Martin Boonen
25 September 2025
Le Rallye des Autos. Y a-t-il une adresse plus emblématique d’Uccle et du Fort Jaco que cette institution de la chaussée de Waterloo ? Pas sûr. Pourtant, depuis quelques années, c’est peu dire que le Rallye se mourrait. Victime d’un manque d’investissement chronique, en cuisine ou en salle, il n’était, au fil du temps, plus devenu que l’ombre de lui-même. Autrefois rendez-vous du tout Uccle (résidents du Sud de Bruxelles, hockeyeurs, commerçants, banquiers, avocats…), il avait fini par ne plus n’être fréquenté que par une clientèle d’habitués captifs de leur routine. Bref, ça ne roulait plus des masses, au Rallye. Pourtant, l’établissement était l’héritier d’une très vieille histoire et a connu de vrais moments de gloire.
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L’histoire commence à la fin du XIXe siècle, lorsque Pierre Hibert, figure respectée du quartier, y érige À la Nouvelle Ferme du Fort Jaco, un estaminet champêtre sur fond de bâtisse agricole. Le lieu s’anime tôt, fréquenté par les attelages, puis par les taxis et les premiers trams vicinaux. En 1927, Joseph Delgauffe en prend les rênes, agrandit l’édifice, et impose en 1930 un nom appelé à durer : le Rallye des Autos. L’adresse devient dès lors un carrefour de la vie uccloise : kermesses, cavalcades, processions et apéros du dimanche y dessinent une convivialité bien bruxelloise. Le billard y règne en maître, sous les yeux d’Emile Wafflard, champion européen, tandis que Jacky Ickx, Eddy Merckx ou Jean Graton y trouvent un refuge discret. Entre tradition populaire et élégance discrète, le Rallye traverse les décennies sans jamais renier son esprit. À partir de 2001, Vincent de Raikem, figure attachante du quartier, en incarne l’âme avec naturel, consolidant son statut de bistrot emblématique, où le passé continue de parler à voix basse (ceux que l’histoire du Rallye des Autos intéresse peuvent se plonger dans l’excellente chronique qu’à écrite Paul Grosjean, fameux journaliste et spécialiste du patrimoine bruxellois, à ce sujet sur le site qu’il dédie à cette thématique).
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Hélas, Vincent de Raikem décède prématurément en 2021, laissant à son épouse Sophie la responsabilité d’animer l’un des poumons du quartier. Mais le cœur n’y était plus, ou plus pareil et le Rallye s’enfonçait doucement dans cette torpeur immobile qu’on lui connaissait depuis quelques mois.
Pour réveiller la belle endormie, Matthias Van Eenoo endosse le costume de prince charmant. Et le casting est bon : ce chef français connaît bien la clientèle uccloise, lui qui tient, depuis 10 ans, le restaurant gastronomique Brugmann. Et surtout, son titre de Maître Cuisinier de France lui donne toute l’autorité nécessaire à la reprise d’une institution comme le Rallye.
Le chef Matthias Van Eenoo © DR
Mais avant de penser à l’assiette, le renouveau du Rallye des Autos commence en salle. Matthias Van Eenoo n’a rien laissé au hasard pour continuer à faire vivre l’esprit brasserie du lieu tout en le rendant plus accueillant que jamais. Exit donc le vieux plancher sombre et collant remplacé par de claires mosaïques au rendu spectaculaire. Toute la panoplie de la grande brasserie élégante est convoqué, rien ne manque à l’appel : couverts brossés, vaisselle griffée aux couleurs de la maison, piètement de table inspiration années 30, zincs réalisés par les Ateliers Nectoux, anciens éclairages à contrepoids restaurés placés à côté de nouveaux, reproduits à l’identique, banquettes lie de vin en cuir et leurs chaises assorties en deux teintes, lambris rehaussés de dessins et lithographies, miroirs biseautés… Le souci du détail est poussé jusqu’aux verres à pieds verts pour les vins d’Alsace. Les grandes arches décorées sont remises en valeur… Bref, ce nouveau Rallye des Autos sort le grand jeu !
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La terrasse profite aussi d’un profond lifting : désormais en teck, elle profite d’un élégant mobilier renouvelé, agrémenté d’arbustes décoratifs taillés au bouton. Y a pas à dire, ça ne manque pas d’allure.
