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Telmont, au nom de la terre

ChampagneRémy CointreauVinVin effervescent

Martin Boonen

09 December 2022

Avec son programme environnemental baptisé “Au nom de la terre”, la maison champenoise Telmont pousse dans des retranchements encore inédits pour cette appellation l’exigence écologique. De la viticulture au marketing en passant par le transport et le conditionnement, Telmont bouscule les habitudes d’un vignoble prestigieux, quoique souvent bien opaque.

Telmont, autrefois Champagne J. de Telmont, est une petite maison de champagne, installée à Damery, près d’Epernay par son fondateur Henri Lhôpital. Née à la suite de révoltes champenoises en 1912, Telmont a toujours bénéficié d’une jolie image de champagnes bien faits. Perdue dans l’immensité de l’offre champenoise, la devise de la maison Nec Pluribus Impar (“à nul autre pareil”), avait lentement perdu de son sens. L’arrivée à son capital d’un homme, Ludovic du Plessis, et de son partenaire, le groupe alcoolier Rémy Cointreau, l’a soudainement remise au goût du jour.

© Telmont

Après avoir travaillé dix ans chez Dom Pérignon et Moët sur le marché américain, et sept à la direction du cognac Louis XIII pour le compte de Rémy Cointreau, je me sentais un peu à la croisée des chemins” explique l’actuel co-propriétaire, Ludovic du Plessis. ”J’ai toujours beaucoup aimé le champagne et j’avais envie de racheter une maison champenoise“, poursuit-il. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Ludovic du Plessis savait ce qu’il voulait : une maison avec une longue et belle histoire, une maison dans laquelle la famille fondatrice était toujours impliquée, et un domaine ayant déjà – au moins – entamé la transition vers une agriculture biologique. Il fallait enfin “que les vins soient excellents.Telmont (alors Champagne J. de Telmont) cochait toutes ces cases. Mais, produire du champagne pour le plaisir de produire du champagne, c’est peut être un peu court. En réalité, Ludovic du Plessis a un projet bien plus large, bien plus ambitieux pour Telmont. Cette ambition porte un nom : “Au nom de la terre”. “Je voulais que ce projet soit absolument irréprochable du point de vue de la durabilité. Je pars du principe que le vin ne peut être bon que si la terre est bonne. Et nous avions beaucoup de choses à faire.Ludovic du Plessis a en effet du pain sur la planche.

© Telmont

Pour se donner les moyens de ses ambitions, il propose à son ancien employeur, Rémy Cointreau, de monter dans la barque (le groupe français acceptera à condition d’être majoritaire) et attire aussi l’attention de son ami Léonardo DiCaprio. Le comédien, très engagé sur les enjeux écologiques, est en effet un des portes-paroles de l’ONU sur les questions du changement climatique. Mais DiCaprio ne s’est pas engagé auprès de Telmont comme brand ambassador, prêtant sa gueule d’ange et son image écolo à maison champenoise de Damery, il est devenu, aux côtés de Ludovic du Plessis, du groupe Rémy Cointreau et de Bertrand Lhôpital (descendant direct de Henri Lhôpital, le fondateur de la marque, et toujours maître de cave de la maison), actionnaire de Telmont. DiCaprio n’est donc pas là que pour la galerie. Voilà qui crédibilise le projet de Ludovic du Plessis. Reste à savoir comment s’articule cet ambitieux projet “Au nom de la terre”. Il se décline en cinq actes.

Leonardo DiCaprio et Ludovic du Plessis dans les vignes de Telmont © Telmont

Le premier est évidemment celui de la vigne et de la terre. “Nous avons pris le parti de la biodiversité et de l’agriculture biologique.” Si l’on ne savait pas que moins de 4% du vignoble champenois était certifié bio, cela pourrait faire office d’évidence. On voit que dans cette appellation très conservatrice, il n’en est rien. Aujourd’hui, 72% des 24,5 hectares du domaine Telmont sont en agriculture biologique ou en conversion. La totalité du domaine sera certifié bio en 2025. La maison invite déjà ses vignerons partenaires (56,5 hectares) à passer en conversion (39% le sont déjà). Les transformations sont ambitieuses et concernent l’ensemble du domaine, aussi bien dans les vignes que dans les espaces naturels attenants. Dans cette perspective, 2500 charmilles seront mises en place d’ici trois ans pour constituer des hôtels à insectes dans les vignes, préserver la diversité faunistique et contribuer à la fixation durable de carbone.

