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Martin Boonen

23 March 2023

Vins nature. Mais de quoi parle-t-on au juste ? La définition la plus simple de ces vins nous a été un jour donnée par le Professeur Fabrizio Bucella, docteur en physique de l’ULB, œnologue, fondateur de l’école de dégustation Inter Wine & Dine, professeur aux universités de Lille, Reims, Bordeaux, et à l’ULB, auteur de nombreux ouvrages sur le vin, lors de l’émission Bientôt à Table (des excellents Sophie Moens et Carlo De Pascale) le 4 septembre 2021. L’estimé professeur disait alors sur les ondes de la 1ère : “le vin nature, c’est un peu le vin comme il devrait être”. C’est-à-dire : du jus de raisins fermenté. Fabrizio Bucella précisait alors sa pensée : “Le vin nature est fondamentalement un vin fabriqué sans aucune astuce ni artifice”, comprenez : sans aucun intrant. L’œnologue radiophonique poursuivait sa réflexion : “La viticulture traditionnelle permet l’utilisation de plus de trois cents techniques, adjuvants et produits œnologiques. (…) Et lorsque le vigneron fait du vin biologique, le nombre d’additifs et procédés tombe aux alentours de septante.” Un vin bio est donc bien loin d’être un vin “sans rien”.

Laurent Mélotte, pionnier par essence

En Belgique, l’un des papes de ces vins, qui les représente depuis plus de vingt ans aujourd’hui, c’est Laurent Mélotte. Ingénieur agronome, il étudie d’abord la défense des végétaux (phytopathologie) et donc … les pesticides. Il se positionne rapidement à l’avant-garde de l’agriculture biologique en rédigeant, dès 1984, un mémoire sur le sujet. Pour des raisons personnelles, il se dirige ensuite vers la brasserie. Ingénieur brasseur, il fait d’abord carrière chez Interbrew où il ira jusqu’à devenir responsable de recherche du groupe mondial. “Au fur et à mesure des rachats et des fusions, j’ai vu la société changer. J’étais de mieux en mieux payé, mais de moins en moins à l’aise…” explique-t-il. “En revanche, amateur de vin, même de grands vins, de crus classés par exemple, j’avais envie de montrer qu’en respectant la nature, on pouvait aussi faire des choses qui plaisaient au palais.Laurent Mélotte a quelques exemples en tête : la Coulée de Serrant en Loire, la Romanée Conti en Bourgogne, Zind Humbrecht en Alsace…, ces domaines, déjà à l’époque, tenaient le haut du pavé et la dragée haute à des grands crus conventionnels dans tous les guides classiques, Parker en tête. En bon scientifique, il avale alors, de manière systématique et exhaustive, toute la bibliographie sur le sujet, avant de prendre son bâton de pèlerin et de partir à la rencontre des ces pionniers du vin nature lors d’un tour de France d’une année. “À mon retour, j’ai fait analyser en laboratoire une bouteille que j’avais reçue pour voir si le discours des vignerons collait avec l’analyse scientifique. Le résultat était sans appel : c’était absolument impeccable.” Convaincu, il se lance, d’abord comme activité complémentaire, à côté d’un poste de professeur de biochimie de la brasserie. Il débute en 2002, dans son salon, avant d’avoir l’opportunité, avec l’aide d’amis, de racheter un bistrot bien connu à Pécrot (Grez-Doiceau), le Guet-à-Pintes, pour ouvrir sa propre boutique : l’Odyssée des Arômes, en 2009.