Côté cuisine, Matthias Van Eenoo a conservé l’emblématique grill et y ajoute même, sur la terrasse arrière, un très intéressant banc d’écailler. La carte prolonge l’ambiance brasserie du cadre. On n’en attendait pas moins. Cependant, on retrouve avec bonheur, à côté des incontournables américain frites, boulets à la liégeoise et croquettes aux crevettes, des préparations classiques de cette cuisine de comptoir qui se font malheureusement désormais trop discrètes, même sur les menus des établissements les plus exemplaires du genre. Nous parlons des œufs mimosa, de la terrine de filet de sole pressée, du potage aux légumes de saison, des petits gris de Namur, des cuisses de grenouilles, de l’andouillette, des rognons de veau, du waterzooi, des carbonades, du gigot d’agneau, des coquillettes ou du boudin noir… Bref, avec ce Rallye nouvelle formule, c’est tout un pan de la cuisine franco-belge de terroir qui est mise à l’honneur !
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Le mieux, c’est que cette déclaration d’intention exprimée à la carte se trouve suivie d’effets dans l’assiette. Ces plats simples mais techniques sont à l’image du cadre : impeccables. Les œufs en meurette arrivent dans une petite cassolette en fonte (brulante, attention) et renferme un petit trésor de la cuisine bourguignonne : un oeuf mollet parfaitement cuit, avec une onctueuse sauce nappante et brillante qui mêle l’acidité du vin rouge et la gourmandise d’oignons grelot au vinaigre parfaitement confits. Les cuisses de grenouilles, proprement présentées mettent l’eau à la bouche dans leur panure dorée. Même l’os à moëlle a droit à un traitement de faveur lorsqu’il est servi avec une très aromatique persillade.
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Passionné de grande cuisine classique, avec Matthias Van Eenoo, chaque fond et bouillon, chaque sauce, chaque glace, chaque terrine sont réalisés sur place. C’est du fait-maison, sans concession. Les cuissons, les assaisonnements, les dressages, il n’y a ici rien d’extravagant. Mais, plus important que tout : il y a du savoir-faire ! On (re)vient au Rallye trouver le plaisir simple de choses merveilleusement bien faites : celles qui ont le goût de ce qu’elles sont ! Cela devrait être une évidence, et pourtant, force est de constater que c’est devenu bien rare.
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On ne peut pas quitter le Rallye des Autos sans dire un mot du service. On le sait, depuis les confinements de l’ère covid, recruter du personnel est devenu, même pour les adresses plus réputées, les plus installées, une gageure. Pourtant, la qualité de l’accueil et des gestes en salle participe intégralement au plaisir éprouvé à table. Et c’est d’autant plus vrai dans une brasserie où la proposition culinaire n’est pas la plus sophistiquée. Si la cuisine est simple, il faut que tout soit parfait, dans l’assiette… et en dehors. Alors qu’il nous est arrivé de temps à temps d’avoir à redire sur la qualité du service au Brugmann, il semblerait que Matthias Van Eenoo ait redoublé de vigilance dans ce domaine pour le Rallye. Si en cuisine, on a du savoir-faire, en salle le personnel, en uniforme impeccable (tablier de service, chemise blanche, nœud papillon), a des manières… avec juste ce qu’il faut d’irrévérence potache pour se rappeler qu’avant d’être au cœur du très Ucclois Fort Jaco, on est encore un peu… à Brussel !
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Blague à part, en réhabilitant le style grande brasserie, le Rallye ressuscite aussi une façon de servir en salle, notamment en demandant au personnel d’effectuer devant les clients, en salle, des gestes de plus en plus réservés à l’intimité de la cuisine : gigot d’agneau des Pyrénées servi à la voiture de tranche, le coup de moulin à poivre, la repasse de frites fraîches quand les vôtres commencent à tiédir dans votre plat, préparation et flambage des crêpes Suzette minute, présentation du chariot à dessert… Vraiment, le Rallye des Autos de l’ère Matthias Van Eenoo fait les choses jusqu’au bout !
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Alors qu’on pensait le style des grandes brasseries élégantes tombé en désuétude, remplacé par des restaurants bistronomiques aux préparations chichiteuses ou par des établissements profitant de produits de luxe pour se donner un vernis chic parfois obscène, le voilà qui, sous la houlette de Matthias Van Eenoo, effectue un flamboyant retour en grâce au Rallye des Autos ! Le Rallye des Autos est mort. Vive le Rallye des Autos !
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