François Didisheim
14 October 2025
Rien, dans les débuts de ce pharmacien d’Ostende, ne laissait présager une telle trajectoire. En 1987, Marc Coucke fonde Omega Pharma, qu’il hisse en moins de trois décennies au rang de géant européen de la parapharmacie. Sa vente à l’américain Perrigo pour 3,6 milliards d’euros, en 2014, aurait pu marquer la fin d’une aventure. Ce fut au contraire le début d’une autre.
En 2015, il crée Alychlo, un holding familial au nom formé des prénoms de ses filles, Alysée et Chloé. Depuis, cette structure gère plus de 40 participations, de la santé à l’énergie, de l’immobilier au sport, et génère près de 4 000 emplois directs. Son bras droit, Pieter Bourgeois, pilote l’ensemble avec la rigueur d’un banquier et l’audace d’un startupper. Leur ambition : doubler la valeur du portefeuille d’ici 2030.
© Vincent Kalut/Photonews
Chez Coucke, l’investissement est affaire de cœur autant que de raison. « Investir, c’est d’abord croire en des gens avant de croire en des chiffres », aime-t-il rappeler. C’est ce qui explique sa proximité avec les entrepreneurs qu’il soutient et sa présence active au capital de sociétés comme Ekopak (recyclage de l’eau), EnergyVision (solaire), Biobest (pollinisation naturelle) ou Matexi, acteur majeur de la promotion résidentielle belge.
En Ardenne, Marc Coucke a fait de Durbuy son laboratoire de tourisme haut de gamme. Depuis 2016, il y a investi plus de 100 millions d’euros, via la structure La Petite Merveille, fusion de LPM Holding et du Sanglier des Ardennes by Bru. En juillet 2024, il en est devenu le seul propriétaire, confiant la direction à Benoît Bronckart, ancien cadre d’AB InBev.
Le Sanglier des Ardennes, joyau du portefeuille, illustre cette ambition. Entièrement rénové pour 27 millions d’euros, l’hôtel 5 étoiles compte désormais 96 chambres et cinq restaurants signés par le chef étoilé Wout Bru, également actionnaire. L’offre s’étend avec Green Fields, un glamping de luxe, et Adventure Valley, un parc d’aventures en plein air doté d’une tyrolienne de 70 mètres.
© Le Sanglier
Cette stratégie, alliant confort, expérience et nature, s’accompagne d’un volet technologique : Durbuy est devenue, grâce à un partenariat avec Proximus, la première “Smart City” wallonne équipée en 5G, une initiative pensée pour fluidifier la mobilité et enrichir l’expérience touristique.
Non sans débats : certains projets immobiliers, comme celui de 204 appartements de standing sur les hauteurs de Durbuy, ont suscité des critiques locales, accusant Coucke de “luxifier” la plus petite ville du monde. Mais pour l’entrepreneur, « il faut oser construire ce que d’autres n’imaginent même pas ».
À l’autre extrémité du pays, il détient 30% de Pairi Daiza, aux côtés d’Éric Domb. Ensemble, ils ont retiré le parc de la Bourse en 2016 afin de préserver sa gouvernance belge et son indépendance. Avec 2,3 millions de visiteurs et 117 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2024, Pairi Daiza affiche une santé éclatante. Son bénéfice net de 9,5 millions d’euros a permis à Coucke d’empocher près de 2 millions via Alychlo.
Les investissements se poursuivent : 48,6 millions d’euros ont été consacrés à la construction de Sanctuary, une serre monumentale de 5 hectares, et au futur parc aquatique dont l’ouverture est prévue en 2026. Le parc abrite aussi une collection de dinosaures fossilisés, dont “Vulcain”, un apatosaure de 150 millions d’années acquis pour 5 millions d’euros.