Le Doc Vinature, Laurent Mélotte © W&F

Redonner sa place au raisin

Mais comment font ces vignerons pour se passer de tout l’arsenal chimique de leurs confrères conventionnels ? “La clé, c’est la qualité, la santé des raisins, explique Laurent. On part donc de raisins certifiés bios (pas de pesticides ou d’herbicides de synthèse), au minimum, “mais libre aux viticulteurs d’aller plus loin : travail du sol, enherbement, certains vont jusqu’à la biodynamie…” précise Laurent. En viticulture nature, la matière première, le raisin, bénéficie de la première attention. Le temps de la vendange, est crucial : “ il faut être sûr de profiter d’un maximum d’arômes, puisque les vignerons ne se donnent pas le droit de rattraper certaines choses aux chais comme on peut le faire avec des vins dits “technologiques” (des vins produits par une vinification où les interventions humaines masquent sa typicité intrinsèque en utilisants des techniques comme le sulfitage, la chaptalisation, l’acidification ou la désacidification, ndlr). Pour pouvoir se permettre d’intervenir le moins possible au chai (c’est qui est l’idéal du vin nature) il faut des raisins irréprochables et donc un travail de titans à la vigne.” Cela passe généralement par des vendanges manuelles : “c’est la seule façon de trier les raisins de manière à ne garder que les meilleurs, les plus sains”.

Dans le vin nature, la qualité du raisin est au centre des attentions, comme ici, chez Lori Haon, au Domaine du Petit Oratoire, dans le sud des Côtes du Rhones © Domaine du Petit Oratoire

© Domaine du Petit Oratoire

Laisser faire la nature

Une fois les raisins rigoureusement sélectionnés, les vignerons peuvent commencer à laisser faire la nature. Cela commence par utiliser des levures indigènes, naturellement présentes sur la peau des raisins ou dans l’air du chai (au contraire de l’industrie qui a recours à des levures aromatiques qui influencent le goût du vin. Elles peuvent par exemple contribuer à forcer l’accent des fruits de sous-bois ou même à exacerber son fameux goût de banane au beaujolais nouveau). Ensuite, les vignerons vont élever le vin dans le respect de l’environnement et du terroir. Cela passe par le respect du millésime dont on ne va pas essayer de corriger les faiblesses à tout prix. L’idée : guider la nature sans la contraindre. Évidemment, pour que la magie de la nature opère, il est nécessaire d’avoir une hygiène absolument irréprochable pour éviter toutes les déviations qu’on ne pourra corriger avec l’aide de la chimie… “On obtient alors un jus qui contient encore tous les nutriments naturellement présents dans les raisins, sans altérations des qualités du fruit, et donc avec un goût extrêmement pur” décrit Laurent Mélotte. Le sulfitage est permis, mais dans des proportions infiniment plus faibles que dans les vins conventionnels ou même les vins bio (150mg/l pour les vins rouges conventionnels, 30 maximum pour les vins rouge naturel).

Retrouver le goût du vin !

Mais qu’est-ce qui pousse ces vignerons à se passer de tout ce que la technologie viticole s’est échiné à développer ? Laurent Mélotte raconte : “À la fin des années 60’, au début des années 70’, à la grande époque du “tout chimie” dans les vignes, certains vignerons se sont rendu compte que, ces produits, ils les respiraient dans la vigne, et ils les buvaient à travers leur vin, et que cela les rendait malades. Ils n’avaient donc plus envie de boire leur vin. Ils ont commencé par retirer un intrant, puis un 2e… jusqu’à finalement retrouver le vin que faisaient leurs parents ou leurs grands-parents. Il y avait donc, au début, l’envie simple de (re)boire un produit naturel, des vins plus fruités, plus gouleyants, plus digestes surtout. Il y a donc un double mouvement : du bio pour la santé, et pas d’intrants pour le goût du vin.

© Arthur Brognoli

Mais alors, le goût des vins nature, c’est quoi ? “Ce sont des vins d’une grande fraîcheur et d’une grande gouleyance” se lance Laurent Mélotte. “C’est délié, on sent plein de choses, une multitude d’arômes, des complexités abordables… il ne faut pas être un œnologue confirmé pour avoir accès à toutes la richesse aromatique des vins nature, là où les vins conventionnels sont, de prime abord, plus monolithiques.” Les sulfites (pour reparler d’eux) ont pour caractéristique d’assécher le palais, (indépendamment des tanins), et d’effacer le côté juteux du vin, celui qui fait saliver ; avec un sulfitage plus léger, on retrouve l’essence du jus du raisin.

