Martin Boonen
27 November 2025
L’histoire viticole de Fumal remonte bien au-delà de sa renaissance contemporaine. Dès 1523, des vignes poussaient déjà en contrebas du château, comme l’atteste un dessin d’époque de la Seigneurie. Au XVII siècle, Séverin de Méreaude, alors seigneur des lieux, fit restaurer les murailles et replanter 4 000 « double pieds de vigne » en 1688. Des archives familiales conservent la trace d’achats de plants en 1682, et l’ancien pressoir comme la cave adjacente demeurent visibles dans les dépendances.
© Cédric Demeester
Comme tant de vignobles belges, celui de Fumal disparut fin du XVIIe siècle, victime du changement climatique (la fin d’un petit âge glaciaire favorisant la production de bière), La dernière vendange eut lieu en 1692, lorsque le climat empêcha définitivement la vinification. « Notre ancêtre a tenu un carnet pendant une vingtaine d’années où il notait recettes et dépenses du château, explique François-Hubert du Fontbaré. À partir de 1685-1687, il n’arrivait plus à vinifier, et il produisait du vinaigre. »
Marie-Hélène et François-Hubert du Fontbaré de Fumal © DR/Château de Fumal
Le renouveau survint en 2016, lorsque François-Hubert du Fontbaré de Fumal, agriculteur installé depuis 1987, décida de concrétiser un rêve de longue date. « Pour mes 50 ans, Marie-Hélène, mon épouse, a organisé une fête d’anniversaire surprise et le cadeau de mes amis était une enveloppe pour acheter des pieds de vigne », se souvient-il. Ce geste symbolique se transforma rapidement en projet très concret. « Je me suis dit qu’il fallait un projet économique pour faire durer le château. Il faut dire que nous avons fêté les 350 ans de la famille l’an passé. » C’est donc avec le soutien de son épouse Marie-Hélène de Dorlodot, de leurs quatre enfants et de leur gendre (Sophie, Stéphanie et Augustin, Guillaume et Nicolas) qu’il entreprit la replantation progressive du vignoble : 1,5 hectare de chardonnay en 2016, puis 3,5 hectares supplémentaires des trois cépages champenois en 2017. Le domaine compte aujourd’hui environ 8 hectares et 36 400 pieds de vigne, répartis en deux parcelles.
Le vignoble du Château de Fumal bénéficie d’un terroir remarquable : un coteau exposé plein sud en pente douce, dont le sol d’argile contenant du schiste calcaire offre des conditions idéales pour la viticulture de qualité. « Ici, nous avons un terroir schisto-calcaire, assez particulier, précise François-Hubert du Fontbaré. un grand producteur de chaux, qui se trouve juste de l’autre côté de la vallée, est un site 100% calcaire. Nous, nous sommes ici sur du schiste. » Cette situation s’inscrit dans la tradition historique de la vallée de la Meuse, où Huy était célèbre pour ses vins depuis le Ve siècle. Historiquement, entre Andenne et Liège se trouvaient les plus grandes surfaces de vignobles en Belgique. Le domaine a d’ailleurs fait appel à des spécialistes pour identifier les parcelles les plus propices : une quarantaine d’hectares au terroir schisto-calcaire furent repérés, dont une quinzaine ont depuis été éliminés pour des raisons climatiques, notamment le risque de gel printanier.
© DR/Château de Fumal
Le choix des trois cépages champenois (chardonnay, pinot noir et pinot meunier) s’est imposé naturellement. « Nous avons fait le tour des vignobles les plus représentatifs en Belgique, et très vite nous avons décidé de faire des bulles, car il était moins difficile de produire de la grande qualité en effervescent qu’en vin tranquille », explique le propriétaire. Le refus des cépages interspécifiques fut catégorique : « C’est une question de goût. Il est impossible de vendre quelque chose qu’on n’aime pas. » La répartition actuelle privilégie le chardonnay (moitié de la surface), complété par un quart de pinot noir et un quart de pinot meunier.
Le chardonnay du Château de Fumal © DR/Château de Fumal
La ferme familiale pratique le non-labour depuis 1993 et l’agriculture raisonnée depuis 1998. La vigne est enherbée avec du trèfle et des graminées, entourée de haies aux essences diversifiées et d’une parcelle de miscanthus cultivée sans engrais ni produit phytopharmaceutique, qui protège le vignoble des vents du nord. Une turbine antigel a été installée en 2020 pour lutter contre les gelées printanières, l’un des deux principaux défis du domaine avec la main-d’œuvre. Le Château de Fumal avait entrepris une conversion vers l’agriculture biologique, mais a dû abandonner sa certification en août 2025, confronté aux réalités du terrain. « Les cépages champenois sont très fragiles, le chardonnay en tête, reconnaît François-Hubert du Fontbaré. En 2021, nous avons fait l’équivalent de 2 000 bouteilles ; en 2024, nous avons une barrique de 224 litres de pinot meunier, c’est tout. » Face aux investissements consentis, le risque était devenu intenable : « Vous avez vu les investissements, cela reste un projet économique. J’ai dit que je ne pouvais plus prendre le risque. Je ne pouvais pas faire une mauvaise vendange en 2025. »
© DR/Château de Fumal
Le domaine poursuit néanmoins ses pratiques respectueuses de l’environnement. « Il n’y a jamais eu d’herbicides ni d’insecticides dans la vigne, et il n’y en aura jamais », affirme-t-il. Les traitements reposent principalement sur le cuivre et le soufre, complétés par des huiles essentielles. Le fongicide de synthèse n’intervient qu’en dernier recours, lorsque la pression sanitaire l’exige. Cette approche pragmatique, loin de tout dogmatisme, témoigne d’une philosophie où la qualité du raisin prime sur les certifications.