© Telmont

L’autre grande décision de Ludovic du Plessis marque également une rupture drastique avec les pratiques – commerciales, cette fois-ci – habituellement à l’œuvre en Champagne : celle des packaging de luxe. “Nous avons audité notre empreinte carbone. Les domaines où nous émettons le plus de carbone dans l’atmosphère sont ceux liés à la bouteille et au packaging. Nous avons été radical : plus de packaging. On peut l’emballer dans tout le marketing du monde, le packaging le plus écolo, c’est celui dont on se passe. La durée de vie de ces packaging de cuvée spéciale, aussi luxueux soient-ils, ne dépasse jamais les 15 secondes. Cela en valait-il vraiment la peine ?” Cela pourrait être un faible sacrifice marketing, et s’il allège les coûts de production, il en revanche un coût commercial, notamment chez les cavistes pour qui les packaging de fêtes, notamment, sont de véritables arguments de ventes. Choisir d’y renoncer est donc plus courageux qu’il n’y paraît.

Pas de luxueux pakaging luxueux pour Temont. Un choix marketing qui casse les codes commerciaux de la Champagne © Telmont

En ce qui concerne la bouteille, Telmont va encore plus loin. D’abord en se passant complètement de bouteille transparente (pourtant traditionnelles pour les cuvées rosées ou blanc-de-blancs) au profit des bouteilles vertes, qui, au contraire des bouteilles transparentes, peuvent être recyclées. Ensuite, d’importants travaux de recherches et développement ont été menés par Telmont, avec Verallia, pour alléger la célèbre bouteille champenoise et donc réduire son empreinte écologique lors de sa production et surtout, son transport. Le défi est de taille en effet puisque la pression à l’intérieur de ces bouteilles est gigantesque. Il faut donc réussir à conserver sa rigidité structurelle sans compromettre sa solidité. “Il y a 14 ans, une bouteille champenoise classique pesait 914gr. Nous sommes en passe de mettre sur le marché une bouteille de 800gr. Pour l’instant, nous ne déplorons aucune casse. Si ces progrès se confirment, bientôt l’entièreté de notre gamme utilisera cette nouvelle bouteille.” Cette bouteille allégée ne concerne que le format champenois classique, c’est la raison pour laquelle Telmont exclut d’utiliser d’autres formats, comme ceux habituellement réservés aux champagne têtes de cuvées (aux épaules plus larges et au col plus fin) qui augmentent à nouveau le poids.

La bouteille allégée de Telmont bientôt référence en Champagne ? © Telmont

Viennent ensuite des volets, plus classiques sur l’efficacité énergétique des infrastructures (passage aux énergies renouvelables comme le solaire ou l’éolien) et la logistique (jusqu’à bannir le transport aérien).

La dernier volet n’est pas le moins intéressant puisqu’une nouvelle fois, il prend à revers les usages champenois en vigueur dans la majorité du vignoble : celui de la transparence. Si toutes les grandes maisons dépensent beaucoup d’énergie à construire de récits historiques qui tiennent parfois plus de la mythologie fantasmée que de faits réels, il n’en va pas de même en ce qui concerne l’élaboration de leurs vins. Lire une étiquette de champagne ne vous apprend malheureusement que trop peu sur ce qu’elle renferme. Ce n’est pas le cas de l’étiquette des champagne de Telmont. D’ailleurs, à bien y regarder, celles-ci ressemblent plus à des contre-étiquettes qu’à des étiquettes. Assemblages, vins de réserves, dates soutirage et de mise-en-bouteille, dosage… ce sont de véritables cartes d’identité du vin. “Je suis un amoureux du whisky et je voulais coller une étiquette de whisky sur une bouteille de champagne. Ça n’existait pas. J’aime savoir ce que je bois” explique Ludovic du Plessis. Là aussi, il a fallu convaincre les cavistes de jouer le jeu par rapport à la concurrence aux étiquettes moins transparentes mais plus vendeuses. Si l’honnêteté à un prix, elle a aussi, peut être, un coût commercial. Un sacrifice auquel la marque consent sans se dérober. Elle va même plus loin dans sa discipline de transparence en s’engageant à publier, chaque année, un rapport sur l’avancée des projets liés au programme Au nom de la terre. Telmont ne se contente donc pas d’énoncer des objectifs, elle s’engage à publier des résultats. Une politique courageuse qui peut s’avérer à double tranchant, si, d’une année sur l’autre, les objectifs peinaient à être remplis.

© Telmont

On le comprend assez vite, la logique de Telmont a été de revenir à une sorte de bon sens paysan, quitte à sacrifier le bon sens… commercial. Ludovic du Plessis et ses prestigieux associés ne le voient visiblement pas comme un handicape, au contraire : “Nous sommes une petite maison. Cela veut dire que nous pouvons aller plus vite et plus loin que de grands groupes avec une importante inertie. Nous restons humbles et ne voulons faire la morale à personne. En revanche, nous serions très fier que notre exemple, si nous réussissons, puisse en inspirer d’autres.

Photo de couverture : © Telmont

© G.H. Mumm/Pernod Ricard

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