Martin Boonen
11 December 2025
Si, en cuisine briller est une chose, durer en est une autre. Alors, à trente-sept ans, Maxime Colin est encore loin de poser ses couteaux, mais la richesse de son parcours nous permet pourtant de déjà prendre un peu de hauteur. Petit rappel des faits : Maxime Colin a d’abord forgé son savoir-faire au Chalet de la Forêt aux côtés de Pascal Devalkeneer, avant de triompher à la Villa Lorraine en conservant l’Étoile Michelin obtenue par Alain Bianchin l’année précédente. Il n’a alors que 23 ans.
© Morgane Ball Photography
En 2016, il s’émancipe en fondant son restaurant au cœur du parc Jourdain à Kraainem, distinction saluée immédiatement par Gault&Millau qui le nomme “Jeune Chef de l’Année”. Depuis, sa cuisine épurée privilégie la maîtrise technique et l’harmonie des saveurs, loin de tout artifice, incarnant, comme nous vous l’expliquions dans nos précédentes chroniques, une certaine idée de l’art subtil du bonheur en cuisine…
Fin novembre dernier, c’était la 3e fois que nous passions les portes du joli presbytère classé, sur les berges de l’étang du parc Jourdain, juste de l’autre côté du Ring de Bruxelles, où Maxime Colin a installé le restaurant qui porte son nom. Les deux premières fois, nous avions été particulièrement conquis par la cuisine, à la fois fine et audacieuse, du chef. Était-il vraiment nécessaire de prendre le risque, en y revenant une troisième fois, de gâcher ses deux excellents premiers souvenirs ? Maxime Colin n’allait-il pas finalement se prendre les pieds dans le tapis ? Ou pire, plutôt que de se tromper avec panache, si cette fois, l’expérience n’était que moyenne, gommant d’un seul trait, les deux formidables soirées que nous avions déjà passées chez lui ? Dangereux métier que le nôtre…
Mais dissipons tout de suite ce faux suspens installé à grande peine pour les besoins de cet article : une fois de plus, le chef Colin a fait preuve, dans ce menu de fin d’année, d’une maîtrise rare et d’une justesse imparable.
Le chef Maxime Colin © Maxime Colin
Tout commence avec les coquilles Saint-Jacques de Port-en-Bessin, foie gras fumé, navet boule d’or et miso. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on entre tout de suite dans le vif du sujet. Le dressage raconte déjà beaucoup de choses sur la cuisine de Maxime Colin. C’est élégant, esthétique, presque graphique, précis tout en mettant en valeur les produits pour une lisibilité claire et nette. En bouche, comme toujours chez le chef Colin, les saveurs se rencontrent sans s’affronter et jouent avec les textures du navet, des Saint-Jacques, de petites tuiles biscuits, de salicornes, de radis, et l’assaisonnement vient ajouter la note finale à une partition exécutée sans fausse note.
© Maxime Colin
Le menu propose ensuite un encornet “Black and white “, caviar Avruga, jus de céleri, condiment citron noir. Ici, les couleurs chatoyantes de la précédente assiette laissent place à une composition très yin, très yang. Tantôt mats, tantôt brillantes, les textures flattent l’œil avant le palais : cela fond en bouche, en opposant, sous la langue, juste ce qu’il faut comme résistance pour donner l’exact sentiment de mâche nécessaire à provoquer un réflexe salivaire qui vient, comme la pointe acidulé du citron caviar, enrober l’ensemble.
Si le plat suivant possède en lui un peu de magie, c’est aussi parce qu’Oudini Colin a aussi le sens du spectacle. Alors que d’intenses arômes de champignons commencent à se faire sentir à table, les convives découvrent, à côté d’eux, un plateau sur lequel repose, sous leur cloche de verre, de somptueuses truffes blanches d’Alba. Leur aspect et leur odeur suffisent à les rendre quelque peu magnétiques et il est difficile d’en détourner le regard jusqu’à l’arrivée de la langoustine de la mer du Nord, pied de porc, moutarde Tierenteyn, butternut et verjus, qui doivent l’accompagner. Le chef vient lui-même recouvrir l’ensemble de copeaux de cette truffe blanche qui tombent, avec la légèreté, au centre de l’assiette. C’est peut être un effet de manche, mais ça fait mouche ! Et en bouche, c’est un festival de douceur, de réconfort. Le côté terreux de la truffe complète merveilleusement l’iode délicat de la langoustine.
