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Rédaction

24 February 2020

© Thierry Stefanopoulos/Kcs Presse/Photo News

Le film est un documentaire et dans sa discussion avec les spectateurs l'auteur (âgé aujourd'hui de 50 ans) tenait d'emblée à préciser que pour lui la fiction et le document sont deux approches complémentaires de la réalité chinoise. Ce qui m'a frappé, c'est qu'on découvre ici une autre facette de son talent. Dans des longs métrages comme A Touch of Sin (2013) ou Ash is Purest White (2019), le réalisateur nous donnait une image fort sombre de son pays (avec souvent des moments d'intense violence) : érosion, voire effondrement des valeurs morales ; individualisme forcené ; culte de l'argent ; matérialisme déchaîné ; désarroi des personnages qui se retrouvent sans repères dans un monde où tout a basculé. Le propos de Swimming Out est radicalement différent.

Une scène rurale du film Swimming Out Till The Sea Turns Blue du réalisateur Jia Zhang-ke en compétition au festival du film indépendant Berlinale
Une scène rurale de Swimming Out till the Sea Turns Blue du réalisateur Jia Zhang-ke © DR/Berlinale 2020

À l'occasion d'un festival littéraire tenu dans sa province natale, le Shanxi (à laquelle il est viscéralement attaché), Jiang a recueilli les souvenirs de trois écrivains importants appartenant à trois générations différentes. Le ton est calme, les confidences s'égrènent sans précipitation – avec ici et là des traits d'humour ou des moments de grande émotion - et malgré l'évocation des bouleversements qui ont ponctué l'histoire chinoise des dernières décennies (Révolution Culurelle, exils forcés des intellectuels à la campagne, réformes économiques, modernisation menée au pas de charge) il se dégage de ce film une sorte de confiance dans la vie et d'amour de son pays.

Sans emphase ni grandiloquence, Swimming Out m'apparaît comme un éloge de la Chine rurale dans ce qu'elle a de meilleur. Je me rends compte que pour apprécier totalement cette œuvre il faut avoir pratiqué la Chine, et de préférence y avoir vécu (c'est mon cas, j'ai eu la chance d'y passer plusieurs années). Et à la différence des films de fiction de Jia Zhang-ke – qui ont trouvé chez nous une large audience - , ce documentaire de deux heures ne battra pas des records au box-office. Mais il est à l'honneur de la 70e édition de la Berlinale de nous l'avoir montré.

Le nouveau directeur artistique de la manifestation, Carlo Chatrian, nous avait annoncé, dans une préface aux accents de manifeste, que le programme de cette année allait « explorer le monde », avec un accent tout spécial sur l'innovation. Curieusement, un des films projetés il y a quelques jours dans la compétition m'a replongé quelque 60 ans en arrière ! Le Sel des larmes du Français Philippe Garrel pourrait avoir été tourné à l'époque de la Nouvelle Vague, dans le sillage de Truffaut ou de Rohmer. L'œuvre est en noir et blanc, avec un commentaire en voix off (rappelez-vous Jules et Jim) et les jeunes interprètes – à part le vétéran André Wilms - sont quasiment inconnus.

Entre un Paris à peine touché par la modernité et une ville de province, Le Sel des larmes nous raconte l'éducation sentimentale et sexuelle d'un apprenti-ébéniste qui se lance dans des aventures plus ou moins simultanées avec trois partenaires féminines, non sans causer au passage pas mal de dégâts. Cette Carte du Tendre style 21e siècle (où le sexe est nettement plus explicite que chez Truffaut et Cie) est l'œuvre d'un cinéaste de 72 ans qui signe ici un de ses films les moins « auteuristes » (il en a tourné une bonne vingtaine) : cela se regarde sans déplaisir, et à la différence du Werther de Gœthe – qui avait provoqué une épidémie de suicides - les spectateurs émus par le sort des protagonistes ne tarderont pas à sécher leurs larmes.

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