Martin Boonen
05 June 2025
Il n’est pas le plus médiatisé des chefs du pays, pourtant, à 36 ans, Maxime Colin est une figure majeure de la cuisine de notre pays. Et dire que son titre de “Jeune Chef de l’année”, décerné par Gault&Millau en 2016 à l’ouverture de son restaurant, n’est peut-être pas son plus grand fait d’armes. Après des débuts au Chalet de la Forêt, aux côtés du grand Pascal Devalkeneer, il continue de gagner de l’expérience au côté du chef Alain Bianchin, alors titulaire d’une étoile à la Villa Lorraine. Au départ de celui-ci, Maxime Colin prend la relève et réussit l’exploit, à seulement 23 ans, de maintenir l’étoile obtenue par son prédécesseur à l’emblématique restaurant ucclois. Un tour de force et la marque d’une précocité rare !
© Morgane Ball Photography
Après une première visite en janvier 2024, nous étions partagés à l’idée d’y revenir le 6 mai dernier. Il y a en effet toujours une part de risque à revenir sur le théâtre d’une dégustation qui vous avait fait une telle impression. Et si c’était moins bien ? Ne prenions-nous pas le risque de faner un si délicat souvenir avec une nouvelle expérience potentiellement décevante ?
© Morgane Ball Photography
Maxime Colin a installé son restaurant au cœur du parc du château Jourdain, à Kraaienm, dans un joli petit presbytère classé, pratiquement sur les berges d’un étang. On nous installe à une table qui offre une vue magnifique sur ce dernier. Des oies et des canards terminent de s’ébattre en cette fin de journée, et nous apprécions l’apéritif (une flûte de champagne bio de la maison Telmont, cuvée Réserve de la Terre, à la fois fraîche et très aromatique) avec les dernières lueurs de la journée se reflétant sur le miroir d’eau, imperturbable. Et dire que nous sommes simplement de l’autre côté du ring.
© DR
En 2024, nous vous faisions part de l’originale solution mise en place par le chef au – récurrent – problème de main d’œuvre dans l’horeca. Maxime Colin était parvenu à convaincre sa brigade de faire elle-même le service en salle. Dans notre billet nous vous disions à quel point nous avions apprécié cette façon de faire tomber la frontière entre le monde de la salle et celui de la cuisine. Ce soir, nous constatons que les problèmes de recrutement du chef semblent désormais derrière lui. Tant mieux pour le chef et son équipe, tant pis pour nous. Et puis finalement, pas tant que ça. Le service se montre à la fois gai et professionnel. Nous n’en sommes qu’aux amuses-bouches, mais déjà, nous commençons à éprouver du plaisir.
Pas de carte ici. Le chef demande à ses convives d’opter pour un menu décliné en 3 (pour le lunch), 4 ou 5 services, avec ou sans fromages, avec ou sans accord mets-boissons (alcoolisées ou non). Il n’y a pas de formule proposée qui ne permette pas de se rendre immédiatement compte de la maîtrise du chef.
© Morgane Ball Photography
La maîtrise technique, d’abord. Le plus bel exemple, c’est ce homard canadien, présenté en trois façons (la pince en tempura, la queue grillée au feu de bois, et un ceviche à la betterave rouge). Un impressionnant exercice en trois cuissons (à ce niveau, il n’est pas abusé, si l’on considère la modification moléculaire sur le produit induite par la préparation, de considérer le ceviche comme une cuisson) qui engage un travail remarquable. On a presque l’impression, dans le même plat, d’avoir affaire à trois produits différents. Autre exemple tiré de ce menu printanier : le hamachi ikejime, pomme verte, céleri, raifort, petit pois. Un plat qui fait la symbiose entre une espèce halieutique emblématique (le yellowtail ou seriole japonaise) et une technique ancestrale de préparation vieille de 350 ans, incarnant l’apogée de l’art culinaire japonais dans le traitement des produits de la mer.
Hamachi ikejime, pomme verte, céleri, raifort, petit poids. © DR
Enfin, il y a la maîtrise des goûts. Maxime Colin est un marieur de saveurs hors pair. En bon entremetteur, il sait que les meilleures associations ne sont pas les plus spectaculaires. Il sait aussi quand il est bon d’assembler ce qui se ressemble, et quand les opposés peuvent s’attirer. Prenons, les asperges vertes de Carpentras du menu. Elles sont servies avec des morilles de saison farcies au foie gras, des pistaches et une pointe de vin jaune (notons que le menu prend la peine de préciser “du Jura” alors que nous ne voyons pas bien de quelle autre région le vin jaune pourrait bien venir). Les asperges et les morilles apportent des saveurs fraîches, douces, croquantes, toute printanières, quand le foie gras et les pistaches leur ajoutent de la richesse, de la gourmandise et de l’onctuosité. C’est immanquable ! Le dessert est du même tonneau : un baba au rhum Don Papa, mangue, yaourt et poivre de timut. On retrouve la douceur d’un rhum brun, l’acidité de la mangue, le tout emballé par le côté lactique du yaourt et relevé par les saveurs d’agrumes et la chaleur du “faux poivre” de timut. C’est un dessert de haut vol que signe ici Leila Falleti, la pâtissière de la maison, et heureusement parce qu’il n’en fallait pas moins pour apporter la touche finale à ce menu de printemps.
Asperges vertes de Carpentras, morilles, foie gras, pistaches, vin jaune © DR
Baba au rhum Don Papa, mangue, yaourt, poivre de timut © DR
Difficile de passer chez Maxime Colin sans parler des vins. Lors de notre dernière visite, nous avions été très impressionnés par la sélection de Stéphanie Pierre, la précédente sommelière de l’établissement. Heureusement, son successeur, Alexandre Stevens, se montre absolument à la hauteur. Accompagner le hamachi ikejime par un vinho verde, 100% alvarinho, du domaine João Ramos était audacieux quand on connaît la mauvaise réputation dont souffrent encore malheureusement (et injustement) ces vins portugais. La tension et la floralité qu’il apportait au plat étaient un coup de maître. Autre claque vinicole de la soirée : ce rosimarinu rouge, 100% sciaccarellu. Un vin corse très loin de ce que l’on connaît ou imagine des productions charpentées, amples, et riches de l’île de beauté. Il était au contraire d’une grande souplesse, d’une belle légèreté, d’une pureté presque minérale. Absolument déroutant. Il a tenu compagnie de manière exemplaire au veau de lait de Lozère, croquette de boudin noir, miso et cresson de fontaine, avec lequel il était servi.
© DR
Au fil du menu déroulé par Maxime Colin, il y a une évidence qui apparaît : celle de l’équilibre au service du goût. Pendant toute la dégustation, on observe le chef chercher (et trouver) l’harmonie. Pas question ici de rouler des mécaniques avec des associations tape à l’œil, des réductions intenses, des assaisonnements explosifs, des saveurs extravagantes. Il y a, dans la cuisine de Maxime Colin, une forme de simplicité, d’humilité qui permet à ses préparations de se mettre au service d’une seule chose : le goût. C’est l’expression de l’art subtil du bonheur en cuisine.
Restaurant
Maxime Colin
Adresse
Pastoorkesweg, 1
1950 Kraainem
Réservations
Sur internet
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