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Sylvie Dejardin

04 March 2023

L’Éventail – Qu’est-ce que le triangle de  Karpman ? Quelles sont les caractéristiques de chaque rôle ?

Sophie Gourdange – Le triangle de Karpman décrit un jeu relationnel inconscient où chaque personne occupe un rôle soit de persécuteur (ou bourreau), soit de victime, soit encore de sauveur. On le présente comme “dynamique” puisque chaque acteur peut passer d’une posture à l’autre. Le bourreau peut ainsi devenir sauveur, puis victime en fonction des événements. Cette relation se joue à deux ou à plusieurs. Les trois postures impliquent des fragilités chez chacune des personnes, raison pour laquelle ce triangle se met en place. C’est un jeu psychologique, mais personne n’a envie d’en sortir. En effet, tout le monde y trouve son compte. Il y a des bénéfices secondaires inavoués pour chaque posture. Ce qui va arranger inconsciemment la victime, c’est attirer l’attention, faire en sorte qu’on lui vienne en aide, la porte, la soutienne. Elle ne va jamais activer ses ressources, puisque le sauveur vient toujours à sa rescousse. La victime ne se reproche rien, car elle ne prend pas de responsabilité. C’est le sauveur qui l’endosse. Il y a chez elle un manque d’autonomisation psychique. Elle attire le sauveur pour valider ses actes, se dédouaner et ne pas se remettre en question. Les victimes vivent souvent dans des relations clivées, où l’autre est considéré comme le “méchant” et elle, comme la “gentille”. Le clivage est un moyen de défense mis en place pour lutter contre l’insécurité ou l’angoisse. Le sauveur, lui, a besoin d’être valorisé et qu’on lui fasse confiance. Il cherche à aider la victime et à la protéger du persécuteur. Le sauveur détient les solutions pour tout le monde. C’est un rôle aux premiers abords gratifiant, avec une bonne image vis-à-vis des autres. Cependant, il peut être également manipulateur en maintenant la dépendance de la victime envers lui. Sans lui, la victime ne pourrait pas trouver de solution. Il la place ainsi en incapacité et l’empêche d’activer ses propres ressources.

Le sauveur présente aussi des fragilités et, paradoxalement, un manque de confiance en lui. Il désire soigner son ego, cherche à avoir une place dans la vie, une raison d’exister. Il tente de combler les besoins de l’autre sans les prendre réellement en compte. Le bourreau paraît incassable et a besoin de prendre le contrôle sur l’autre. Il dévalorise, critique, ironise, humilie. Il cherche à dominer. Et pourtant, le bourreau est perclus d’angoisses archaïques qu’il essaie de maîtriser en prenant le contrôle sur autrui. Il a fréquemment endossé le rôle de victime auparavant. Il transpose sur la victime ses pulsions agressives. Le sauveur pense bien faire, la victime estime qu’elle a raison et le bourreau va trouver une bonne raison de persécuter l’autre. Ils trouvent tous leur place dans la relation. La situation n’évolue pas, car chacun y trouve des bénéfices.

– Pourriez-vous donner des exemples concrets de triangle dramatique ?

Dans les contes pour enfants, ce schéma est très présent. Les histoires en regorgent : Le Petit Chaperon rouge, Le Petit Poucet, La Belle au bois dormant, Cendrillon… Les trois rôles sont très marqués, voire stéréotypés. La princesse qu’il faut sauver de la méchante reine, un prince charmant vaillant et intrépide, et le triangle prend forme. Les réseaux  sociaux et les interactions agressives, dévalorisantes entre les internautes sont aussi un bel exemple du triangle de Karpman. On retrouve la victime qui se fait insulter, le bourreau derrière son écran, et, de temps en temps, un sauveur qui prendra la défense de l’insulté.

– Comment mettre un terme à cette relation toxique et reprendre le contrôle sur sa vie ?

Toute forme de harcèlement scolaire, au travail ou familial concrétise une spirale infernale dont il est nécessaire de prendre conscience pour en sortir. C’est donc un long processus personnel de remise en question. La victime a un problème d’autonomisation et de responsabilité. Elle doit prendre conscience de ses erreurs et travailler dessus avec un professionnel. Le persécuteur doit apaiser ses angoisses pour empêcher son désir de maîtriser l’autre. Le sauveur cherche une sécurité interne. Cela passe par un travail sur soi avec un thérapeute qui mettra en lumière ces dépendances. Si l’un des acteurs sort de son rôle, il n’y a plus de triangle. Si la victime prend ses responsabilités, il n’y a plus de bourreau, en conséquence plus de sauveur. Mettre fin à ces relations conflictuelles permet de s’affirmer et de cesser de subir une situation inconfortable et répétitive.

Jan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin

Arts & Culture

France, Paris

Du 20/03/2024 au 17/06/2024

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