutieuse. Pas question de le moderniser ou d’en faire une attraction : il faut préserver l’âme du bateau, garder les boiseries, les cuivres, les sons, la lenteur. En 2007, le Steam Ship Sudan reprend la mer. Il devient, sans le vouloir, un navire-musée vivant, classé monument historique par l’État égyptien. Il offre aujourd’hui l’une des dernières expériences de voyage à l’ancienne, quand le temps s’étirait et que la route comptait plus que la destination.

© DR

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Une matière vivante

Dès l’embarquement, quelque chose change. Le bruit du monde reste à quai. On monte à bord comme on entrerait dans une parenthèse. Ici, rien n’est figé, mais tout est préservé. Le bois des ponts craque doucement sous les pas. Les vitres tremblotent à chaque battement d’aube. Le cuivre luit sous la lumière dorée. Les pales du bateau plongent dans l’eau avec régularité. On ne regarde plus l’heure : on l’écoute.

Les vingt-trois cabines, toutes différentes, portent les noms d’illustres voyageurs : Agatha Christie, qui monta à bord en 1933 avec son mari archéologue Max Mallowan ; Howard Carter, l’intrépide découvreur du tombeau de Toutânkhamon ; Thomas Cook lui-même. Chacune raconte une histoire, en silence.

Ici, pas de luxe tapageur mais une élégance feutrée : boiseries chaleureuses et laquées, cadres de lits dorés, mobilier classique, parquet blond, téléphone à cadran, salle de bain discrète à la robinetterie en laiton, draps blancs bien tirés, lumières tamisées, tissus et objets égyptiens chinés dans les bazars du Caire. La décoration restitue subtilement et dans ses moindres détails le charme originel des années 1920. Pas de télévision, aucun bruit. Juste le fleuve et les craquements du bois.

Dans les salons, on s’installe confortablement pour lire, écrire ou ne rien faire. Les murs sont ornés de gravures anciennes, de photos en noir et blanc, d’objets d’époque. Le soir, on s’y retrouve pour échanger quelques mots, savourer un cocktail avant le dîner ou s’adonner aux jeux mis à disposition (cartes, échecs, backgammon…), puis chacun retourne à son silence. Le luxe réside dans l’espace et le calme.

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Le fleuve comme fil conducteur

La croisière suit un itinéraire presque sacré. De Louxor à Assouan, et inversement, le bateau remonte les millénaires. À chaque escale, on découvre un pan de civilisation : les colonnades infinies de Karnak, la majesté de la vallée des Rois, les temples d’Edfou et de Kom Ombo, le raffinement délicat de Philae. Les visites sont menées par des guides égyptologues, passionnés et passionnants, qui racontent l’histoire comme on raconte une légende, avec précision mais sans jamais tuer la poésie.

Le vrai voyage, cependant, survient entre les escales, quand le bateau avance au rythme du vent et de la vapeur. Lorsqu’on s’attarde sur le pont, allongé sur une chaise longue, tandis que défile le monde. Les scènes sont simples : une barque de pêcheur, des enfants qui se jettent à l’eau, un vol de hérons blancs, les fellahs qui travaillent une terre fertile. Tout est là, devant soi, dans une lenteur qui oblige à regarder autrement. Parfois, dans cet intervalle, on sent quelque chose céder : une attention nouvelle, une ouverture, une disponibilité au réel.

© Boby

Un roman à bord

Puis il y a ce lien indissociable entre le Steam Ship Sudan et la littérature. Car Agatha Christie, en montant à bord, y trouva l’inspiration pour l’un de ses romans les plus célèbres : Mort sur le Nil. L’intrigue, certes fictive, trouve dans le décor du vapeur un cadre parfait : huis clos élégant, personnages en transit, mystère en suspens. Le livre sera adapté plusieurs fois au cinéma, parfois tourné directement à bord. Depuis, le Sudan est aussi un décor de fiction, une icône culturelle.

Mais on pourrait dire qu’à chaque traversée, un nouveau roman s’écrit. Sans meurtre ni intrigue. Juste quelques passagers qui partagent un bout de Nil, un morceau de silence, une lumière commune. Chacun repart avec un carnet rempli ou un regard changé.

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Le choix d’une autre vitesse

Ceux qui montent à bord du Steam Ship Sudan ne cherchent pas le luxe au sens moderne. Ils ne veulent ni piscine sur le pont, ni buffet à volonté. Ils viennent pour la matière, l’odeur du bois (les joints en chanvre et l’huile de teck donnent aux ponts un parfum caractéristique), le rythme lent, le son du fleuve. Ils choisissent de suspendre le flux, de renouer avec un mode de voyage oublié. Le bateau n’accueille qu’une quarantaine de passagers. On se croise, on se sourit, on se respecte. Le monde est loin.

Le personnel, formé avec soin, perpétue un art du service sans emphase, discret, présent, profondément humain. On retient leur prénom. Ils se souviennent du nôtre. Les repas sont servis à heure fixe, dans une salle à manger habillée de bois d’acajou. La cuisine, locale et inspirée, mêle produits égyptiens et recettes européennes. L’ambiance est feutrée. On parle à voix basse. On regarde par la fenêtre. Chacun savoure l’instant.

Ce qui reste quand on débarque

Un matin, le voyage se termine. Le SSS s’amarre. On descend lentement, comme à regret. On admire une dernière fois la silhouette sombre, les rambardes en laiton, les roues à aubes immobiles. Le monde moderne revient. Un téléphone sonne. Le bruit des voitures. L’agitation.

Mais quelque chose persiste. Une sensation, un rythme, une attention aux détails. Le souvenir d’un voyage où l’on n’a pas cherché à tout voir, plutôt à mieux regarder. Le Steam Ship Sudan n’offre pas une croisière. Il nous donne une leçon de lenteur, dévoile un art de vivre, comme un hommage au temps long, à la beauté intacte du fleuve et à l’idée que certains bateaux, comme certains souvenirs, méritent de ne jamais disparaître.

Photo de couverture : © DR

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