Stéphanie Dulout
19 May 2024
Des “grattures de palette” réalisées par de dangereux anarchistes : c’est ainsi qu’étaient considérés par la majeure partie de la critique les tableaux du groupe des Batignolles qu’une plume inspirée allait bientôt baptiser “impressionnistes” lors de l’exposition (libre et sans jury) de la Société anonyme des peintres, sculpteurs et graveurs organisée, en marge du Salon officiel, en 1874 dans les salons du photographe Nadar, boulevard des Capucines à Paris. Un terme inventé par dérision, dérivé d’un tableau représentant Le Havre, intitulé Impression, soleil levant, brossé par Claude Monet davantage pour traduire ses impressions face à la métamorphose d’une nature empourprée que pour recopier un paysage…
Claude Monet , Meules, fin de l'été, 1891, huile sur toile, 60,5 x 100,8 cm. © Musée d’Orsay
Certes, William Turner avait déjà témoigné d’une telle liberté et d’une telle vivacité de touche en peignant ses mers et ses ciels incendiés, de même que Théodore Rousseau avec ses études d’arbres peintes sur le motif en forêt de Fontainebleau, laissant apparaître les touches du pinceau… Une manière fragmentée qui s’opposait au fini policé de la peinture académique admise au Salon officiel et qui allait devenir la marque de fabrique des peintres “impressionnistes” – car l’expression inventée par le chroniqueur du journal satirique Le Charivari connut un tel succès qu’elle marqua l’acte de naissance d’un nouveau courant pictural en germe depuis des décennies déjà…
Auguste Renoir, Pont du chemin de fer à Chatou, 1881, huile sur toile, 54,5 x 65,5 cm © Musée d’Orsay, dist. RMN-Grand Palais, Patrice Schmidt
Parmi ces maîtres de “l’impression”, des ombres “cocasses” et des “empâtements prodigieux”, Monet, Pissaro, Renoir et Sisley avaient découvert sur les plages de la Manche et les bords de Seine le pouvoir de la division des tons et du papillonnement des couleurs pour rendre les mille reflets ensoleillés sur la surface mouvante de l’eau ou des feuillages… Mais aussi Degas, avec ses blanchisseuses et ses danseuses prises sur le vif, et Berthe Morisot, montrant la femme non plus mythifiée ou idéalisée mais sous un jour ordinaire. Sans oublier Édouard Manet, absent chez Nadar mais présent au Salon avec une toile pourtant résolument moderne, Le Chemin de fer.
Photo de couverture : Camille Pissarro (1830-1903) Matinée de juin à Pontoise, 1873, huile sur toile, 78 x 115 cm. © Staatliche Kunsthalle Karlsruhe