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Martin Boonen

27 January 2023

Autant être honnête tout de suite : avant de passer la porte de cet établissement, logé dans un coin de la place de la Vieille Halle au Blé, nous ne savions rien de cette adresse. Cela fait pourtant sept ans que Mustafa Duran (Mus, pour les intimes) et son complice le chef Khaled Bouhamidi se sont installés dans le bas de la ville. Serait-ce genre d’adresse confidentielles que les gastronomes se refilent sous le manteau, comme pouvait l’être I Monticelli avant de s’installer à Uccle ? À voir le nombre d’avis – dithyrambiques – sur les plateformes et annuaires gastronomiques en ligne, on peut déjà rayer cette hypothèse. Le Gault&Millau, lui-même, enfonce le clou de notre inculture en commençant sa notice sur la Table de Mus (qu’il gratifie d’un très joli 14/20) par “la réputation de Mustafa Duran n’est plus à faire.” Puisqu’ils l’écrivent, cela doit être vrai !

© La Table de Mus

© La Table de Mus

D’ailleurs, en entrant dans la salle, toute en longueur du restaurant, notre impression semble confirmer l’avis du célèbre guide jaune. Le public est visiblement constitué, à parts égales, de gourmands curieux comme nous, et d’habitués fidèles. C’est plutôt bon signe. D’ailleurs, c’est bondé (il parait que si on le demande gentiment, Mus accepte parfois de dresser une table supplémentaire dans la cave à vin !). Nous sommes accueillis dans un décors hétéroclite et bichromique (noir et blanc) par Mustafa Duran en personne. Sa longue silhouette athlétique, aux gestes souples et énergiques, presque nerveuse, trahit immédiatement le charisme du patron. Alors que ses origines se trouvent vraisemblablement quelque part en bord de méditérannée, Mus a dans l’expression quelque chose de zwanzeur, de presque zivereer ! De Bruxellois, quoi, qui met tout de suite à l’aise. Il est à mille lieux des protocoles, au mieux polis, au pire guindés, qui hantent les salles des “gastro”. Pourtant, la Table de Mus en est authentiquement un. Et le menu va nous le prouver.

"Mus", Mustafa Duran © La Table de Mus

Mustapha Duran et Khaled Bouhamidi ont pris le parti de se passer de carte. La Table de Mus ne propose que des menus : 3, 4, 5, jusqu’à 7 services. Ces menus varient d’un jour à l’autre, en fonction des arrivages. Une pratique qui garantit la fraîcheur des produits et corrobore la sincérité de la démarche en cuisine.

© La Table de Mus

© La Table de Mus

En mise en bouche, nous avons le plaisir de découvrir un macaron de foie gras accompagné d’une soupe de chicon. Ils sont suivis d’un feuilleté au parmesan, d’une bouchée de thon rouge à la japonaise, et d’un craquelin de pommes de terre et mousse citron.  Les cuissons (ou non) et les associations donnent déjà le ton.

© La Table de Mus

Deux entrées se succèdent (une crevette rouge d’Espagne, mousse d’avocat citronné, betterave rouge et caviar, suivie d’un merlan en croûte d’olive noir, huile condiment câpres, feuilles d’huître et caviar). Dans les deux cas, la juste utilisation du caviar, précisément dosé, apporte une touche saline qui vient naturellement assaisonner les deux plats, tout en introduisant une texture presque crémeuse. Dans le cas du merlan, la croûte d’olive donne du croquant à l’onctuosité et la fraîcheur de la chaire du poisson, le tout relevé par l’acidité explosive des câpres. C’est malin, élégant, (d)étonnant et parfaitement exécuté. D’autant plus que la Table de Mus soigne autant ce qui entre dans l’assiette que ce qui est versé dans le verre. C’est pourquoi, pour accompagner les entrées, Mus avait pioché dans sa belle cave (pleine de grandes références du vignoble français) un côte du Rhone blanc. Un viognier, de chez Perrin (en 2021) dont la vivacité (puisque nous le buvons dans sa jeunesse) s’accordait très bien avec la douceur du merlan.

Le plat principal est un grand classique de la saison de la chasse : un filet de biche, accompagné d’une texture de carottes et de potirons. Le jus, au foie gras, venait apporter le gras et l’ampleur capable de contrebalancer, en bouche, les astringences des chicons et salsifis qui clôturaient l’assiette. Là encore, un sans faute.

© La Table de Mus

Mais, le meilleur était peut-être à venir avec le dessert. Moment de vérité du repas, c’est lui qui a la lourde tâche de laisser la dernière impression. Ici, c’est quitte ou double. Il peut faire oublier une lacune éventuelle, ou au contraire, crucifier les efforts des services précédents.

© La Table de Mus

Ce sera donc une terrine de pommes confites, mousse vanille, gel de pommes, tuile calvados, sorbet minute pommes verte et aneth. Un dessert qui ose jouer sur le côté herbacé de l’aneth sans tomber dans le stéréotype des néo-desserts amères à la mode puisque les pommes confites et la vanille viennent équilibrer l’ensemble avec beaucoup de gourmandise. Pour accompagner cet entremet, un verre de chartreuse verte aurait parfaitement clos les débats. Joueur, à l’image de tout le menu, Mus a décidé de ne pas tomber dans l’évidence. Servi à l’aveugle, nous découvrons un verre de très fines bulles. Au nez et au palais, c’est aussi fruité que vineux. On sèche. Le sourire triomphant du patron quand il nous annonce qu’il s’agissait d’un poiré (cidre de poire) de chez Eric Bordelet, (millésime 2021), valait bien le brillant tour qu’il vient de nous jouer. Ce coup d’éclat vint clôre (avant les mignardises : ​​crème brûlée vanille, financier, macaron citron, boule chocolat caramel beurre salé) un dîner lui aussi éclatant.

© La Table de Mus

Un sentiment renforcé par la qualité du service qui, à l’image de Mus, n’a pas oublié une seconde que la gastronomie n’interdisait ni la jovialité, ni la bonne humeur… La carte de visite de la Table de Mus : une forme de proximité badine mais toujours respectueuse.

En arrivant sur le parvis de la place de la Vieille Halle au Blé en fin de soirée, on se dit que, décidément, non, la vraie cuisine gastronomique ne se contente pas d’empiler les produits luxueux. Non, la cuisine gastronomique ne se limite pas à des dressages spectaculaires. La vraie gastronomie, c’est une histoire de goûts, de technique, d’inventivité et même parfois… d’audace ! Il est bon d’aller à la Table de Mus pour s’en rappeler.

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