Enfin, sur la côte, ZouteCoucke symbolise la dernière facette de son univers. Créée en 2025 et dirigée par Tim De Taeye, cette entité regroupe ses investissements à Knokke-Heist : La Réserve Resort, entièrement rénovée avec Bart Versluys ; l’Enso District Hotel, acquis la même année ; le légendaire Glacier de la Poste ; et le Zoute Grand Prix, événement automobile de prestige. À Blankenberge, il détient 49 % du groupe WP Hotels & Events, tandis qu’un fonds immobilier, WP Real Estate, prévoit 100 millions d’actifs d’ici 2033.
Le Zoute Grand Prix, devenu une référence dans son milieu, anime la commune à une période de l'année généralement très calme © ZGP
Ce maillage entre Pairi Daiza, Durbuy et Knokke traduit une même logique : celle d’un écosystème touristique intégré, où la Belgique devient une destination d’exception. De la nature à la mer, du luxe à la durabilité, tout s’y relie.
« Il est important de montrer les merveilles de notre planète et de les partager avec ceux qui n’ont pas l’occasion de voyager », confiait récemment Marc Coucke. Une déclaration qui résume sa vision : faire du capital un vecteur de beauté et d’émotion.
Si Marc Coucke a multiplié les succès entrepreneuriaux, son aventure au RSC Anderlecht s’est révélée plus tourmentée. En 2018, il succède à Roger Vanden Stock après 22 ans de présidence familiale, battant la concurrence de Paul Gheysens (Antwerp) et du milliardaire russe Alisher Ousmanov. Il investit alors plus de 130 millions d’euros pour relancer le club le plus titré du pays.
Le défi est immense : moderniser les infrastructures, renforcer les effectifs, et surtout redonner à Anderlecht son aura d’antan. Coucke détient aujourd’hui 70% du capital, mais la gouvernance reste fragmentée entre plusieurs actionnaires (Wouter Vandenhaute, Joris Ide, Hans Beerlandt, Michael Verschueren) ce qui complique la prise de décision.
Malgré cet engagement financier, les résultats sportifs ont déçu. Depuis 2018, Anderlecht n’a remporté aucun titre majeur, et la valse des entraîneurs a entretenu une instabilité chronique. L’épisode Vincent Kompany, symbole du renouveau espéré puis évincé, reste emblématique de cette difficulté à conjuguer stratégie et émotion.
Marc Coucke Marc et Romelu Lukaku dans les tribunes du RSC Anderlecht © Jan De Meuleneir/Photonews
Face aux critiques, Coucke a promis une refonte de gouvernance inspirée du modèle de l’Ajax Amsterdam, avec un conseil de surveillance, un CEO unique et un comité consultatif d’anciens joueurs, peut-être Vincent Kompany ou Romelu Lukaku. S’il écarte toute idée de vendre le club, il admet que “le football n’est pas une science exacte”, dépendant “d’un penalty manqué ou d’une blessure imprévisible”.
Pour lui, la passion du sport reste intacte. Ce qu’il a bâti à Anderlecht, au-delà des bilans, illustre une vérité simple : même les plus grands investisseurs ne maîtrisent pas tout. Et c’est peut-être là, paradoxalement, la part la plus humaine de son parcours.
De la pharmacie d’Ostende à la scène économique nationale, Marc Coucke a imposé une manière bien à lui d’entreprendre : instinctive, généreuse et souvent déroutante. Ses investissements, qu’ils prennent la forme d’un hôtel de charme à Durbuy, d’un parc animalier dans le Hainaut, d’un resort côtier à Knokke ou d’un club de football historique à Anderlecht, composent une mosaïque cohérente, portée par une même énergie vitale : celle de créer, d’oser et de relier.
Loin de la simple accumulation, son parcours illustre une idée singulière du succès : un équilibre entre rentabilité et émotion, entre ambition et attachement au territoire. En somme, Marc Coucke n’investit pas seulement dans des projets, mais dans une certaine vision du bonheur à la belge — inventive, joyeuse et profondément humaine.
Article inspiré par la newsletter de Lobby du 11 octobre 2025 écrite par Françoise Wallyn et François Didisheim, fondateur de Lobby. Retrouvez la revue des cercles du pouvoir, ici
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