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Martin Boonen

29 September 2022

Il fait encore clair quand nous passons l’imposant portail méridional du château de Rixensart, construit à cheval entre les XVI et XVIIe siècles. Même si l’avant-cour dans laquelle nous pénétrons est impressionnante, elle donne une impression un peu triste de vide… Cependant, les grandes bougies d’extérieur situées à la base de la tour-porche en face de nous, nous invitent à traverser ce grand espace stérile.

L'impressionnante tour-porche, au bout de la première cour du château. Ne ratez pas son cadran solaire © Jon Verhoeft

Sous la tour-porche, nous sommes accueillis par quelques bulles. Le plaisir gustatif promis par la soirée, peut commencer. Après la tour-porche, nous découvrons la belle cour intérieure, fermée sur ses quatre côtés. Nous prenons l’apéritif sous les arches en plein cintre des galeries ouvertes. Ce soir, c’est Kevin Lejeune, précoce prodige de la Canne en Ville et honoré d’une étoile par le guide Michelin, qui officie derrière les pianos d’Hémisphère.

© Jon Verhoeft

Deux mises-en-bouche accompagnent le champagne déjà servi : une tuile de câpres et mousse d’anguille fumée, ainsi qu’une tartelette de moules, chou-fleur et estragon. L’accord mets-vin est pertinent. Jouant véritablement leur rôle d’apéritif, ces petites bouchées nous ouvrent l’appétit… mais… les sphères dans lesquelles nous sommes censés dîner restent invisibles. La tension monte alors que l’appétit se creuse. Soudain, un petit portail dans l’aile Nord ouvre ses deux battants : on nous invite à passer dans les jardins.

Les deux premières mise-en-bouche : tuile de câpres et mousse d’anguille fumée, avec une tartelette de moules, chou-fleur et estragon © Jon Verhoeft

Après avoir descendu quelques marches de pierres, nous découvrons enfin l’installation qui va nous recevoir. Alors que la luminosité baisse, les lumières des spots donnent aux bulles de plexiglas des reflets dorés et confèrent au décor – enfin – un peu de magie. La grande bulle centrale attire tous les regards : elle abrite la cuisine.

© MB

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C’est à l’intérieur de celle-ci que nous pourrons observer, à travers notre propre sphère, le chef au travail. Evidemment, il ne s’agit ici que d’une cuisine de dressage. Pour d’évidentes questions de logistique, l’essentiel du travail (mise-en-place, cuisson) est fait dans des cuisines à l’extérieur. C’est donc lors du dressage que nous verrons vraiment le chef à l’œuvre.

© Jon Verhoeft

Cela pourrait être décevant, mais en y réfléchissant, dans la large majorité de ces expériences culinaires en plein air, il est même tout à fait impossible de voir le chef et sa brigade faire le moindre geste, tant les cuisines sont parfois éloignées du restaurant éphémère. L’effort de placer le chef au centre de la soirée est à saluer.

Les bulles ont un aspect très séduisant. Fin montage d’écailles (des pièces hexagonales) de plexiglas, elles ajoutent à la transparence un côté brillant auquel des sphères gonflables, plus communes, ne peuvent pas prétendre. De plus, très bien chauffées, elles sont très confortables. À peine arrivés, nous tombons les vestes et écharpes qui nous étaient si utiles jusqu’ici.

© Jon Verhoeft

© Jon Verhoeft

Ce n’est qu’une fois assis à sa table que l’on prend la mesure du lieu exceptionnel où nous allons dîner. Installés en contrebas des murs centenaires de l’ancestrale et emblématique demeure des princes de Mérode, du haut desquels plusieurs siècles d’histoire nous contemplent… Le jeu d’éclairage, alors que la nuit est désormais tombée, ajoute beaucoup à la féerie du moment.

Mais le décor, aussi beau soit-il, n’est pas le seul argument de la soirée. Devant nous, la table joliment dressée nous rappelle que, dans la sphère centrale, Kevin Lejeune s’affaire pour envoyer les plats.

Kevin Lejeune © Jon Verhoeft

On regrette de ne pas trouver sur les tables le menu, souvent bien utile pour nous faire saliver avant d’être servi, ou pour mieux comprendre les éléments disposés dans l’assiette. Tant pis, ce sera la surprise et nous tâcherons de nous concentrer quand on nous annoncera les plats. Le menu de ce soir promet six services… en ce compris les trois mises-en-bouches, … dont deux nous ont déjà été servies à l’apéritif. Il nous reste donc, en réalité, à déguster quatre services. L’événement n’avait vraiment pas besoin de ce petit tour de passe-passe comptable pour ajouter à sa qualité.

© Jon Verhoeft

La dernière mise-en-bouche (ou la première, donc, c’est selon), est un croustillant de gaufre, crevettes grises et oranges. L’association iode-agrume offre des saveurs très complémentaires, relevées par le croustillant feuilleté. De bon augure tout ça.