Les vendanges sont exclusivement manuelles, un choix essentiel pour limiter l’utilisation de sulfites et préserver les arômes . « Les bacs des vendangeuses mécaniques sont tout de suite remplis de jus. Ils sont donc obligé de sulfiter directement, ce que nous rechignons à faire », explique François-Hubert du Fontbaré. Le domaine dispose d’une table de tri pour ne conserver que les raisins parfaitement sains, quitte à laisser une partie de la récolte au sol : lors de la vendange 2025, huit à dix tonnes de chardonnay ont été écartées en raison d’oïdium et de botrytis.
Sophie, la fille aînée de François-Hubert et Marie-Hélène du Fontbaré, ne s'occupe pas seulement de la communication du domaine © Cédric Demeester
Depuis 2022, toute la vinification s’effectue au château, dans un chai ultramoderne aménagé dans les bâtiments historiques des XVIe et XVIIIe siècles entièrement restaurés. La cuverie thermorégulée permet de refroidir ou chauffer les cuves selon les besoins. Le pressoir, installé dans un bâtiment adjacent, alimente le chai par une canalisation souterraine. Des caves ont été creusées pour faire vieillir les bouteilles dans des conditions optimales. Le Château de Fumal respecte scrupuleusement les codes de la méthode traditionnelle champenoise, avec quelques adaptations au contexte belge : la densité de plantation avoisine 5 000 pieds à l’hectare (contre 10 000 en Champagne) et les vignes sont conduites en hauteur plutôt qu’en taille basse. Le processus comprend treize étapes rigoureuses, de la vendange manuelle jusqu’à la dégustation finale. Les vins vieillissent sur lattes pendant un minimum de 16 mois, et trois ans pour les cuvées millésimées. Des prestataires champenois interviennent pour le dégorgement et l’étiquetage. « Nous utilisons la méthode traditionnelle champenoise pour la vinification, mais nous voulons vraiment exprimer le terroir, insiste François-Hubert du Fontbaré. L’objectif ici, c’est d’abord de faire un vin qui devient effervescent après. Il ne faut jamais oublier que derrière les bulles, il y a un vin tranquille et, avant d’y faire naître les bulles, il faut ce celui-ci soit excellent. »
© Cédric Demeester
Un projet singulier illustre l’ambition du domaine : neuf chênes bi- ou tricentenaires du bois de La Bolette ont été abattus en 2022 et envoyés à la Tonnellerie de Champagne. Ils reviendront en 2026 sous forme de foudres et de barriques représentant une capacité d’environ 10 000 à 11 000 litres, pour élever des cuvées d’exception. « J’y pense depuis le début », confie François-Hubert du Fontbaré. Faire vieillir le vin du domaine dans des chênes du domaine constitue une rareté absolue dans le paysage viticole belge.
Le Château de Fumal propose actuellement quatre cuvées, élaborées avec l’expertise de deux œnologues champenois réputés, Romain Lefevre et Sébastien Boever, ainsi que de Jacques Lemoine, œnologue DNO belge, sous l’œil avisé du maître de chai, Christophe Stenuit. La gamme s’articule autour d’une progression cohérente. VESTI/BULLE, l’assemblage équilibré et harmonieux aux arômes de fleurs et de fruits blancs rehaussés d’une touche de litchis, constitue la cuvée d’entrée de gamme accessible ; PRÉ/EN/BULLE, le blanc de blancs (100% chardonnay) minéral et droit aux notes d’amandes et de fleurs blanches, incarne la pureté calcaire du terroir ; NOCT/EN/BULLE, le blanc de noirs (100% pinot noir) vineux et structuré, dévoile pêche et fruits rouges avec une touche saline qui en fait la cuvée gastronomique par excellence ; enfin FUN/EN/BULLE, le rosé festif et gourmand aux fruits rouges croquants, propose un plaisir immédiat. C’est le vin de célébration, déconnecté de la hiérarchie qualitative pour assumer pleinement son registre festif.