Thien Uyen Do (d'origine belge) et Florent Girou, couple de vignerons nature dans le Bergeracois, mènent un travail impressionnant à la vigne pour éviter de faire de leur vignoble de Combrillac, une monoculture et épanouir la nature dans toute sa diversité. © Ulrike Pien

De la fraîcheur, du fruit… de quoi cantonner directement les vins nature à des vins d’apéro, à des vins de copains … ? Laurent Mélotte infirme : “c’est la tendance actuelle, mais elle ne traduit pas toute la variété de goûts que l’on retrouve dans le vin nature. Non à la dictature du fruit ! En nature, on retrouve aussi des vins structurés, tanniques, et, contrairement à ce que l’on raconte, taillés pour la garde.”

Vin de garde ?

La garde. Sujet épineux. Les détracteurs des vins nature leur reprochent bien souvent de ne pouvoir tenir la distance en cave. La raison de cette faiblesse ? Les sulfites (toujours eux), ou plutôt, le manque de sulfites. Dans les vinifications conventionnelles, on utilise les sulfites pour stabiliser les vins, limiter les mouvements dans la bouteille et éviter les trop grands écarts entre l’embouteillage et la dégustation (les vins nature sont donc susceptibles d’évoluer de manière plus virulente que leurs homologues conventionnels dans la bouteille, ce qui peut aller jusqu’à une nouvelle fermentation, et donc à une légère carbonation, une petite perlance, à l’ouverture de la bouteille. Raison pour laquelle, on conseille bien souvent de carafer les vins nature pour éviter ce désagrément, ndlr). Mais là, encore, Laurent Mélotte dément : “Le sulfite, dans le vin conventionnel, c’est un emplâtre sur une jambe de bois. Sur des raisins sains, il y a assez d’antioxydants naturels pour permettre au vin de se tenir de longues années en caves ! Dix, quinze, vingt ans !” Ce qu’il prouve régulièrement dans des ateliers « cadavres exquis » où ils présentent des cuvées nature vieilles d’au-moins dix ans ! D’ailleurs, avec le recul des années (des décennies maintenant), on constate que ces vignerons s’installent durablement dans le paysage viticole. « Quand on en vient à parler de générations de vignerons nature, on commence à comprendre qu’il ne s’agit pas seulement d’une tendance branchouille. Après avoir travaillé avec René Mosse (Alsace), j’ai le plaisir de continuer le faire avec ses fils Sylvestre et Joseph. Dans le Beaujolais, Kevin (Kéké, pour les intimes) Descombes reprends le flambeau de son père, le célèbre Georges, avec beaucoup de panache et de brio. »

Les frangins Mosse, Sylvestre et Joseph, poursuivent le travail nature de leur paternel, René, en Loire. Ici, le jus dans les verres est en pleine fermentation, ce qui explique sa turbidité. Après quelques mois d'élevage en barriques, il sera plus limpide © DR

Redecouvrir des terroirs

Les vins nature sont, par définition, très sensibles à leur terroir, à leur millésime. Pour pouvoir travailler comme ils l’entendent, les vignerons se libèrent souvent des contraintes du cahier de charges de l’appellation à laquelle ils pourraient géographiquement prétendre. Ils brouillent les pistes à la dégustation, rebattent les cartes de ce que l’on croit savoir des vins du Beaujolais, de Bourgogne, de Loire, du Rhône, d’Espagne ou d’Italie… Laurent Mélotte précise même : “Force est de constater que c’est dans les appellations les moins ronflantes que le nature s’est développé en premier : Jura, Beaujolais, Loire… Dans le Bordelais, ce sont dans les petites appellations, comme les côtes de Duras, Buzet, où le vin nature s’épanouit.” … et avec plus de succès que les petits châteaux qui essaient désespérément de singer les grands crus. Pour autant, Laurent Mélotte s’interdit de tirer sur l’ambulance : “Venant moi-même de la ferme, je ne critiquerai jamais les agriculteurs qui travaillent en conventionnel. Je sais, j’ai vu le travail que cela demande : les journées à rallonge, qui commencent à l’aube et finissent au crépuscule, l’impossibilité de prendre des vacances… d’un certain côté, heureusement que l’agriculture a apporté des solutions techniques pour soulager nos agriculteurs, sinon, on n’en aurait plus beaucoup, enfin, encore moins qu’aujourd’hui… mais sachant cela, je suis d’autant plus admiratif de ceux qui, en plus des difficultés générales de tout un secteur, ont décidé, par idéologie (parce que soyons clairs, si c’était par goût du lucre, ça se saurait), de s’en rajouter encore avec un choix d’agriculture plus exigeant. Car c’est un choix éthique, il ne faut pas l’oublier !