La dernière mise-en-bouche : croustillant de gaufre, crevettes grise et orange © Jon Verhoeft

C’est Dominique Aubry, le caviste derrière Large Soif, qui vient présenter le premier vin : un vin orange à base de gros manseng, Naturellement Pur : Orange mécanique, en appellation Vin de France. Si l’appellation Vin de France (autrefois Vin de table) peut encore éveiller quelques soupçons, elle est de plus en plus synonyme de vignerons ayant voulu simplement se détacher du cahier des charges de leur appellation géographique pour proposer des vins qui sortent des sentiers battus et souvent d’une très grande qualité. C’est le cas ici. Les vins orange sont des vins blanc vinifiés comme des rouges, c’est à a dire en laissant les peaux macérer avec le jus. Ce sont des vins blancs… tanniques. Une particularité qui ouvre de nouvelles possibilités dans les accords mets-vin. Et justement, il accompagne ici l’entrée : des rillettes de maquereaux aux pistaches et livèche, avec une sauce à l’oseille. Le gras des pistaches vient subtilement atténuer l’iode des maquereaux. Une atténuation habillement contrebalancée par la puissance de l’oseille.

L'entrée : rillettes de maquereaux aux pistaches et livèche, sauce à l’oseille © Jon Verhoeft

Dominique Aubry, sommelier d’un soir, revient avec le vin qui accompagnera le plat principal : un pinot noir de la région du Palatinat, chez Lanius Knab. Un vin rhénan typique qui, avec ses notes de cerises nordiques, et une finale légèrement grasse et salée, nous rappelle aussi certains crus bourguignons. On s’en plaindra pas parce que voilà qu’arrive le plat principal : une volaille du Gers, tomates datterines et pomme Anna. La cuisson de la volaille ne souffre d’aucune critique : la chaire est d’une sapidité et d’un fondant exquis. Le sucre des tomates datterines, le croquant de la pomme Anna (sorte de « gâteau » de pommes de terre émincées, assaisonnées au beurre, puis cuites au four)… Tout cela s’accorde à merveille. Le dessert, un baba, mangue, menthe et vanille, achève le dîner sur le même ton.

Le plat principal : volaille du Gers, tomates datterines et pomme Anna © Jon Verhoeft

Alors, la question qui fâche : a-t-on dégusté la cuisine de Kevin Lejeune comme si nous avions réservé une table à la Canne en Ville ? Non. Loin du confort de sa cuisine, le chef ne peut évidemment pas s’engager à servir des accords aussi précis que ceux qu’il élabore pour son restaurant. Même si le menu se garde bien d’envolées hautement gastronomique, il respectait parfaitement les codes de la cuisine du chef : une cuisine d’inspiration française, classique mais fine, ni spécialement carnée, ni spécialement végétale, à l’abris des modes ou des contre-tendances : juste, équilibrée, et surtout savoureuse.

© Jon Verhoeft

En revanche, ce que vous n’aurez jamais à la Canne en Ville, ou n’importe où ailleurs, c’est ce cadre exceptionnel : celui de l’un des plus impressionnants châteaux du royaume, qui plus est rarement accessible au public. La qualité de la cuisine, le décor extraordinaire et le confort de ces belles sphères de plexiglas, tout concourt à donner à la soirée un petit côté irréel, fugace et donne envie de profiter de chaque minute de la soirée. C’est donc vraiment avec regret, qu’après un verre d’un excellent rhum brun brésilien, que l’on sort de sa bulle gastronomique comme lorsqu’on se réveille d’un rêve. Le piquant de la nuit et l’humidité nocturne vous rappelle bien vite que l’expérience est éphémère. C’est peut être aussi pour cela qu’elle est belle.

© Jon Verhoeft

À l’heure où nous publions ces lignes, c’est le chef Benjamin Laborie (qui vient de quitter La Ligne Rouge, où il avait glané une étoile au guide Michelin), qui a pris la relève (jusqu’au 4 octobre) de Kevin Lejeune. Il sera lui-même suivi (jusqu’au 14 octobre) par César Lewandowski (ancien chef de partie à L’Arpège***, où il assista le légendaire Alain Passard) et enfin, ce sera à Sébastien Renard, demi-finaliste Top Chef 2022, de fermer les cuisines d’Hemisphère. Heureusement, Loïc Lechien, accompagné dans ce projet par Frédéric Rongé, a d’autres projets pour ses bulles. En attendant de vous en reparler, ces dernières restent au château de Rixensart jusqu’au 24 octobre.

Photo de couverture : © Jon Verhoeft

Gastronomie & Oenologie

Informations supplémentaires

Expérience

Hémisphère au château de Rixensart

Adresse

Château de Rixensart
Rue de l’Eglise, 40
1330 Rixensart

Date

Jusqu’au 24 octobre

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