Corinne Le Brun
11 June 2025
Cette fois, les deux enquêteurs amateurs s’envolent pour Cadaqués rejoindre un autre couple célèbre, Salvador Dali et Gala. Mais pourquoi en faire tout un pataquès ? Désemparé, le maître surréaliste espagnol fait appel aux deux enquêteurs belges alors qu’un crime a été commis dans une église à… Cadaqués. Surprise : le cadavre était attaché à une croix comme dans “Le Christ de saint Jean de la Croix”. D’autres crimes font aussi allusion aux œuvres de Dali. Stupeur.
Pourquoi un tel acharnement ? On peut compter sur le flair et l’ingéniosité redoutable de Magritte et Georgette pour dénicher l’assassin – ou les assassins ? Entre temps, le lecteur suit les folles aventures à Cadaqués, en compagnie de Loulou, la chienne qui renifle tout, dans le pays de la paella et de la castagnette.
Eventail.be – Pourquoi Magritte vous attire autant ?
Nadine Monfils – J’ai toujours été une grande fan de Magritte. Golconde et tous ces petits hommes qui tombent comme des gouttes de pluie, est l’œuvre pour laquelle j’ai ressenti une émotion terrible. J’ai pleuré alors que je connaissais tous les tableaux de Magritte. Au moment où je tenais une galerie d’art à Bruxelles, j’ai rencontré Georgette chez elle, dans la belle maison, rue des Mimosas, à Schaerbeek. C’est là que j’ai vu pour la première fois Golconde. Jamais, je n’ai eu un tel choc devant une peinture.
© Bert Van Den Broucke/Photonews
– Quel a été déclic de votre série de romans ?
– Glenn Tavennec, éditeur chez Robert Laffont, a lancé en 2015 la collection “La Bête Noire”. Un jour, il m’a demandé s’il n’y avait pas un personnage belge connu à propos duquel je pourrais raconter des histoires. J’ai immédiatement pensé à Magritte. L’idée de la série “Les folles enquêtes de Magritte et Georgette” est née à ce moment-là. Bien avant ceux qui m’ont piqué l’idée(1).
– La vie de Magritte est un sujet inépuisable…
– Magritte était un garnement espiègle. Avec ses frères, à Charleroi, il faisait les 400 coups. On les appelait les “tchokés”(“les rentre dedans”, en wallon). À 15 ans, il abandonne le lycée. Il s’inscrira plus tard aux Beaux-Arts de Bruxelles. Et il est toujours resté comme ça, malgré son air de petit Bruxellois bourgeois. Magritte était passionné d’histoires de détective. Très jeune, Il a écrit des romans policiers qu’il signait “Renghis détective”, de la contraction de ses deux prénoms René et Ghislain. Et il était passionné par Rex Stout, Bret Harte, Dashiel Hammett… Je me suis dit que cela l’aurait peut-être bien amusé de mener des enquêtes. Et je voyais bien Georgette donner son grain de sel. C’est rigolo de les voir tous les deux avec Loulou, l’anti-chien policier par excellence, qui renifle quand même des trucs invraisemblables.
– Magritte est très bien secondé par sa femme, Georgette
– Magritte enquêteur tout seul, ça ne marche pas. Pour moi, il doit être accompagné de sa complice de toujours. Georgette et lui, c’était une belle histoire d’amour. René l’a rencontrée quand elle avait 12 ans. Pendant la guerre, les parents ont déménagé. René et Georgette se sont perdus de vue. Ils se sont retrouvés. Ils se sont mariés. Ils sont restés ensemble toute leur vie. C’est magnifique. Donc, il y avait une vraie complicité. Un couple qui tient, cela fait de belles enquêtes.
– D’où vous est venue l’idée de faire se rencontrer Magritte et Dali ?
– Je pense que l’idée de génie, si je peux me permettre, c’est d’avoir fait rencontrer deux surréalistes. Dali et Magritte étaient amis dans la vie. Magritte et Georgette allaient en vacances chez Dali et Gala. Donc, j’ai imaginé une histoire avec eux. J’ai lu tous les livres, les interviews. C’est un boulot colossal. J’ai retrouvé des gens comme André Bosman, par exemple, qui conduisait les Magritte à la mer du Nord. Je lui ai posé plein de questions. Comment Magritte appelait Georgette, ce qu’il aimait manger ? J’aime émailler mon histoire d’anecdotes vraies.
– Dali aimait la psychanalyse, contrairement à Magritte
– Je crois que, pour Dali, la peinture était un moyen d’exorciser, de se soigner quelque part. Il ne faut pas oublier qu’il est né neuf mois après le décès de son frère. Ses parents lui ont même donné son prénom. La mort de son frère a exacerbé chez lui des choses curieuses, des angoisses stériles, pour les sauterelles, par exemple. Donc je crois que la psychanalyse, pour lui, c’était une aide pour se sortir de ses peurs. Il a même réalisé le portrait de Freud. Magritte n’aimait pas du tout la psychanalyse. La mort était aussi très présente chez lui. À l’âge de 12 ans, il avait découvert sa mère morte, recouverte de sa robe de nuit. Il ne parlait jamais du suicide de sa mère. Malgré ses réticences à l’égard de la psychanalyse, il a quand même peint, par exemple, Les Amants dont les visages sont cachés par un drap. La plupart de ses peintures nous interrogent sur les rapports qu’entretiennent le réel, le mystère et l’imaginaire.
– En dépit de son succès, votre huitième roman est-il le dernier de la série ?
– L’éditrice m’a dit d’arrêter parce qu’une série au-delà de huit, ce n’est pas bon. Personnellement, j’ai encore envie d’écrire un nouveau roman à Venise avec Peggy Guggenheim. Elle incarne l’extravagance dans toute sa splendeur. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot (sourire).
(1) : La série flamande This Is Not a Murder Mystery (en postproduction) met en scène des peintres surréalistes dans les années 30 « dont les jeunes Salvador Dalí et René Magritte, qui se retrouvent piégés dans un somptueux manoir où sévit un mystérieux tueur en série… » Nadine Monfils a écrit sa série de romans à partir de 2021. La romancière constate que la société Panenka, qui produit la série a évoqué le projet pour la première fois seulement en 2022, soit un an après la publication du premier volume. Or, les idées même nouvelles et originales ne sont pas protégées par le droit d’auteur. En France, le parasitisme serait une piste juridique. « Un avocat français coûte 600 Euros par heure. Je n’ai pas les moyens, je suis écrivain. » confie Nadine Monfils.
Photo de couverture : © Melania Avanzato
Titre
Les Folles Enquêtes de Magritte et Georgette – Pataquès à Cadaqués
Autrice
Nadine Monfils
Éditeur
Robert Laffont, collection La Bête Noire
Sortie
2025
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