© DR/Château de Fumal
Ce qui frappe d’emblée, c’est la cohérence stylistique : des dosages très bas (2 à 4 grammes) qui laissent parler le fruit et le terroir plutôt que le sucre. C’est une signature rare, qui exige une matière première irréprochable (d’où l’importance du tri rigoureux à la vendange). La gamme révèle une philosophie claire : chaque cépage doit exprimer sa personnalité propre sur le terroir schisto-calcaire de Fumal, sans chercher à imiter la Champagne. Le chardonnay apporte sa minéralité tendue, le pinot noir sa vinosité charnue, alors que le pinot meunier vient structurer le vin et lui apporte une touche de rondeur. L’assemblage démontre que les trois cépages savent dialoguer harmonieusement.
L’ensemble témoigne d’une maîtrise technique solide (fermentation malolactique systématique, séparation cuvée/taille à la dégustation, vieillissement prolongé sur lattes) au service d’une expression de terroir affirmée. Ces bulles ne cherchent pas la séduction facile : elles demandent un peu d’attention, mais récompensent le dégustateur par leur sincérité et leur digestibilité. La faible teneur en sulfites, permise par la vendange manuelle et le tri, se traduit par une buvabilité remarquable. À partir de la vendange 2025, le domaine proposera un rosé de saignée 100 % Pinot Noir, dont la technique a été perfectionnée lors d’une visite chez Drappier, maison champenoise de référence.
© DR/Château de Fumal
Le Château de Fumal a atteint sa vitesse de croisière en 2022, avec une production cible de 35 000 à 40 000 bouteilles par an. Les chiffres témoignent des aléas du métier : 51 000 bouteilles en 2022, 40 000 en 2023, zéro en 2024, et l’équivalent de 65 000 bouteilles pour la vendange 2025. Cette dernière récolte exceptionnelle permettra au domaine de constituer pour la première fois des vins de réserve, ouvrant la voie à des cuvées millésimées de plus longue garde. « C’est très prétentieux, mais il faut avoir des objectifs : nous voulons être une des références des bulles en Belgique d’ici trois à cinq ans, c’est certain », affirme François-Hubert du Fontbaré. Cette ambition repose sur une montée en puissance qualitative assumée : depuis un an, le domaine est accompagné par un bureau champenois de renom, de la vigne jusqu’à la bouteille.
© DR/Château de Fumal
La dimension œnotouristique se développe en parallèle. La Salle des Cochers a été réaménagée pour accueillir les visiteurs, avec un balcon de dégustation offrant une vue spectaculaire sur le chai et la cuverie. Le domaine propose des visites guidées et dégustations sur réservation, et réalise environ 65 % de son chiffre d’affaires sur les fêtes de fin d’année. Des dîners haut de gamme pour 24 personnes sont organisés dans la salle à manger du château, six à sept fois par an. Depuis septembre 2025, l’expérience Sky Dôme permet de déguster un repas gastronomique en cinq actes sous des dômes transparents chauffés installés dans la cour illuminée, accompagné d’un accord avec les quatre cuvées du domaine.
© Cédric Demeester
Parmi les projets futurs figure la replantation du vignoble clos de mur historique situé sous le château, qui comportait autrefois 4 000 pieds de vigne de Bourgogne arrachés en 1803. Cette parcelle exposée plein sud se compose de deux terrasses entourées de murs de calcaire qui seront restaurés dans le respect des techniques de construction d’époque. François-Hubert du Fontbaré envisage d’en faire un vignoble participatif avec les habitants de Fumal, perpétuant ainsi le lien séculaire entre le château et son village.
© DR/Château de Fumal
Le projet demeure résolument familial. Sophie assure la communication, Stéphanie intervient sur le marketing, Guillaume pourrait revenir de France où il travaille dans l’immobilier non loin de la Champagne, et Nicolas (devenu premier échevin de la commune dès sa première élection) participe aux vendanges et travaille régulièrement avec le maître de chai. C’est d’ailleurs Nicolas du Fontbaré, l’un des fils de François-Hubert, qui s’est occupé lui-même d’une partie des travaux de menuiserie. « Pour nous, à terme, c’est un projet pour les enfants, c’est un projet économique pour que le château dure dans le temps », résume François-Hubert du Fontbaré.
Longtemps discret, le Château de Fumal peut désormais assumer sa place. « Nous ne voulions pas nous exposer trop tant que nous n’avions pas quelque chose de qualité à présenter », explique son propriétaire. Aujourd’hui, les infrastructures sont achevées, les vignes ont atteint leur maturité, et les reconnaissances s’accumulent. Le domaine représente l’un des exemples les plus aboutis de la renaissance viticole wallonne, conjuguant respect du patrimoine historique, excellence qualitative et engagement environnemental au service de bulles belges d’exception.
Photo de couverture : François-Hubert du Fontbaré dans les vignes du Château de Fumal © Cédric Demeester
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