Renaissance d’une belle endormie

C’est en recherchant un appartement à Schaerbeek que l’actuel propriétaire a découvert le bien à vendre sur le site immoweb.be. La photo de la salle de bains, revêtue de marbre, a retenu son attention. Auparavant, il n’avait jamais remarqué l’élégante façade de la maison pourtant située à côté de chez lui, enfouie dans la végétation et cachée derrière un sapin. Il l’a d’abord visitée par simple curiosité. Mais dès la première fois, il a trouvé le lieu agréable et a aimé le jardin. En fermant la porte derrière lui, il a apprécié le silence, les belles proportions de l’espace, sans modifications depuis l’occupation par le premier propriétaire. Plus tard, l’acheteur a pu retrouver sa trace : il s’agissait de Frans Penners, un industriel qui avait fondé avec Leon Ritzen les établissements Ritzen & Penners spécialisés dans les postes de radio TSF. L’habitation, à l’origine unifamiliale, avait ensuite abrité successivement un salon de coiffure, les bureaux de l’Ambassade américaine et une société d’informatique… Au n°49, une autre demeure, réalisée par le même architecte Paul Aernaut, avait été commandé par Leon Ritzen…

Un nouveau visage

Après l’achat en 2012, la rénovation a été confiée à l’architecte Grégory Hye de l’atelier Arcanne. Le bien n’était pas cher pour le quartier, mais la restauration nécessitait un investissement important et il a été difficile de convaincre la banque. Les travaux ont avancé petit à petit, en commençant par la façade et la grille pour que celles-ci s’intègrent parfaitement dans le renouveau urbain du boulevard Auguste Reyers. La façade avant, classée, est animée par un jeu de saillies et de retraits, avec un rez-de-chaussée en pierre bleue. Les châssis de fenêtres en acier, décapés et traités, ont été repeints dans un vert d’eau très doux qui s’harmonise avec la végétation. Le chemin, en briques sur chant (pose verticale – NDLR) menant à la porte d’entrée, a été reconstitué. La grille d’origine a été entièrement restaurée par l’artisan ferronnier bruxellois Denis Romainville.

Un cahier des charges précis

Entre les différentes étapes du chantier, des pauses salvatrices ont été nécessaires car les travaux de finition ont été nombreux. Il a fallu refaire toute l’électricité, le plafonnage, la peinture et une partie du chauffage. Les volumes intérieurs de base ont été mis en évidence, de même que les aspects décoratifs, les cheminées, les sols et parquets en bois, les portes vitrées et les verres peints, la cage d’escalier… Les marches, peintes à l’origine puis décapées dans les années 1970-1980 par les précédents propriétaires, ont été teintées pour offrir une patine verte s’inspirant de la palette générale de coloris présents dans la maison. Les essences de chêne et de sapin sont harmonisées par la couleur qui redessine les volumes monolithiques et leur confère un dessin graphique et plus léger. Le cache-radiateur d’origine est recouvert d’une plaque de marbre de Portoro. La salle de bains a conservé son marbre d’origine. Certaines dalles de sol ont été réparées. Le carrelage mural a été consolidé avec des agrafes. La peinture mordorée dans la partie supérieure de l’alcôve de la baignoire se rapproche d’une teinte utilisée autrefois dans la maison.

Cuisine et dépendances

Pour les espaces humides, les travaux ont été confiés à l’entreprise bruxelloise Eau-Courant et, partout, les détails ont été particulièrement soignés. La maison a conservé son âme originelle mais elle a été modernisée et adaptée à un mode de vie plus actuel. Si la salle de bains en marbre avec baignoire du premier étage n’a été que légèrement restaurée, une autre salle de bains a été créée au deuxième étage, contemporaine celle-là, avec une douche à l’italienne. Une cuisine équipée a été installée au premier. Elle a été aménagée avec une réédition des éléments Cubex mis au point par l’architecte Louis-Herman De Koninck. Les éléments Cubex – modèle C30 – sont mis en valeur par un plan de travail et une crédence en granit noir.

Au rez-de-chaussée, l’office et la cuisine d’origine ont été reconvertis en espace de réunion, auquel s’ajoute une nouvelle kitchenette. De forme cubiste, elle a été dessinée par l’architecte Grégory Hye. Elle est composée d’une structure métallique suspendue et peinte en noire qui supporte des caissons en multiplis recouvert d’un stratifié. Elle a été placée devant les placards d’origine dont l’intérieur a été réaménagé et repeint en noir. La partie droite cachait autrefois un ancien monte-charge.

Des ambiances chromatiques

Un esprit graphique, noir et blanc, règne dans les pièces techniques comme la cuisine dont les couleurs font écho à celles de la salle de bain historique. En revanche, on a choisi un subtil camaïeu de bleus et de verts pour les espaces de vie et la nouvelle salle de bains, aménagée avec un meuble-vasque dessiné sur mesure par Grégory Hye et réalisé par l’artisan ferronnier Denis Romainville. “Les parquets, en bon état, ont été poncés et protégés avec une huile-cire après la reprise de quelques éléments défectueux, explique Grégory. Les murs des chambres ont été peints dans une gamme de teintes faisant écho aux couleurs d’origine. Certaines portes ont été recouvertes d’une peinture mordorée très proche de celle qui existait autrefois. Les boiseries teintées de la cage d’escalier ont retrouvé les nuances de vert qui faisaient partie des couleurs initiales.”

Une décoration actuelle

Quant au mobilier, il associe de nombreuses pièces éclectiques, souvent chinées. Dans le salon, les meubles débusqués en Allemagne encadrent une table basse, modèle Pedrera, d’après le design original de Barba Corsini (1955), rééditée par Gubi. Au-dessus d’un petit bar vitré, on remarque des maquettes et des épreuves d’inspiration pour de futures tapisseries, réalisées par le duo de créatrices néerlandaises du Studio KRJST. Dans la salle à manger, une enfilade du designer Dieter Waeckerlin, modèle B40 édité par Behr en 1950, et une table de famille des années 1970, accompagnées de chaises vintage. Le Skaï (simili-cuir – NDLR) d’origine a été remplacé par du cuir. Devant la fenêtre, la banquette ancienne avec structure métallique d’esprit Bauhaus a été restaurée. Au mur, un tableau de Nathalie Di Marino (chez Art22 Gallery). Les meubles et objets se répondent en un panorama de la modernité.

Un jardin en ville

La dernière phase des travaux a été consacrée au jardin et à la façade arrière. À l’origine sauvage, le jardin a été complètement replanté avec un mélange de végétaux persistants et caducs pour composer un écrin de verdure, protégeant le lieu des indiscrétions du voisinage : clématite armandii, olivier, érable du Japon, saule crevette, bouleau pleureur créent un mélange de feuillages évolutifs.

Si c’était à refaire ? Le propriétaire répond tout de suite oui ! “Ce fut une expérience très complète, mêlant plaisir personnel et professionnel. Avec la rénovation de cette maison, j’ai initié un mouvement de prise de conscience dans mon quartier. Elle m’a permis de me plonger dans le patrimoine et d’entrer en interaction avec la vie citoyenne. Récompense de tous mes efforts, la maison a gagné le prix du patrimoine de Schaerbeek, en 2018”, précise-t-il.

Photos : © Christoph Theurer