Arbois, dans le Jura, l'une des capitales du vin nature © DR/Shutterstock.com

Wine & Freedom

Durable et éthique, voilà qui résume bien les vins nature … et qui explique sans doute leur succès actuel. Même s’ils sont encore marginaux, il devient difficile de trouver un restaurant un peu concerné par les enjeux agricoles ou environnementaux qui ne propose pas au moins une référence en vin nature. Mieux, dans les grandes villes, les cavistes ou bar à vins nature poussent comme des champignons (Titulus, Picpoul, Tarzan, Le Mounier, Basin & Marot,  Vins Vivants, Winery à Bruxelles, Pépites à Namur, Blaes et Pinard à Liège, pour ne citer qu’eux, mais ils sont de plus en plus nombreux). Les plus petites communes n’échappent pas non plus à ce mouvement des fonds, avec des établissements gourmands d’une grande qualité comme Quel bon vin t’amène  du chef Arnold Godin et de la sommelière Isabelle Bervoets, dans le centre de Grez-Doiceau  Cependant, s’il se réjouit de cette nouvelle hype, Laurent Mélotte tempère : “comme dans le conventionnel, il y a des vignerons plus talentueux que d’autres. Être nature ne fait pas, automatiquement, d’un vin un bon vin.” Puisqu’il les pratique depuis plus de vingt ans, c’est sûr que Laurent Mélotte a un peu d’avance sur la mode et qu’il a eu le temps de se forger un réseau de relations (devenus pour la plupart, des amis) unique en Belgique. On trouve en effet dans le catalogue du “Doc Vinature” des références devenues des légendes que la petite sphère du vin libre s’arrache. Ce sont les Mark Angéli (de la Ferme de la Sansonnière, en Loire), Georges Descombes, dans le Beaujolais, Pierre Overnoy et Jean-François “Fanfan” Ganevat (élu meilleur vigneron de France en 2018 par la très sérieuse et célèbre Revue des Vins de France), dans le Jura.

Laurent Mélotte (en haut), Mathieu Tordeurs et Patrick Demaret, le trio à l'origine de Wine & Freedom © W&F

Des vins difficiles à trouver mais qui sont désormais disponibles en livraison dans toute la Belgique, grâce à Wine & Freedom, un projet né pendant le premier confinement de l’ère Covid. ”Mathieu Tordeurs, qui me suit depuis quasiment le début, a été contraint de fermer les portes de son restaurant Le Mounier. Moi, comme caviste, je pouvais ouvrir mais délocaliser une partie de l’activité vers Bruxelles était intéressant”. Rejoints dans le projet par Patrick Demaret, ils lancent à trois une plateforme de vente en ligne de vin nature construite sur la cave de Laurent. Il est donc désormais possible de se faire livrer les pépites de Pécrot partout en Belgique dans un délais compris entre 2 et 5 jours ouvrables (livraison gratuite à partir de 290€). D’ailleurs, le mot de la fin appartient à Mathieu Tordeurs : “une fois qu’on commence avec les vins nature, on n’arrive plus a revenir en arrière”. Vous laisserez-vous convaincre ?

Osanna Visconti

Voyage, Évasion & Escapade

Richard Serra devant Double Rift #6

Arts & Culture

Royaume-Uni, Londres

Du 09/04/2024 au 18/05/2024

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