JC Darman
02 May 2025
S’il compte parmi les plus illustres romanciers de la littérature française, Alexandre Dumas est aussi un des principaux et des plus prolixes dramaturges du théâtre romantique. On lui doit une trentaine de pièces qui ne sont pratiquement plus jouées depuis bien longtemps. À l’exception sans doute de Kean, grâce avant tout à l’adaptation qu’en a faite Sartre en 1953 (jouée et mise en scène par Pierre Brasseur). À compter de là, ce n’est plus que cette version qui sera représentée et que nous offre aujourd’hui le Théâtre des Galeries.
© TRG
Edmund Kean était un comédien anglais génial, adulé par le tout Londres. Extraordinaire interprète des grands rôles shakespeariens, mais en même temps phénomène scandaleux, débauché couvert de dettes, ivrogne, bagarreur, aux multiples liaisons. Il mourra aphasique et à demi fou à l’âge de 44 ans en 1833. À sa création en 1836 (le grand Frédérick Lemaître dans le rôle-clé), la pièce de Dumas était donc quasiment d’actualité. Elle est inspirée d’un épisode de la vie de l’acteur alors en butte à une cabale en raison de sa vie dépravée. Kean est aimé de deux femmes : la comtesse Éléna (Laurence d’Amelio), épouse de l’ambassadeur du Danemark (Jean-Michel Vovk) et Anna Damby (Shérine Seyad), jeune et riche héritière bourgeoise. Il entretient aussi des rapports ambigus (amitié-défiance, concurrence amoureuse) avec le Prince de Galles (Dominique Rongvaux). Le Kean d’Alexandre Dumas est le héros romantique par excellence, ténébreux, désespéré, torturé dont le génie ne peut s’exprimer que dans l’excès. Désordre et Génie est d’ailleurs le sous-titre de l’œuvre de Dumas que Sartre supprimera dans son adaptation.
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L’auteur de La Nausée va procéder à une réécriture de la pièce. Il va en moderniser la tonalité, en alléger la substance romantique et en appesantir encore les deux thèmes principaux : les inégalités sociales de la naissance et la confusion de l’acteur entre sa propre existence et ses rôles, entre l’art et la vie. Il faut se rappeler qu’au XIXe siècle, toute honorabilité est encore inaccessible aux comédiens, même les plus célèbres. Lord Mewill (Pierre Poucet) va refuser un duel avec Kean parce qu’un homme de son rang ne se bat pas avec un saltimbanque. Quant à la confusion entre la réalité et la scène, Kean explique par exemple qu’un acteur doit connaître lui-même toutes les passions pour les bien exprimer. Écartelé entre l’admiration et le mépris qu’on lui porte simultanément, sa dérive vers la folie va amener Kean jusqu’à transgresser la convention théâtrale. Lors d’une représentation il va briser le fameux quatrième mur, celui qui sépare la scène du public, en s’adressant directement aux principaux protagonistes réunis dans une loge à l’avant-scène.
Interpréter le rôle de Kean constitue une tâche écrasante à laquelle peu de comédiens ont osé s’attaquer. Notons à ce propos que le choix de Belmondo s’est porté sur cette pièce en 1987 pour son retour à la scène après 28 ans d’absence (mis en scène par Robert Hossein, ce fut un véritable triomphe). Daniel Hanssens assume l’interprétation de ce rôle éminemment complexe avec brio. Il parvient à transmettre sans rupture toute une gamme d’émotions et de sentiments, même contradictoires, dans la même scène, voire la même réplique. La stature physique de Daniel Hanssens rend d’autant plus émouvants des moments de fragilité et de naïveté inattendus chez un tel personnage. L’importance du premier rôle est à ce point dominante qu’elle occulte celui de la dizaine de partenaires qui l’entourent.
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Une mention spéciale néanmoins pour la prestation de Laurence d’Amelio dont le charme et le talent parviennent à rendre sympathique un personnage qui ne l’est pourtant pas tant que cela. La mise en scène d’Alain Leempoel impose un rythme accéléré. Il a notamment procédé à quelques coupures dans certaines répliques-tirades d’une longueur excessive (des tunnels en jargon théâtral). C’est heureux car la pièce est longue et certaines scènes frôlent parfois la verbosité. La scénographie de Lionel Lesire est symbolique et faussement simplifiée. Par exemple, un jeu de grands miroirs, certains classiques, d’autres sans tain (transparences/reflets) se dressent entre des couvertures démesurées de livres portant tous le titre de pièces de Shakespeare.
Une pièce qui constitue une des plus remarquables mises en abyme du théâtre dans le théâtre.
Pièce
Keane
Adresse
Théâtre des Galeries
Galerie du Roi, 32
1000 Bruxelles
Dates
Jusqu’au 25 mai
Billeterie
Sur internet
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