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Corinne Le Brun

14 December 2022

Années 90. Yann Moix dépeint, avec style et habileté un monde alors hostile. Pour avoir une chance de survivre, l’écrivain, sans le sou, à la recherche de visibilité et de reconnaissance, devra franchir une palanquée d’épreuves douloureuses. Le malheur, à tous les étages. Jusqu’au jour où Yann Moix dépose le manuscrit de son premier roman chez des éditeurs (2). Rencontre avec l’auteur à Bruxelles.

Eventail.be – Vous écrivez «Personne ne veut de moi». Vraiment ?
Yann Moix – Absolument. Mais les personnages, oui. Des gens qui sortent de l’ordinaire, qui ont des personnalités fantastiques. Comme Delphin Drach (un pseudonyme, ndlr) qui ne sait même pas qu’il est dans le livre. Delphin Drach est un génie de la drague. Alors que vous, pas vraiment… Son cynisme envers les femmes est incommensurable. La femme est son unique objectif. Une femme lui plaît, il la veut. Rien ne l’arrête. Je pense qu’il y a en lui une très grande tristesse. Pour ma part, il n’y avait pas de problème puisqu’il n’y avait personne. J’avais tout mon temps pour écrire, pour le coup. J’aurais préféré l’inverse : être entouré de femmes et ne pas avoir une seule minute pour écrire. Je n’ai plus besoin de m’humilier pour séduire une femme. J’ai compris que l’humiliation n’était pas nécessaire à la séduction.

– Vous dites avoir connu l’humiliation dans l’enfance
Je suis né dedans. Etre mis au monde par des gens comme ceux qui m’ont mis au monde est déjà une humiliation en soi. Elle colle longtemps. La psychanalyse permet quand même d’enlever des choses. Je m’en suis sorti. Mais beaucoup ne s’en sortent pas. Etre élevé par des fascistes, des pervers, c’est pire que de s’en sortir de l’alcool ou de la drogue. La perversion est ce qu’il y a de plus horrible. Les pervers tissent une toile qui dure très longtemps. Ils n’arrêtent jamais de lancer leur nocivité. Donc il suffit simplement de s’en détacher en inventant une vie qui n’a plus rien à voir avec la leur. J’ai réussi depuis une trentaine d’années à couper les ponts.. Quand vous avez dix ans, est-il normal de voir des gens de trente-cinq, quarante ans frapper à mort des animaux, des chiens et des chats chez vous? On a l’impression que ça l’est quand on est gamin. Mais ces agissements laissent des séquelles énormes.

– La psychanalyse a été une solution ?
J’ai fait une analyse pendant dix ans. J’ai découvert que j’avais un syndrome d’Asperger, une hypertrophie de la mémoire, une difficulté à se socialiser complètement, une monomanie. Cela m’a fait du bien de consulter parce que j’étais en grande souffrance. Les dix années d’analyse m’ont vraiment libéré de beaucoup de poids. Je crois que la psychanalyse, dans un cas comme le mien, cela fonctionne parce que il y a une volonté réelle de s’arracher à ce qu’on est en train d’être et qu’on n’a pas envie de répéter. C’est usant de toujours être comme une guêpe qui bute. Alors que la vie serait grande ouverte, on bute quand même sur le carreau. J’avais cette sensation-là. Alors, si on sait que la vie est ouverte, on sait qu’on peut en sortir. Je continue souvent à buter mais je suis capable d’aller faire un tour dehors et de revenir buter. Alors qu’avant, je pensais que la fenêtre était fermée.

– La littérature et l’écriture vont ont apporté quoi, en plus ?
De ne pas m’ennuyer, de ne pas me suicider. Si on m’empêchait d’écrire ou de lire, je serais profondément malheureux. Quand un écrivain est privé de lecture et d’écriture, je crois que, pour moi, ce serait la plus grande des détresses. Si je ne pouvais plus écrire, je me suiciderais. Si je décidais d’arrêter, pour une raison ou une autre, je ne ferais que de la musique, peut-être. Si l’art n’existait pas, pourquoi vivre ?

– Quelle est la part de vrai et de faux dans votre roman ?
Tout est vrai. Et tout n’est pas exact. Ecrire un roman, c’est resserrer, synthétiser les choses, sans quoi le lecteur s’ennuie. J’ai, par exemple, rassemblé quatre personnes dans la vie pour en faire un personnage. J’ai ramassé plusieurs événements en une seule journée. À part pour Delphin Drach, qui existe et qui est une seule personne, les autres sont inventés à partir d’êtres réels. Il faut en tout cas restituer l’émotion et que le lecteur se sente concerné, qu’il ait l’impression d’avoir vécu la même chose. Je me raconte, je suis le narrateur, je parle de mon expérience. D’autres écrivains l’ont fait.

– Selon vous, être écrivain, ce n’est pas une profession mais un métier ?
Je pense qu’il n’y a pas de congrès d’écrivains comme des congrès de dermatologues. C’est un métier parce qu’il y a quelque chose d’artisanal dans le geste d’écrire des livres. Ce n’est pas à la portée de n’importe qui.

 Vous avez l’impression d’«être arrivé» ?
Oui. Mais l’ambition, elle se situe de moi à moi, elle n’est pas avec les autres. Quand on a vingt ans, elle est de soi avec les autres. C’est acquis d’être écrivain. C’est à moi de faire le mieux pour moi-même. C’est moi que je veux impressionner, élever, surprendre. Le match, s’il existe, il est en face de moi-même. L’ambition est montée de quinze crans d’un coup.

© Jack Tribeca/Bestimage/Photo News

– Vous utilisez l’imparfait du subjonctif. Pourquoi ?
C’était le langage parlé d’il y a cinquante ans. Dans le documentaire Le joli mai (1962) de Chris Marker, des épiciers, des bouchers… parlent avec des imparfaits du subjonctif. Ils sont comme des espèces en voie de disparition. Ce français, plus personne ne l’écrit. Ce phrasé “classique” est d’une grande puissance de feu. Si vous voulez dire quelque chose de choquant, c’est plus fort. Avec un vocabulaire et un français de haute tenue, cela se voit mieux et plus.

Benoit Poelvoorde à la sortie du film "Podium" réalisé par Yann Moix © Photo News

– “Paris” et après ?
Mon prochain roman aura pour sujet une autre ville, Pyongyang, en Corée du Nord. Il y aura trois chapitres, premier voyage (2012), deuxième voyage (2014) et le troisième voyage, en 2018 avec Gérard Depardieu. Cela va être folklorique. J’ai fait réalisé aussi Soixante-dix parce que Gérard a fêté ses 70 ans le jour où le régime nord-coréen a célébré ses 70 ans. Le film raconte les aventures pendant deux heures et demies de Gérard Depardieu en Corée du Nord. Personne ne veut diffuser le film, le produire, le distribuer. Peut-être que je devrais le proposer aux Belges. Vous êtes moins frileux que les Français. Je me suis toujours senti mieux en Belgique qu’en France. Je viens chercher des vinyles ou des vieilles bandes dessinées. On est en train de terminer la suite de Podium, avec Benoît Poelvoorde. Je ne sais faire des films que quand Benoît est dedans.

(1) : « Au pays de l’enfance immobile I. Orléans; II. Reims; III. Verdun », Ed. Grasset
(2) « Jubilations vers le ciel », roman, Ed. Grasset, 1996

Photo de couverture : © Arnaud Meyer/Leextra/Éditions Grasset

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Livre

Paris

Auteur

Yann Moix

Editeur

Éditions Grasset

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