Thomas de Bergeyck
02 July 2025
Né français, Henri de Laborde de Monpezat voit le jour à Talence, près de Bordeaux, en 1934. Si son nom sonne comme un vin de caractère, l’homme avait un passé de diplomate, il écrivait de la poésie et traduisait des auteurs étrangers. Henrik avait même publié son autobiographie, Destin oblige, en 1996. Il s’y montre d’une honnêteté sans faille, se penchant sur une vie qu’il n’a pas vraiment voulue. Henri épouse Margrethe, princesse héritière du Danemark, en 1967 et devient prince consort cinq ans plus tard, lorsque la jeune femme monte sur le trône. Sa lettre de noblesse à lui sera le “k” qui viendra compléter son prénom. Ensemble ils auront deux fils, Frederik devenu roi, et Joachim.
Henrik n’a jamais trouvé sa place dans ce Danemark qui ne l’attendait pas. Trop français, trop franc. On lui reprochait son accent et son indépendance d’esprit. L’homme avait pourtant de l’humour, comme le jour où il m’a confié qu’il rêvait de créer un “Club des princes consorts”, pour partager avec ses congénères des autres monarchies, notamment le prince Claus des Pays-Bas ou encore Philip d’Édimbourg, leurs difficultés existentielles. Dans cette dynastie ancienne de la maison de Glücksbourg, Henrik n’était qu’un homme à l’ombre d’une femme. Alors il s’est imaginé un refuge… En 1974, sur un coup de cœur, le couple royal acquiert le château de Caïx (ou Cayx), à deux pas de Cahors. Là, au milieu de 21 hectares de vignes exposées plein sud, il devient enfin lui-même. Avec son frère il choisit les ceps, supervise les vendanges, suit la vinification, non sans une rigueur de passionné. Un jour de septembre 2011, il me reçoit avec l’équipe de Place royale en pantalon clair, polo brodé aux armes du château, flanqué de ses deux teckels, Evita et Véga. À Caïx, c’est lui le maître des lieux. Je n’oublierai jamais le jus de raisin frais, rouge vif, pressé du jour, qu’il nous fit goûter à notre arrivée. Une saveur inoubliable.
Mais Henrik restait blessé. En janvier 2002, une querelle de protocole fait vaciller les apparences. La Reine, souffrante, laisse leur fils Frederik représenter la Couronne aux vœux du Nouvel-An. Vexé, le Prince s’envole pour la France. “Pourquoi ne pas dire le “First Man”, comme on dit la “First Lady” ? Le First Man, c’est moi !” déclare-t-il à la presse. Je lui ai clairement demandé, quelques années plus tard, s’il voulait être roi. “Ce n’est pas une question d’être roi, me dit-il. Je pourrais tout aussi bien être Mogol. Je veux juste être reconnu comme l’égal de mon épouse.” Au passage, Henrik égratigne à mon micro le Royaume-Uni, qui, par essence, plaçait à l’époque le consort nettement derrière la Reine. “Ne me parlez pas de ce pays, m’a-t-il rétorqué avec détachement. C’est une île !” Regards très ennuyés de l’attachée de presse, qui me demande de couper la séquence. Ce que, à la demande du Prince, je ne ferai pas.
En 2016, Henrik cesse d’apparaître aux cérémonies, il tourne le dos aux galas. Un an avant sa mort, il annonce ne pas vouloir reposer dans la nécropole royale. Le mois suivant, le Palais révèle qu’il est atteint de démence. Il s’éteint le 13 février 2018, à l’âge de quatre-vingt-trois ans. La moitié de ses cendres a été jetée dans la mer, l’autre moitié repose dans les jardins de Fredensborg. À Caïx, un cadran solaire porte encore sa devise : “Que rien ne coule à Caïx dont tu ne veuilles garder le souvenir”.
Photo de couverture : La reine Margrethe II de Danemark et le prince Henrik lors d’un rendez-vous photo au château de Caïx le 11 août 2004 © Royalportraits Europe, Bernard Rubsamen, Bestimage
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