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Rédaction

30 April 2018

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L'histoire qu'il raconte dans Youth (Jeunesse) coïncide à peu près avec celle de sa génération : on commence au début des années 1970, dans les convulsions de la Révolution Culturelle, et on se quitte en 2016 en pleine gueule de bois idéologique. Tout au long de ces décennies, nous suivons une troupe de danse de l'Armée Populaire de Libération. Les personnages – garçons et filles – apprennent à se connaître, nouent des liens d'amitié, esquissent parfois un timide flirt mais se consacrent surtout à leur tâche : servir le peuple et célébrer le parti communiste. Le film exalte sans aucun recul critique l'idéalisme naïf de cette jeunesse nourrie de slogans. Tous sont jeunes et beaux, unis dans le culte du Président Mao et fascinés par un modèle : le soldat Lei Feng.

On me permettra de faire ici une petite parenthèse personnelle. Quand je vivais en Chine dans les années 1960, le culte de ce troufion exemplaire touchait au délire : le brave Lei Feng ravaudait ses vêtements et se serrait la ceinture jusqu'à l'inanition pour ne pas être à charge de la patrie. On a su plus tard que les exploits de cette figure mythique étaient largement imaginaires, et certains ont même suggéré que le bidasse héroïque n'avait jamais existé.

 
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Au fil des années, la belle unité du groupe de danse de l'A.P.L. se fissure. La fin de la Révolution Culturelle, les réformes économiques initiées par Deng Xiaoping, la guerre sino-vietnamienne, les contacts avec le monde extérieur, une nouvelle donne géopolitique : autant d'éléments qui aboutissent entre autres à la dissolution de la troupe, laissant les protagonistes livrés à eux-mêmes et déboussolés dans une société chinoise dont les seules valeurs sont désormais l'individualisme et la réussite matérielle. La fin du film a un goût d'amertume et on sent qu'à travers ses personnages le réalisateur a la nostalgie d'une époque où régnaient la frugalité, le désintéressement et le dévouement à la patrie.

 
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Il reste que pour nous, spectateurs occidentaux, Youth est une œuvre de propagande qui gomme tout ce qu'il y a de gênant dans l'histoire récente de la Chine. Feng Xiaogang est un professionnel accompli et il a visiblement disposé de grands moyens pour réaliser cette saga. Mais tout se passe comme s'il avait devancé les décisions prises l'an dernier dans la foulée du congrès du parti communiste. L'organisme appelé China Film Bureau, qui s'occupait du cinéma et des média, a été purement et simplement supprimé. Désormais, c'est le Département Central de Propagande du parti communiste qui contrôlera la production et la distribution de tous les films. Les 5000 écrans du pays sont invités à montrer des œuvres sur des thèmes nationalistes. On peut douter que la liberté d'expression ait à y gagner.

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J'avais noté que sur les 55 films en compétition à Udine, 21 étaient des premières œuvres. Pour autant, les organisateurs du Festival ne versent pas dans le jeunisme et j'apprécie qu'ils n'oublient pas certaines grandes figures du cinéma asiatique : cet indispensable travail de mémoire a été illustré cette année par la projection de nouveaux longs métrages signés de deux grandes réalisatrices, Ann Hui (70 ans) avec Our Time Will Come et Sylvia Chang (64 ans) avec Love Education.

La première représente dans le cinéma de Hong Kong une veine plutôt intimiste, bien éloignée des récits bourrés d'action qui nous viennent en général de ce territoire. En 2009, le Festival avait d'ailleurs consacré une rétrospective à Ann Hui, et je me dis que notre Cinémathèque serait bien inspirée d'en faire autant. Quant à la Taiwanaise Sylvia Chang, elle a démontré ses talents d'actrice dans une centaine de films avant de se lancer à partir de 1981 dans la réalisation (14 titres à ce jour). Il y a un point commun dans leur thématique : l'une et l'autre prennent le plus souvent comme sujet les relations familiales, dont on sait à quel point elles sont importantes dans la culture chinoise.

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Le public de cette 20e édition a donc tranché en décernant samedi dernier son prix à 1987 : When The Day Comes de Jang Joon-hwan. J'avais commenté dans une précédente chronique ce film remarquable (retrouvez cette chronique sur Eventail.be ici), qui évoque le soulèvement populaire ayant abouti en juin 1987 à la chute du régime militaire sud-coréen. Au-delà de ses qualités esthétiques, il y a aussi dans cette œuvre une leçon morale : le public d'Udine a témoigné de son émotion en acclamant longuement le cinéaste à la fin de la projection. Rendez-vous sur Eventail.be pour la 21e édition en avril 2019 !

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