© Maxime Colin
Vient ensuite un morceau de chevreuil ardennais, royale de coing, champignons sauvages, et bouillon d’airelles lacto-fermentées. Le plat est proposé en trois services : dans l’assiette principale est posée la pièce de gibier, à la cuisson irréprochable, nappé d’une impressionnante sauce miroir, lisse et corsée et accompagné simplement d’un samosa de chevreuil ; dans une assiette creuse à côté, l’on trouve la royale de coing et champignon, qui sont autant de douceurs tendre et acidulée à la fois. Le bouillon d’airelles se présente sous forme d’un jus sanguin à boire directement dans un joli tube à essai en verre. Il vient, en fin de bouche, rincer le palais de son acidité, et apporter la dernière touche qu’il manquait au plat pour que son équilibre soit indiscutable : un vrai sentiment de fraîcheur.
Chevreuil ardennais, royale de coing, champignons sauvages... © Maxime Colin
... et bouillon d’airelles lacto-fermentées © Maxime Colin
On le sait, chez Maxime Colin, et contrairement à – trop – d’autres restaurants gastronomiques, les desserts sont une spécialité de la maison. Et là aussi, la constance dans l’excellence est à souligner. En trois visites, nous goûterons le travail d’un troisième spécialiste du dessert. Nous ne savons pas comment le chef recrute ses pâtissiers, mais visiblement, il a les idées claires sur ce qu’il recherche, parce que pas une fois, ceux-ci n’ont trahi la qualité du reste du menu. Au contraire. Cette soirée, comme pour le reste, n’a pas fait exception. La poire Conférence, safran Sargol (une qualité de safran dite “all red”, composée uniquement des pointes rouges des stigmates du crocus sativus, sans les parties jaunes ou blanches moins aromatiques), vanille Pompona (ou “vanillon”, une espèce de vanillier tropical aux gousses très épaisses et charnues, au profil aromatique puissant, plus rare et plus typée que la classique Bourbon) et cristalline chocolat, avec ses reflets brillants et son aspect translucide, presque évanescent, était un modèle d’harmonie entre la fraîcheur et la gourmandise.
La poire Conférence, safran Sargol, vanille Pompona et cristalline chocolat © Maxime Colin
Il est rare, dans notre métier, quand les visites se répètent, de voir le pristin émerveillement se maintenir. Et on peut d’ailleurs le comprendre facilement. Arriver à séduire, menu après menu, comme au premier jour, est une tâche difficile, même pour le plus passionné des amants. Il nous faut donc parfois faire preuve de mansuétude, et parvenir toujours, dans la maladresse technique d’un jour ou d’un service, dans la panne d’inspiration d’un menu, retrouver l’intention et le talent d’un chef. Mais, de ces précautions Maxime Colin n’en a pas besoin. Lui, qui, année après année, avec une facilité qui, si on ne connaissait pas la bonhomie du personnage, frôlerai l’impertinence, arrive toujours à créer des saveurs nouvelles, à inventer des associations inédites et à la transcrire avec une justesse unique et une délicatesse qui n’appartient qu’à lui, dans l’assiette, et provoquer la raison d’être de la gastronomie : de l’émotion. Cette constance dans l’excellence, il faut la saluer, il faut l’honorer, il faut aller chez Maxime Colin.
Pour ceux qui souhaiteraient prolonger le plaisir à domicile, le chef propose également un menu de Noël à emporter, à retirer le 24 décembre. Cinq services (110 € par personne) qui témoignent de cette même exigence : thon rouge Ikejime accompagné de textures d’huîtres de Normandie et de caviar Baeri-Schrenki, truite d’Ondenval confite au jus teriyaki et condiment à l’ail noir, coquilles Saint-Jacques poêlées sur risotto de coquillettes au guanciale et Pecorino Romano, pintade de Challans farcie au foie gras avec trompettes, rattes et truffe noire melanosporum, et pour clore le festin, un dessert signé Marcolini, fusion de chocolat, miso-yuzu, caramel et fleur de sel.
Le packaging en bois de peuplier, aussi élégant que pratique, ne nécessite qu’un simple réchauffage. Des vins sélectionnés par le maître d’hôtel sont également disponibles sur demande. Commandes impératives avant le 17 décembre au 02/720.63.46. Retrait sur rendez-vous entre 12h et 16h30, ou livraison possible dans plusieurs communes bruxelloises et du Brabant (de 10 à 25 € selon la zone).
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