Stéphane Lémeret
06 April 2023
Dans le monde de la collection, à peu près toutes les automobiles qui battent, d’année en année, les records d’enchères portent une signature italienne. Certaines ne vivent plus que dans la mémoire des fins connaisseurs, comme Frua, Ghia ou Vignale. D’autres noms sont encore connus d’un public plus large, comme Pininfarina, Bertone, Giugiaro, Zagato ou Touring Superleggera. C’est à ceux là que nous nous intéressons aujourd’hui, pour voir ce qu’il reste de leur grandeur passée. Et par avance, pardon si ceci relève parfois de l’avis très personnel. N’en va-t-il pas du design automobile comme de toute forme d’art ? La beauté est dans les yeux de celui qui regarde…
La Ferrari 250 Lusso (1963-1964, 351 exemplaires produits) dessinée par Pininfarina et carrossée par Scaglietti © DR/Shuterstock.com
Fondée en 1930, la maison Pininfarina est celle dont l’œuvre est la plus empreinte de simplicité. Jamais un détail de trop, des lignes pures et presque toujours marquées par de douces courbes exprimant la féminité. La marque avec laquelle Pininfarina a conçu ses plus belles œuvres est bien sûr Ferrari, et il serait fastidieux de les lister ici. Rappelons que Pininfarina a signé quelques icônes populaires pour Alfa Romeo et Peugeot (familles 504, 306 Cabrio, 406 coupé), par exemple. Dès le début des années 2000, Pininfarina entame une traversée du désert, notamment parce que les partenaires historiques créent désormais leurs designs en interne. La dernière œuvre majeure est la Sergio Concept de 2013, produite à six exemplaires. En 2016, la famille Pininfarina cède 74 % de l’entreprise au groupe industriel indien Mahindra. Depuis, le bureau a surtout dessiné des SUV pour la marque vietnamienne VinFast et se rêve un avenir de marque à part entière, sous forme de la Pininfarina Battista, une hypercar électrique de 1900 chevaux.
Statut actuel : toujours en vie, mais en attente de jours meilleurs.
La célèbre Lamborghini Countach (1974 - 1990) dans son dessin originel par Bertone.
Si Pininfarina est associé à Ferrari, Bertone l’est à Lamborghini. Certes, la Miura, première grande œuvre commune, ne manquait pas de finesse. Mais la Countach représente mieux le style quasi architectural de Bertone, le plus souvent fait de lignes droites et d’angles nets. C’est également ce qui caractérisait les innombrables concept cars de la maison à la grande époque du Salon de Turin, ainsi que quelques voitures extrêmement populaires, comme la Citroën BX ou la première VW Polo. Comme Pininfarina, Bertone souffre dès le début du 3e millénaire à cause d’une certaine difficulté à s’adapter à l’époque. Un designer a raconté un jour sa surprise en arrivant chez Bertone en 1996, de ne voir aucun ordinateur dans les bureaux. La faillite est déclarée en 2016. En 2022, les frères Ricci, des industriels revendiquant une longue expérience dans l’automobile de performance, rachètent Bertone. Hasard ou non, le projet est le même que pour Pininfarina : devenir une véritable marque. La déclaration d’intention est dévoilée en décembre dernier : la BG110, encore une hypercar, mais à moteur thermique traditionnel.
Statut actuel : présente des signes de vie, trop tôt pour se réjouir.
Ferrari 166 (1948 - 1953 - environ 100 exemplaires) habillée par la Carrozzeria Touring
Née en 1925, la maison Touring avait pour spécialité la construction ultralégère, dont le procédé de fabrication facilitait en outre la création de formes innovantes. Touring devint donc l’interlocuteur privilégié des grandes marques sportives, et pas seulement. Touring développa la carrosserie de la première voiture de course Ferrari, et des premières GT de son “meilleur” ennemi, Lamborghini. Aston Martin obtint le droit d’utiliser la méthode Touring pour produire la DB4 dans son usine anglaise. Cette maison ô combien importante finit pourtant par péricliter lorsque s’imposa la construction monocoque. Chose étonnante, Touring cessa ses activités en 1966 sans passer par la case faillite. Mais le nom n’est pas mort, car son propriétaire a continué ponctuellement à vendre des droits d’utilisation pour des modèles jugés dignes d’en jouir. En 2006, un groupe d’investisseurs à la tête duquel se trouvait Roland D’Ieteren, racheta tous les droits et relança Touring Superleggera. Depuis la mémorable Alfa Romeo Discovolante de 2012 (hommage au modèle éponyme de 1952), la maison s’est établie comme la référence du coachbuilding moderne. Soulignons que ce succès est en partie dû au chef du design : le Belge Louis de Fabribeckers.
Statut actuel : une insolente bonne santé.
Aston Martin DB4 Zagato (1960 - 1963, 19 exemplaires) du carrossier du même nom.
Exception qui confirme la règle, Zagato est la seule maison de design qui reste une entreprise familiale depuis trois générations. Parmi les créations mémorables du bureau, un nombre incalculable d’Alfa Romeo, marque avec laquelle a débuté le fondateur, Ugo Zagato, dans les années 1920. Mais l’une des plus belles histoires de la maison est celle qui la lie à Aston Martin, depuis la DB4 GTZ de 1960. Ces deux longues amitiés sont toujours d’actualité, comme on a pu le voir avec la sculpturale Alga Giulia SWB Zagato, pièce unique commissionnée par un collectionneur, ou avec la série de dix-neuf exemplaires de l’Aston Martin DBS GT Zagato, dont la production a débuté en 2020. La constante du style Zagato ? Une sportivité exacerbée qui n’empêche pas l’élégance, notamment exprimée par la signature maison : le double bossage de toit, imaginé jadis pour pouvoir porter un casque au volant. Andrea Zagato explique aujourd’hui la longévité de son entreprise par le fait que ce n’est pas le designer qui est au service du manager, mais l’inverse.
Statut actuel : en pleine forme !
La première mouture de la Lotus Esprit (1973) imaginée par le studio Italdesign de Giugiaro . Cette auto connaîtra un grand succès commercial et une longue carrière, avec plus de 10 000 exemplaires produits entre 1976 et 2004 © DR/Shutterstock.com
Giugiaro est clairement un grand nom du design, qui a notamment travaillé chez Bertone avant de fonder son propre bureau, Italdesign, en 1969. Bien sûr, il a signé quelques célèbres voitures de sport et/ou de prestige, comme la Lotus Esprit, la légendaire DeLorean, les Maserati Ghibli de 1966 et 3200 GT de 1998, ou encore le concept préfigurant la Bugatti Veyron. Mais Giugiaro a surtout construit sa légende avec des voitures qui retournent au sens premier du design, autrement dit l’art de concevoir des objets du quotidien à la fois beaux et pratiques. Jugez plutôt : la première VW Golf, la première Fiat Panda, la Fiat Uno, l’Audi 80, l’Alfasud et on en passe… Autant d’icônes saluées par les pairs de Giugiaro comme des chefs-d’œuvre. Certes, Italdesign n’a pas non plus réussi à se maintenir à flot toute seule. En 2010, la famille Giugiaro vend 90,1 % de l’entreprise au groupe VW. Mais parce qu’il a toujours misé autant sur l’automobile que sur tout autre domaine concerné par le design, le bureau est aujourd’hui encore une affaire qui marche.
Statut actuel : bonne santé, en attente de son prochain chef-d’œuvre automobile.